Dhuoda la Carolingienne
259 pages
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Dhuoda la Carolingienne , livre ebook

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Description

Après la mort de Charlemagne, son fils Louis, seul héritier, partage l'immense empire entre ses trois fils. Mais il se remarie avec Judith de Bavière et de cette union naît un quatrième garçon, Charles. Voulant sans cesse agrandir leur territoire et ne cherchant nullement à préserver l'unité du royaume, les petits-fils de Charlemagne entretiennent d'incessantes querelles durant plus de trente ans. Ces conflits successifs affaiblissent le colossal territoire que Charlemagne avait constitué.
Dhuoda, femme de haute culture, épouse du duc de Septimanie, est l'héroïne de ce roman. Partagée entre les attirances spirituelles et les événements quotidiens, elle se nourrit de lectures, vit les grands émois de l'écriture et entretient sa passion pour les enluminures des parchemins. Mais elle subit aussi la cruelle déception de ne pouvoir élever ses deux fils, gardés en otages à la cour de Charles le Chauve.
Dhuoda, qui trouva des compensations dans le bonheur d'écrire, nous laissa un bel héritage littéraire, notamment Manuel pour mon fils. Elle figure au premier rang des écrivains de son époque, bien que ses contemporains l’aient complètement ignorée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 février 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374532837
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jocelyne Godard
Dhuoda la Carolingienne
Page 38
CHAPITRE I
 Lorsqu’en 814 le roi Louis, fils de Charlemagne, mit le pied aux portes d’Aix-la-Chapelle, là où son père avait prestigieusement installé sa cour, de multiples ridules sillonnaient déjà son visage et le poids de l’Empire qui, subitement, s’abattait sur lui, voûtait ses larges épaules, bien que son poitrail restât vigoureux et fort. À peine âgé de trente ans, Louis venait d’en prendre son parti. Il serait sacré empereur tout comme son illustre père. Sous des sourcils clairsemés, son regard changeait à toute allure. Du gris métallisé lorsqu’il se sentait froissé, indisposé, voire choqué, il passait à un bleu pâle et caressant dès que l’inquiétude le quittait. Mais ces deux oppositions ne caractérisaient en rien l’unique panoplie de ses yeux. Ouverts, grands et brillants, une palette de nuances les traversait selon ses humeurs enjouées ou maussades.
 Beau, il ne l’avait jamais été. Son frère Charles, mort en 811, de taille bien qu’au-dessous de la moyenne, portait plus fière allure et assimilait déjà, dès l’adolescence, les prérogatives que lui assurait une future royauté bien établie. En dépit de la courte durée où l’ambition de succéder à son défunt frère s’était installée, Pépin se prémunissait déjà de toutes les audaces, mais un stupide accident faucha sa vie qu’entamaient à peine de téméraires idées et la couronne impériale revint ainsi au plus démuni des frères, Louis, le cadet.
 Certes, les attitudes réservées et pudiques dont Louis s’entourait et l’air affligé, parfois jusqu’à la limite de la soumission qu’il se plaisait à afficher, ne lui ôtaient ni l’esprit brillant, ni la vaste culture héritée de son père. Mais, là s’arrêtait la ressemblance. Après ces longues périodes successives de pillages et de barbarie, seule, l’église pouvait assurer l’unité du royaume et, si Charlemagne avait tout naturellement conclu une alliance avec elle, davantage par obligation que par goût, Louis était motivé par une foi profonde et inaltérable. Qu’il entrât dans une église et son regard devenait cristallin comme de l’eau de source jaillissant d’une roche montagneuse.
 Bien que Louis fût à la fois roi des Francs et, deux ans plus tard, couronné empereur par le pape Étienne V, son allure ne se hissait guère au rang suprême de la royauté. Si, de leur vivant, Charles et Pépin portaient des vêtements richement brodés d’or et de pierreries qui leur venaient de Byzance, Louis se dissimulait dans de sombres manteaux chauds et amples ne laissant entrevoir que son large visage surmonté de cheveux blond cendré. Il n’avait ni le goût du luxe, ni celui du gaspillage pour des ornements coûteux et voyants.
 Seul héritier et roi d’un immense territoire, le premier Louis de France ne se sentait guère prêt pour empoigner vigoureusement la succession de son père. D’ailleurs, seul Charles, l’aîné, était préparé à devenir empereur. L’ambition de Pépin, à la mort de son frère, avait tout naturellement pris le relais. N’ayant pu prévoir l’éventualité du brusque décès de ses deux fils aînés, l’empereur avait insuffisamment préparé Louis à subir une aussi lourde tâche et celui-ci se sentait parachuté dans un monde qu’il cernait encore difficilement et qu’il devinait plein d’embûches. Il fallait donc assurer, seul, le retournement inopiné de la situation.
 Hermingarde, sa douce et calme épouse, aussi effacée que pieuse et qui avait assuré la descendance royale puisque trois fils, Lothaire, Pépin et Louis gravissaient allègrement les marches de l’adolescence, se retirait très vite derrière ses prières ou ses tapisseries. Qu’elle versât dans une dévotion sans mesure que partageait volontiers le roi, sensibilisait fortement l’église, et c’est avec une intention non cachée que l’épiscopat répercutait le sobriquet de « Louis le Pieux » que son peuple lui avait donné.
 La cour attendait son nouveau roi non pas dans l’allégresse, mais du moins avec une sorte de curiosité bienveillante où personne ne se tenait dans l’expectative. Les ordres, pourtant, ne devaient pas tarder à tomber.
 Chants grégoriens et chants messins 1 l’accompagnèrent jusqu’à son nouveau trône. Qu’une telle musique d’église l’intronisât de la sorte ne pouvait que lui plaire. Ce fut là le seul point en accord qu’il eut avec la cour.
 Il fallait bien souligner que le roi Louis tombait de façon abrupte, au cœur de ce palais d’Aix, comme un affreux vautour dans une volière bruyante et caquetante où toutes les oiselles suivaient, depuis longtemps, les mœurs libertines qu’avait toujours encouragées Charlemagne.
 Le premier choc qu’il eut ne fut pas de constater la liberté d’idées qui s’y était installée et la fréquence des débats philosophiques qui s’y tenaient, car Louis se nourrissait, depuis son plus jeune âge, de discussions théologiques et s’intéressait à tout ce qui touchait la culture et les arts, mais de sentir la tournure licencieuse qui circulait dans tout le palais. Ces agissements audacieux, allant jusqu’à l’inconvenance, frisaient même l’indécence.
 Ses demi-sœurs, à l’exception de Berthe l’aînée, qui approchait de la soixantaine et ne pouvait plus guère se permettre de fantaisies libertines, s’adonnaient facilement à des pirouettes amoureuses dont les débordements surgissaient dans chaque recoin du palais.
 Théodorade et Hiltrude, filles de la quatrième épouse de son père, jolies femmes bien que la première fût trop petite et la seconde plus noire qu’une Arabe, ne se gênaient pas pour apostropher gaillardement chambriers et soldats. Rothilda, fille de la cinquième épouse de Charlemagne, s’affichait sans honte avec un ventre rebondi qui ne cachait nullement la proche naissance à venir. Quant à la paternité, Rothilda ne semblait guère s’en soucier. Régina, Adalinde, Guersindre, les jeunes concubines de feu son père et dont l’âge ne dépassait guère celui de ses sœurs, débauchaient allègrement les jeunes seigneurs dont le sexe hardi se dissimulait à peine sous des collants de fine étamine que rehaussaient des chausses aux teintes colorées.
 Seule, l’École du Palais, qu’avait créée Charlemagne avec l’appui de quelques grands évêques, Alcuin, Paul Diacre et Théodulf, ses amis et conseillers, échappait à cette cavalcade de débauches. Poursuivant un sens hautement culturel, ouverte à toutes les idées artistiques et intellectuelles, l’École de Charlemagne s’élevait parmi les plus renommées de tout l’Occident.
 À cette époque bien précise où Louis le Pieux entrait à Aix, la perle de cette institution brillait en la personne de la jeune Dhuoda 2 dont quatorze années façonnaient déjà, non seulement la jolie silhouette, mais un esprit et une intelligence acérée qui la dégageaient, à l’exception de Nithard 3 des autres élèves de Théodulf 4 .
 Fille d’une petite cousine d’Hildegarde, mère de Louis le Pieux, la souche noble de Dhuoda remontait au siècle de Gontran, roi de Bourgogne et petit-fils de Clovis. Lorsque ses parents, tués à Byzance dans les querelles de l’iconoclastie, la laissèrent orpheline, elle se vit dotée de territoires en Bourgogne et en Austrasie que l’on plaça sous la tutelle de Louis, roi des Francs. Réclamée à la cour d’Aix pour y être élevée avec les nombreux petits-enfants de Charlemagne, Dhuoda ne l’avait quittée que pour se rendre deux ou trois fois sur son territoire natal.
 Combien de fois l’esprit curieux de Dhuoda s’était-il évadé dans les remous de cette curieuse querelle des iconoclastes venant d’Orient. Toutes les images du Christ, de la Vierge et des saints, étaient si puissamment vénérées par les Byzantins qu’aux yeux des chrétiens francs, elles engendraient une véritable hérésie. Ce culte qui s’étendait depuis presque un demi-siècle prenait des allures quasi païennes qu’il fallait enrayer au plus vite. Désirant ardemment conserver le soutien de Byzance, le pape Léon III avait fait appel à la compréhension et à la clémence de Charlemagne, mais celui-ci était resté intransigeant et avait condamné le culte de toutes les images religieuses.
 Élevée aux côtés de Théodulf, on peut comprendre que la jeune Dhuoda, éprise de toute la culture qui fleurissait à cette époque carolingienne, puise en son père spirituel, son maître et son admirateur, la force et l’énergie dont elle ne demandait qu’à restituer tout le fruit.
 Théodulf, ancien évêque d’Orléans que Charlemagne avait fait venir au Palais pour qu’il y enseignât les lettres et les arts avait, dix ans plus tôt, fait construire la chapelle et l’oratoire de Germigny de Saint-Benoît-sur-Loire. Poète, écrivain, artiste, il s’acquittait de sa tâche d’éducateur avec un talent qui n’avait d’égal que celui de son prédécesseur Alcuin 5 . Depuis que, sous leurs impulsions successives, l’Abbaye de Fleury-sur-Loire devenait un des plus grands centres d’études, les monastères et les églises voyaient un développement grandiose dans l’art d’apprendre. Celle de Germigny des Prés, dans un style byzantin, en était un des joyaux les plus représentatifs.
 Parmi cette classe de bruyants enfants qu’il tentait de maintenir dans le respect et la réflexion, la jeune Dhuoda était, certes, sa plus grande fierté. Très tôt, il l’avait initiée au latin, au grec et à l’hébreu, lui apprenant les auteurs anciens, qu’ils soient religieux ou païens. Mais ce que la petite fille semblait le plus apprécier résidait dans la lecture de l’ancien et du nouveau testament. Dhuoda absorbait et digérait tout. Elle discutait avec une aisance et une sûreté à toute épreuve. La riche bibliothèque du Palais qui s’emplissait, chaque jour davantage, d’enluminures et de textes divers achevait de la perfectionner.
 Ce lieu de savoir qu’avait institué Charlemagne atteignait une renommée prestigieuse que le nouvel empereur Louis comptait bien conserver et entretenir. Ouvert en permanence, Dhuoda y restait de longues heures, allongée sur les épais tapis moelleux qui recouvraient les sols de mosaïque.
  
 Pour appliquer le testament de son père, Louis avait réuni sa famille dans la grand

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