Autour du Rhamadan tunisien - Mélanges de voyage et de musique
87 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Autour du Rhamadan tunisien - Mélanges de voyage et de musique , livre ebook

87 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Tunis, ce 25 avril 1887.En ce moment, Tunis mérite plus que jamais le surnom de la « Blanche. » A peine si nous sortons de la Pâque juive, et ces jours de fête ont été précédés d’un badigeonnage général du quartier israélite. On ne rencontrait de par la ville que juives mouchetées de points blancs à la chaux, ce qui donnait à leur visage un petit air fripon, et juifs remorquant l’agneau pascal au bout d’une longe. En a-t-on immolé de ces pauvres moutons !Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782346120222
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Paul Jacquinot d'Oisy
Autour du Rhamadan tunisien
Mélanges de voyage et de musique
A
 
 
MA GRAND’MÈRE
A M. CHRISTIAN HENNINGS
 
De Copenhague.
 
 
Voici le livre que je vous ai annoncé, mon cher ami ; c’est en Savoie, en la vallée de Chamonix, que l’idée me vint de l’entreprendre. Un soir de juillet, je revenais du Mont-Blanc après une descente contrariée par un ouragan subitement déchaîné qui nous effraya fort. Figé, la moustache blanche de givre, la neige montant aux genoux, sautant les crevasses bleues, franchissant les ponts de glace, traversant vite, en silence, les couloirs venteux, l’avalanche à nos trousses : je me promis alors qu’en décembre, fuyant les brouillards sombres, je prendrais ma revanche au pays du soleil, où les lauriers sont toujours roses, les roses épanouies, les flamants roses lissant leurs plumes sur les sables d’or du Seldjoumi, les minois roses..... Seul, le ciel garda son azur immuable ..... et vous battiez la bûche à coups de pincettes, accroupi devant l’âtre, le nez rougi.
Si votre intention est toujours d’essayer l’ascension du mont, n’omettez pas de réclamer au retour le certificat attestant votre réussite. Le mien fut ainsi rédigé :

Tunis, ce 31 juillet 1887.
 (Jour anniversaire).
AUTOUR DU RHAMADAN TUNISIEN

Tunis, ce 25 avril 1887.
En ce moment, Tunis mérite plus que jamais le surnom de la « Blanche. » A peine si nous sortons de la Pâque juive, et ces jours de fête ont été précédés d’un badigeonnage général du quartier israélite. On ne rencontrait de par la ville que juives mouchetées de points blancs à la chaux, ce qui donnait à leur visage un petit air fripon, et juifs remorquant l’agneau pascal au bout d’une longe. En a-t-on immolé de ces pauvres moutons ! Les rabbins ont dû se multiplier, obligés de courir de maison en maison, pour visiter les intestins des victimes, et d’accepter — les malheureux —  une piastre par ménage, chez les trente mille juifs, leurs coreligionnaires.
Nous avions vu l’Israélite faire le sac de l’Hôtel de ville, obliger nos soldats à occuper son quartier militairement, en un mot : fanatisant. Le voici maintenant vêtu avec magnificence, le ventre à table, dormant, chantant huit jours de file, parant ses femmes... Oh, ces juives ! Les a-t-on assez calomniées ! On les a comparées à toutes les bêtes de la création ; on épuisa à leur endroit tout un vocabulaire galant, on prit l’exception pour la règle, on fit systématiquement fi de la gracieuse jeune femme enveloppée jusqu’au sommet de sa coiffure en pointe, encroûtée d’or, d’un voile de satin blanc, si léger qu’il laisse entrevoir les couleurs vives de l’habillement, descend jusqu’aux genoux, laisse à découvert les jambières dorées qui jettent mille feux et le coquet petit soulier toujours prêt à abandonner le pied qu’il emprisonne si mal. Cette femme, dans la rue, qui marche avec mille précautions, donnant à son corps un mouvement de roulis prononcé, avec son haïk gonflé par le vent, on dirait une corvette, voiles déployées ; je m’estimerais heureux si elle daignait jeter l’ancre dans mes eaux.
Mettez en regard les mères et aïeules, masses lippues, matrones de cinquante, soixante ans, qui semblent porter sur elles toute une devanture de charcuterie, et plaignez le sort des pauvrettes qui suivent un régime sérieux pour en arriver à ce point de développement ; obésité prisée, par le juif, chez son épouse, ce juif qui montre pourtant un goût inné dans son costume, chaussé de souliers à la Molière, les bas blancs tirés sur le mollet rebondi, la coiffure si seyante, ce qui ne l’empêche pas d’être généralement un vilain monsieur.
Il était très curieux à étudier le « quartier » pendant ce temps de pieuses orgies. Un de mes amis, cœur sensible, m’aborde l’autre soir, navré : Il avait vu une boulangerie indigène assaillie par une bande d’enfants de dix ans, beaux, candides, comme tous les moutards du pays, le visage barbouillé d’une confiture sanguinolente. Chacun portait sa tête d’agneau pascal, fraîchement coupée, pour la mettre au four ; régal délicieux, paraît-il. Ils lutinaient, s’aspergeant de sang et jouant aux boules avec les chefs des bêtes décapitées.
A nuit close, je m’égarai dans les ruelles juives : Pas une âme dehors et pourtant une vaste rumeur de cris, de chants, emplissant le quartier, s’échappant de l’intérieur des demeures. Ces gens-là ont la joie bruyante et ferment mal leurs portes. Au jour : le plus intéressant, c’était cette orgie de couleurs, ces juives, sur le pas de leur maison, les gamines, jolies à croquer, se promenant par bandes de quatre à cinq, en vestes rouges, jaunes, vertes, caleçons collant, rubans multicolores, mines effrontées... et le reste.
Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre : plus d’invites à la sédition ni à la débauche ; un grand calme, et voici que les musulmans veulent avoir leur tour ; si les femmes n’étaient pas si hermétiquement bouclées, le masque noir appliqué aux tempes, on verrait aussi les effets du badigeonnage, les petites mouches blanches à la chaux de leurs bonnes amies... d’à côté. Les tailleurs des souks sont sur les dents, ils dessinent leurs broderies d’or les plus délicates sur fond de velours. Hier, passant devant le Bardo, je remarquai qu’on crépissait les murs extérieurs du palais des beys, on badigeonne également les mosquées, les muezzin enfluent davantage leur voix en haut des minarets, enfin vous pouvez constater une animation anormale qui va croissant et atteindra la démence aux jours du carême arabe, le Rhamadan, qui est proche.

*
* *

Tunis, ce 28 avril 1887.
Pour un peu je fuirais bien loin afin de ne pas me trouver ici ces jours dits : des Ministres. On les attend deux tout entier, escortés de cent députés, sénateurs, journalistes et une queue ; une vraie caravane de chameaux avec les bosses de toutes perfections. Jules Ferry est aussi dans nos murs, il vient contempler son œuvre : la Tunisie. Le bey a mis ses voitures à sa disposition. Il loge chez le ministre de la Plume.
A voir les préparatifs : lampions, drapeaux, tremplins, on croirait Tunis sous-préfecture de dernière classe, mijotant son petit 14 juillet.
J’ai conduit ce matin mon ami Fagault à la Goulette. Il prend le bateau d’Orient pour Kaïrouan. Allah le ramène et les bibelots qu’il doit me rapporter. Nous avons fait de compagnie une délicieuse traversée du lac Bahira, argenté sous un ciel clair. Un vol de flamants roses, émigrant au Seldjoumi, a passé sur nos têtes. Ces vers de Sully Prudhomme étaient de circonstance :

« Vois là-bas dans la brume onduler ce coteau 1 Rose au bord d’un lac bleu qui miroite et se plisse. Il semble qu’une Hébé s’éveille avec délice, Froissant le lit soyeux que lui fait son manteau. »

Tunis, ce 1 er mai 1887.
A M. Fagault de passage à Kaïrouan, la ville sainte.
 
Mon cher camarade,
 
Nos ministres sont partis ce matin à midi. On les a régalés durant leur séjour d’une ascension de ballons, courses, fantasia, feu d’artifice, dîners et soirées officiels, Marseillaise, etc... toutes réjouissances banales. Le principal attrait de ces fêtes eut été pour vous, comme il le fut pour moi cette agglomération du populaire tunisien, si curieux à observer. Quand j’arrive sur le vaste tapis vert, inondé de soleil, bordé par le lac et la Goulette au loin ; puis le Bou-Kornein, enfin les maisons en terrasse garnies de loques éclatantes et de grappes humaines : un groupe où des hommes gesticulent très fort attire mon attention. Un élève du collège Sadiki, que je reconnais à son caban à capuchon noir et aux deux croissants brodés d’or du collet, vient de découvrir un scorpion sous l’herbe. Affreux, le coin où se dresse l’usine à gaz avec ses deux chaudières et sa cheminée qui gâte le paysage et enfume de grêles arbrisseaux ; les deux ballons bruns qu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents