Vingt et un points de suture
244 pages
Français

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Vingt et un points de suture , livre ebook

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Description

Dans ce texte, l'auteur ouvre sur vingt et un aspects de cette violence mentale criminelle présente chez l'homme : qu'elle soit racisme affiché ou simplement larvé, agression morale ou brutalement physique, la perversion, la perversité, qui sommeille, ou s'exalte, en chacun de nous, finit par se déclarer, juste allusive ou cruellement patente, hélàs habituelle, hélàs impunie. Des nouvelles ancrées tant au Portugal, en Italie, au Maroc, en Tunisie, au Gabon, en Guinée Conakry qu'en Inde, à la fois fables fantastiques ou récits réalistes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2011
Nombre de lectures 83
EAN13 9782296470484
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

VINGT ET UN POINTS DE SUTURE
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56408-4 EAN : 9782296564084
Halima GRIMALVINGT ET UN POINTS DE SUTURENouvelles
Lettres de l'océan IndienCollection dirigée par Maguy Albet
Déjà parus Catherine PINALY,Sur Feuille de Songe…, 2011. SAST,Le sang des volcans, Des Kalachs et des Comores, 2011. Jean-Louis ROBERT,Concours de bleus,2009. François DIJOUX,Le Marlé, 2008. TOAZARA Cyprienne,Au fil de la sente, 2007. MALALA Alexandra,Coup de vieux, 2006. HATUBOU Salim,Les démons de l’aube, 2006. ATTOUMANI Nassur,Les aventures d’un adolescent mahorais, 2006. GOZILLON Roland,Une fille providentielle, 2006. ARIA Jacqueline,Le magasin de la vigie, 2006. MUSSARD Fred,Le retour du Buisson ardent, 2006. HATUBOU Salim,Hamouro, 2005. ROUKHADZE Tchito,Le retour du mort, 2005. CALLY J. William,Kapali.La légende du Chien des cannes et autres nouvelles fantastiques créoles, 2005. ARIA Jacqueline,L’île de Zaïmouna, 2004. TURGIS Patrick,Tanahéli – chroniques mahoraises, 2003. TURGIS Patrick,Maoré, 2001. FOURRIER Janine et Jean-Claude,Un M’zoungou à Mamoudzou, 2001. HATUBOU Salim,L’odeur du béton,1999. BALCOU Maryvette,Entrée libre, 1999. FIDJI Nadine,Case en tôle, 1999. COMTE Jean-Maurice,Les rizières du bon Dieu,1998. DEVI Ananda,L'Arbre-fouet,1997. DAMBREVILLE Danielle,L’Ilette-Solitude, 1997. MUSSARD Firmin,De lave et d’écume, 1997. TALL Marie-Andrée,La vie en loques, 1996.
Juju et le Chinois Vert
lle pue, ma mère. Voilà ce qu'il était bien obligé de se dire E dans sapetite tête deJuju, voilà cequ'il ressassait, en chantonnant, dansant d'un pied sur l'autre, comme il remon-tait la rue Violet vers le quartier de Lourmel et il le chanton-nait encore et encore, j'ai ma mère qui pue, pue ma mère, pue la merde. Là, ça l'a fait rire et il a regardé derrière lui pour voir si on l'avait entendu. Personne. Il était seul à sautiller sur les rainures du bord du trottoir. Il balançait sonpetit cartable en carton tout délavé et décousu aux angles. Quand il pleuvait, il avait les doigts tout rouges. Aquatre heures et demie, il avaitpassé laporte de l'école Dupleix. Les mamans attendaient les autres, elles leur flanquaient de gros baisers sonores qui faisaient un peu honte maisqui chatouillaient le cou, comme unepetite mouchequi se serait envolée à fleur de peau jusque dans l'oreille, un petit vibrion de bisou qui glissait son gratouillis jusque dans le dos. Des fois, il s'arrêtait et les regardait, tous ces enfants-à-bisous et à maman-qui-attend, juste pour le plaisir de les voir rosir sous cette avalanche d'amour, eh, Julien, tu veux ma photo ? Alors il repartait de son petit pas de moineau. C'est la mère à François qui est la plus belle. Il la respire passer, bah oui,ça ne se ditpas, mais c'estça, le nez en l'air dans le sillage de cette femme qui embaume, ah, c'est mieux que le muguet de ma mère, ça tu peux me croire. Ma mère aussi, elle separfume, ouplutôt elle se désodorise, non, elle se désinfecte, comme une vieille plaie qui pue. Elle pue, ma mère. La mère à François, c'est une grande dame, on dirait Michèle Morgan, c'est comme un ange, pas un cheveu qui dépasse, la coiffure comme un casque de soleil, tout en crans
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et en reflets. Hier, la mère à François a regardé Juju, elle a parlé mais il n'a pas entendu, elle a souri et quand elle est re-partie, il a respiré longuement, ce n'estpas une odeur de ma-man, non, il y sent quelque chose de plus, il ne sait pas quoi, ça sent la dame chic. François, il est toujours tiré à quatre épingles, on dirait un baigneur en celluloïd, on viendrait de le sortir d'une boîte, on aurait juste retiré le papier de soie, ça sentirait la naphta-line, un tour de clé, abracadabra, voilà François ! Il savait bien, Juju, que les petits garçons ne naissent pas dans les rayons des Galeries Lafayette. Il avait entendu quand Fanchon était venue au monde. Fanchon, c'est la fille des voisins, enfin c'était, en tout cas, quand elle a fait son entrée, celle-là, tout le quartier l'a su. Il y avait des cris et des cris, la voisine au gros ventrequi se tordait d'épouvante en s'accrochant au lit, il a vu, Juju, lui, on l'oublie tout le temps, il était là, eh bien, ça pissait le sang, il y en a eu de la lessive après... Elle était moche, Fan-chon, quand on l'a tenue par les pieds et qu'on lui claquait les fesses, pour la faire respirer, c'est ce qu'ils disaient, les grands. Juju voyait tout, il était aux premières loges, sous la table, il n'a rien perdu du spectacle. Et Fanchon qui était si rouge, presque violette... Et soudain sa figure d'aubergine à l'envers s'est fendue d'une drôle degrimace, elle a toussé,puis braillé, tout le monde semblait content. Juju aimait bien Fanchon. Quand elle a fait ses premiers pas, c'était à se tordre. Ce qu'il aimait ce petit rire qu'elle avait, comme son vieux nounours auquel il manquait un œil. Oh, oui, alors, Nounours borgne et Fanchon, ce qu'il a pu les aimer. Dans le ventre de Nounours borgne, il y avait une sorte de grelot, un petit son aigrelet qui cascadait de fausses notes et Fanchon, elle riait pareil, comme Nounours borgne, pareil. Juju essuya sur sa manche la coulée de morve qui mouil-lait sa lèvre. Il était arrivé devant la librairie « Pergame » ; maintenant qu'il savait lire, il déchiffrait ce mot magique, « Pergame ». Unpère et une âme. Quiperdgagne. C'était extraordinaire. Faire des gammes. Juju naviguait comme un corsaire heureux sur les trois syllabes, perle et gambade, péril
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et galère, le jeu était infini, Juju oubliait la rue Violet qui me-nait au quartier de Lourmel, guerre et arme, fer et larme. Il en avait raconté des histoires à Fanchon et lapetite riait, avec ce petit essoufflement d'oiseau qui gazouille trop vite et les fossettes qui s'enfonçaient dans les joues du bébé étaient un creuset de joie pour Juju l'abandonné. Il en avait inventé des contes, quand Fanchon pleurait et lui montrait son épaule meurtrie, son poignet griffé ou son coco-bel-œil qui la défigurait et la faisait ressembler à Nounours borgne. Puis un matin, il y a eu les flics, un grand chambardement dans tout l'immeuble, une sacrée cavalcade et le mari de la voisine qu'on emmenait ; lesgens montraient lepoing; il lui aurait bien cas-sé la gueule au père de Fanchon, mais c'était l'affaire des grands et les grands, ça ne comprend rien aux larmes des en-fants.Ça faitpresque un an et maintenantqu'il sait lire, et drôlement bien, c'est le maître qui le dit avec son bon sourire de vieux monsieur et ses sourcils en broussaille, tellement bien qu'il aurait lu et lu et lu encore, des histoires à Fanchon, tout pour Fanchon, toujours... Juju renifla. La vitrine de chez « Pergame » lui renvoyait sa petite silhouette chétive, ses genoux cagneux, ses chaus-settes en tire-bouchon qui dégueulaient leur fatigue et leur crasse sur desgaloches tropgrandes. Il avait la tignasse en bataille et ses boucles d'un noir profond retombaient inégale-ment sur un front un peu fuyant pour jouer en volutes sur ses oreilles légèrement décollées. Juju avait des yeux d'un brun velouté et des cils recourbés, drus, sombres, qui lui donnaient un air d'insolence, Juju l'effronté, Juju le raton. Juju tu sens pas bon, Juju le vagabond. Il avait l'habitude, le plus acharné était bien François, mais lui, il pardonnait, il avait un ange comme maman. Elle pue ma mère. Il reprit son petit refrain et s'en fut à cloche-pied. Mais il n'avait pas fait trois bonds, qu'il aperçut, dans le caniveau, un papier coloré qui le stoppa net et arrêta un moment sa ritournelle sansqueue ni tête. Ça détrempait dans l'eau comme du pain noir dans la soupe. Il prit entre ses doigts, c'était du vieux carton, ça par-
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tait dans la main comme une pâte poisseuse, rien que d'y tou-cher, on abîmait tout. Et c'était si beau, une forme, comme une ombre d'homme, se déployait dans les ailes d'un costume exotique, avec des fleurs et des oiseaux mêlés, comme un bout de paradis imprimé ; deux manches immenses, un petit bonnet noir et ce visage qui vous regardait avec des moustaches effi-lées, un teint de pomme cuite ; mais les yeux s'effacèrent, le sourire s'évanouit, la couleur déteignit. Il restait encore un peu du titre etJuj: « les Tribulations d'un Chinois enu déchiffra Chine », Jules Verne, Bibliothèque Verte. Il avait eu du mal avec « tri-bu-la-tions », le temps de s'escrimer contre le mot inconnu et il ne tenaitplus dans ses doigtsqu'une éponge de carton qu'il essora en boule dans sa paume. Puis Juju visa et la boulette détrempée vint s'écraser sur la vitre de la concierge, faisant fuir le matou obèsequi zieutait lespassants, à toute heure et en toute saison. La bignole ouvrit la fenêtre, mais Juju était loin. Et dans sa petite mémoire de Juju, le mot tribulation poussait son charriot d'interrogations. Le mot chantait en lui la mélopée d'un inconnu fascinant. Un crissement de pneus et le juron du conducteur le tirèrent de son rêve, il répondit par un pied de nez avant de s'enfuir en courant et de se ruer comme un fou dans lapremièreporte cochère. Caché derrière la poubelle qui dégorgeait ses ordures ménagères, il entendait les pas lourds d'un homme qui le poursuivait, la bouche pleine d'injures. On dirait le Gros Ventru, le mec à ma mère. Le Gros Ventru, il pue la vinasse. Il souffle comme un porc quand il monte en se traînant les six étages de l'immeuble. On dirait qu'il va crever, il ne peut plus parler ; c'est après qu'il retrouve au fond de lui toute cette vase qui sort de ses lèvres toujours humides, ces insultes, ces cris, un marécage de lai-deur qui jaillit de son ventre monumental et qui vient bouil-lonner, une vague d'immondices, toujours les mêmes, à toute heure et en toute saison. Le Gros Ventru, ce n'estpas sonpère, ah non, alors, c'est juste un père comme ça, pour le moment, jusqu'à ce que sa mère se lasse des torgnoles qu'il lui file et le chasse, c'est un
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