À Barcelone
53 pages
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Description

24 février 1873.Le 21 février, je partais de Marseille pour Barcelone sur l’Adéla ; à bord de ce courrier je fis connaissance de trois originaux : le docteur Marius Paradet, le quaker Tobie, et le commis-voyageur Cluzeau.Peut-être suis-je coupable d’un jugement téméraire, mais j’ai toujours soupçonné le docteur Marius de fuir sa patrie dans l’espoir de s’y faire momentanément oublier. Il ne semblait point fort à l’aise quand on entamait le chapitre des troubles de Marseille.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

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Nombre de lectures 5
EAN13 9782346132874
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Paul-Émile-Marie Réveillère
À Barcelone
A BARCELONE

24 février 1873.
Le 21 février, je partais de Marseille pour Barcelone sur l’ Adéla ; à bord de ce courrier je fis connaissance de trois originaux : le docteur Marius Paradet, le quaker Tobie, et le commis-voyageur Cluzeau.
Peut-être suis-je coupable d’un jugement téméraire, mais j’ai toujours soupçonné le docteur Marius de fuir sa patrie dans l’espoir de s’y faire momentanément oublier. Il ne semblait point fort à l’aise quand on entamait le chapitre des troubles de Marseille. Posant pour l’athée, comme beaucoup de ses confrères, il avait dû se laisser entraîner par sa monomanie matérialiste à des actes dont le souvenir lui était désagréable.
Du reste, à Marseille et dans tout le midi de la France, le mot commune n’a pas du tout le sens qu’on lui prête à Paris. Ici il a conservé sa vieille acception : indépendance locale, décentralisation outrée. C’est l’exagération, dangereuse sans doute, d’un des besoins les plus pressants de la société française.
Marseille, en particulier, se complaît dans les souvenirs d’un passé glorieux. Elle rappelle avec orgueil le temps où l’antique Phocée fut une cité souveraine, où Rome traita Massilia en amie, en alliée, jamais en tributaire.
Les mêmes passions politiques jouent un rôle plus considérable encore à Menton, à Nice. Ces sentiments ainsi poussés à l’extrême sont peu compatibles avec notre grandeur nationale, avec nos besoins de défense vis-à-vis d’ennemis menaçants ; mais en tout ceci, il est juste de le dire, le socialisme figure bien en arrière-plan. Il n’est ni contrée ni race auxquelles le communisme soit plus antipathique.
Seulement — même remarque est à faire en Espagne au sujet de la Fédération — quand un parti fortuitement arrivé au pouvoir contrarie les aspirations populaires, on voit les violents s’emparer du nom qui résume des tendances généreuses pour en faire le drapeau des plus détestables utopies, le symbole des plus criminels desseins.
Ainsi, les communistes se sont emparés du mot commune et ont affecté de confondre leur cause avec celle des communalistes. Dieu sait cependant si le méridional laborieux, économe, pour ne pas dire avare, déplorablement personnel — c’est là son vice — a le moindre penchant vers le communisme.
En Espagne, des hommes d’une haute valeur intellectuelle et d’un grand caractère, conçurent des institutions conformes aux besoins de leur pays, seules aptes à concilier l’ordre et la liberté. Ils les résumèrent sous le titre de République fédérale.
Castelar et ses adhérents s’adressèrent d’abord aux gens éclairés, aux classes dirigeantes. Ils furent mal accueillis ; c’est de règle. Là, comme ailleurs, les conservateurs opposèrent une fin de non-recevoir aux demandes de réformes urgentes ; les hommes de mouvement durent s’adresser aux masses... Avec l’appui des masses, les fédéraux rencontrèrent, bien malgré eux, l’appui du parti proudhonien.
Les doctrines de Proudhon ont fort joliment fait leur chemin au delà des Pyrénées ; de nombreux disciples s’y morfondent dans la lecture de ses livres sibyllins. Proudhon, on le sait, se déclara jadis zélé partisan d’un système fédératif pour la constitution de l’Italie ; ses apôtres espagnols trouvèrent dans cette opinion un suffisant prétexte pour abriter le communisme le plus brutal — car ils tombèrent dans l’extravagance en voulant préciser l’insaisissable pensée du maître — le matérialisme le plus abject sous la bannière de la République fédérale.
Il y a donc en France commune et commune, en Espagne République fédérale et République fédérale
Ces confusions profitent aux coquins et déshonorent un parti honnête... Qu’y faire ?... Doit-on garder la lumière sous le boisseau dans la crainte de voir des bandits y allumer leurs torches ?... Il faut que l’humanité marche ; si trop souvent elle marche à travers des ruines, la faute en est presque toujours aux adversaires du mouvement.
Le docteur Paradet, ai-je dit, est matérialiste. C’est le travers des savants ; à force d’étudier la machine, ils oublient le mécanicien. Parce qu’ils ont disséqué des cadavres, ils s’imaginent avoir pénétré le mystère de l’être humain. En vertu de quelle raison valable le physiologiste a-t-il la prétention de connaître seul la personne intelligente et morale qu’il n’a jamais étudiée ?
Ce travers à part, Marius est un aimable compagnon, gai, vif, paradoxal comme les gens du midi.
Le quaker Tobie est un gros petit homme habillé de noir, à mine bienveillante et fleurie. Une Peace-Society de Philadelphie l’a envoyé en Europe pour y propager la doctrine de la substitution de l’arbitrage aux procédés peu philosophiques employés par les rois pour régler leurs différends. Quand je lui déclarai mon titre de membre de la Société des Amis de la Paix, il dut se retenir pour ne pas m’embrasser. Nous causâmes longuement de la théorie de l’arbitrage et des moyens d’en faire une institution pratique. Je l’entendis avec joie rendre justice à l’abnégation, au dévouement d’apôtre de l’éminent homme de bien qui fonda en France la Ligue internationale de la Paix.  — Je vais, me dit-il, prêcher en Espagne ; le moment semble mal choisi, mais des instructions formelles me commandent en Europe une tournée complète. D’ailleurs les convulsions mêmes de ce noble pays y développent de grands caractères tout prêts, j’en suis convaincu, à partager les idées dont je suis le missionnaire.
Le compère ne disait pas tout. Voyageant avec un zèle très-réel pour la société de Philadelphie, en Américain pratique, il ne négligeait point les intérêts de la maison Tobie and C°.
Le commis-voyageur Cluzeau, ancien sous-officier d’artillerie, grand, sec, au front nul, au nez absorbant le visage, porte la barbiche militaire et de terribles moustaches retroussées jusqu’à ses-gros yeux ronds.
Cluzeau, pour ne point changer complétement de profession, s’est mis voyageur de commerce en pièces hydrauliques, et représente à l’étranger une fabrique d’irrigateurs, types anciens et modernes. Du reste, il ne dissimule point sa prédilection pour le primitif système de nos pères, sans doute en son ancienne qualité de pointeur.
Notre voyageur, guerrier par tempérament, bonapartiste par conviction, est surtout un fanatique partisan de l’ordre. Pas d’ordre, pas d’écoulement pour les irrigateurs, voilà sa foi inébranlable. La guerre et l’ordre sont ses dieux.
Parfois Tobie lui objecte subtilement :  — Comment pouvez-vous professer à la fois un si grand culte pour l’ordre, et pour la guerre qui est le suprême désordre ?
Cluzeau répond en tordant sa moustache :  — Une telle harmonie échappe à un quaker américain... Mais quand on est Français, quand on a contemplé la colonne... quand on a eu l’honneur d’être le pointeur de confiance de S.M. Napoléon III... un fier artilleur, celui-là !... et qui s’y entendait au maintien de l’ordre,.. Au 2 décembre, j’y étais moi ! ça ne nous aurait pas plus coûté de flanquer le feu dans tout Paris que d’allumer un punch... Ils en auraient vu de belles les Parisiens, s’ils n’avaient pas boudé... Voilà qui est comprendre l’ordre !... Hélas ! le pauvre empereur n’a plus besoin de mes services... comme pointeur s’entend...
En vertu de l’axiome « les extrêmes se touchent », Tobie et Cluzeau se sont pris de belle amitié, dans l’espoir évidemment réciproque de se convertir. Le commerce d’ailleurs n’est pas étranger à cette mutuelle tendresse. Le quaker songe pour Philadelphie à une importante commande des pacifiques instruments de Cluzeau... Ah ! s’il s’agissait de fusils, sa conscience ne le lui permettrait pas !
 
Nous mouillons à Barcelone.
On n’a pas oublié les bonnes traditions dans la capitale de la Catalogne ; les formalité

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