Histoire de ma mort
86 pages
Français

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Histoire de ma mort , livre ebook

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Description

J’avais, coudes serrés à hauteur de poitrine, l’espace de douze années, frayé mon chemin dans la mêlée impitoyable de la vie parisienne ; sans jamais tendre la main à ceux qui, froissés par mon élan, tombaient autour de moi sur l’arène, les yeux fixés sur le but de mes convoitises, toujours le même, la satisfaction de mon égoïsme par tous les moyens que ne réprouve pas l’esprit casuistique de la petite morale, j’avais marché. Adepte de l’art, moins par conviction esthétique ou par besoin de donner un corps aux évocations idéales de mon esprit que pour traduire sous une forme visible les appétits de mes sens, satisfaire le démon de la vanité, et, par-dessus toute chose, acheter le droit d’être impunément heureux selon mes désirs, j’avais demandé à la peinture le secret des lignes lascives et des chairs luxuriantes.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782346097104
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Antonin Mulé
Histoire de ma mort
HISTOIRE DE MA MORT
J’avais, coudes serrés à hauteur de poitrine, l’espace de douze années, frayé mon chemin dans la mêlée impitoyable de la vie parisienne ; sans jamais tendre la main à ceux qui, froissés par mon élan, tombaient autour de moi sur l’arène, les yeux fixés sur le but de mes convoitises, toujours le même, la satisfaction de mon égoïsme par tous les moyens que ne réprouve pas l’esprit casuistique de la petite morale, j’avais marché. Adepte de l’art, moins par conviction esthétique ou par besoin de donner un corps aux évocations idéales de mon esprit que pour traduire sous une forme visible les appétits de mes sens, satisfaire le démon de la vanité, et, par-dessus toute chose, acheter le droit d’être impunément heureux selon mes désirs, j’avais demandé à la peinture le secret des lignes lascives et des chairs luxuriantes.
Déjà les fanfares de la réputation sonnaient à mes oreilles, lorsque je fus soudain frappé d’un mal inexplicable : à peine âgé de trente ans, une lassitude invincible paralysa la vigueur alanguie de ma jeunesse, sourdement rongée par le bouillonnement des passions. Il me parut qu’un germe de sénilité s’étant glissé avant l’âge dans mes veines, une dissolution prématurée des éléments de mon être m’arrachait à l’hospitalité de la vie.
Un matin, plus découragé que de coutume, abandonnant mon logis, où l’ennui me livrait pieds et poings liés aux tortures de la réflexion, j’allai quérir par les rues, au milieu de la solitude peuplée des foules, le salutaire reconfort de la distraction.
Le temps était alors à l’émeute : las de la stratégie des luttes parlementaires, des hommes, plus redoutables par le courage que par le nombre, appelaient parfois la royauté de Juillet sur le champ de bataille de l’insurrection, où le canon, orateur populaire tonnant sur la barricade, donnait des avertissements au Moniteur.
A la hauteur de la rue Saint-Denis, tout à coup, à vingt pas de moi, éclata une fusillade nourrie. La résistance fut de courte durée, et, m’étant avancé dans la direction de l’échauffourée, j’aperçus quelques hommes en blouse aux mains des gardes municipaux. L’un de ces hommes, — était-ce le chef ? — debout, s’appuyait contre la fermeture criblée de balles d’une boutique, dans une pose que n’eût pas désavouée l’antique. Je l’examinai avec attention : il était calme, les bras croisés, le front sanglant, faisant tomber sur la foule des furieux qui se pressaient en grande hâte autour de lui le poids d’un regard où la pitié tenait plus de place que la colère. La dignité dans la défaite est la marque d’un caractère viril et d’une conscience en repos. Chez ce vaincu la dignité prenait les proportions de la majesté : sa bouche restait close, mais toute sa personne avait une expression éloquente sur le sens de laquelle il n’était pas permis de se méprendre, et son silence remuait les passions de la foule plus profondément que n’eût fait un discours de tribun. Au bout d’un quart d’heure, les insurgés se mirent en marche pour Sainte-Pélagie, sous l’escorte d’un bataillon d’infanterie, et, rêveur, je continuai ma route, me demandant tout bas si le dévouement au triomphe d’une cause contenait en soi une telle récompense qu’elle pût payer à un homme convaincu le sacrifice de sa fortune, de sa liberté, de sa vie.
Longtemps je méditai ; quand je relevai la tête, la morgue se dressait devant moi ; j’entrai. Nombre de passants, amenés là par l’attrait du spectacle, avaient collé leur visage contre le treillis de fer qui sépare le public de la salle d’exposition, et se délectaient à voir les corps gisant sur les tables de marbre. Entre tous les autres, le cadavre d’une femme qu’on venait de retirer de la Seine se faisait remarquer. Jeune, — vingt ans à peine, — les contractions de l’agonie n’avaient pas entièrement déformé le visage de la misérable ; ses longs cheveux blonds dénoués, ruisselants, épars sur ses épaules nues, étaient le cadre harmonieux où ses traits faisaient valoir leur ravissante finesse de lignes ; un front légèrement bombé, des cils délicats, des lèvres d’une courbure exquise, appelaient la curiosité des yeux et l’émotion du cœur.
« Marie ! s’écria soudain près de moi, en apercevant le cadavre, une ouvrière, la dernière entrée dans ce caravansérail de la mort violente. — Pauvre fille ! ajouta-telle en pleurant, l’ouvrage n’allait pas... le pain manquait, sans doute à la maison... elle s’est noyée !.. »
L’ouvrière courut au greffe reconnaître la suicidée.
Belle ! et morte faute d’un peu de pain ! Elle est, hier au soir, descendue de sa mansarde, et ne s’est pas arrêtée dans la rue, préférant à l’aumône impudique du trottoir la charité inexorable du fleuve !
Je retournai sur mes pas, et, prenant par la rue de la Barillerie, m’avançai d’une allure rapide vers le Pont-au-Change, afin de repasser la Seine. Devant la grille du Palais, une voix m’appela par mon nom ; une main amie se posa sur mon épaule.
« Etienne Margas ! m’écriai-je.  — Lui-même, répondit le nouveau venu en passant familièrement son bras sous le mien. Ah ! ah ! je vous tiens donc, Jacques, reprit-il avec bonhomie ; ne songez pas à vous échapper, je m’attache à vous et ne vous quitte pas d’aujourd’hui. Pestez, jurez, sacrez à votre aise, je vous garde. A propos, et ces humeurs noires qui nous poursuivaient comme une meute de furies, leur avons-nous signifié leur congé ?  — Au contraire !  — Comment, au contraire ? vous les hébergez à plaisir ? » — Et voyant que je gardais le silence : « Ne changerez-vous donc pas, mon ami ? ajouta Etienne d’un ton attristé. J’avais cependant, jusqu’ici, bon espoir en votre énergie. Le mal est grave, sans doute, mais point inguérissable. Tenez, venez avec moi : une visite à faire, nous ne serons pas longtemps ; puis après, nous causerons, nous discuterons, nous nous entretiendrons enfin de ce qui nous tient tant à cœur, votre santé. Nous allons à la Conciergerie : un ami devait y venir avec moi, il m’a fait défaut au dernier moment, vous le remplacerez.  — Je vous suis. »
Etienne Margas était, — aujourd’hui, après avoir fait son temps de vie, son corps est revenu à la source commune, — un homme de cinquante ans environ. Sur son visage se lisaient : loyauté, sincérité, justice ; l’enseigne n’était pas trompeuse. Sa figure attirante, et qu’il fallait faire effort pour cesser de regarder, ne se pouvait oublier dès qu’on l’avait vue une fois. Le front manquait d’ouverture, mais il se projetait en avant, comme s’il avait eu peine à contenir les bouillonnements de la pensée, et la bouche dénonçait une inépuisable bonté qui s’épanchait au dehors en paroles dont le charme ne pourrait se décrire. Qui n’a pas vu les yeux d’Étienne ignorera toujours ce qu’un regard peut contenir de fraternelle attraction et d’effusion sympathique : il les voilait à demi sous une paupière fatiguée par le vif éclat de la lampe des nuits laborieuses.
Il vivait d’œuvres pies, et par œuvres pies je n’entends pas ces œuvres stériles procédant en droite ligne d’une dévotion humiliante, mais ces travaux, fruits de l’apostolat humain, qui élèvent les âmes au lieu de les abaisser, ne déplacent pas le centre lo

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