Introduction à mes mémoires
89 pages
Français

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Introduction à mes mémoires , livre ebook

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Description

A l’âge de vingt-quatre ans, après avoir creusé jour et nuit pendant dix-huit ans tous les principes ésotériques et exotériques de la théologie juive dans les langues hébraïque et chaldéenne, je venais de refuser, malgré mon diplôme, d’entrer dans les ordres du rabbinat, pour ne pas mentir à ma conscience, au risque de ne pas trouver un autre gagne pain.Nous autres élèves rabbiniques à Francfort, presque tous Alsaciens, nous nous enseignions mutuellement le grec et le latin, en lisant à haute voix les chefs-d’œuvre de ces langues avec la traduction littérale en regard et l’analyse grammaticale ; méthode suivie également pour l’anglais et l’italien.Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782346079544
Langue Français

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Alexandre Weill
Introduction à mes mémoires
I
A l’âge de vingt-quatre ans, après avoir creusé jour et nuit pendant dix-huit ans tous les principes ésotériques et exotériques de la théologie juive dans les langues hébraïque et chaldéenne, je venais de refuser, malgré mon diplôme, d’entrer dans les ordres du rabbinat, pour ne pas mentir à ma conscience, au risque de ne pas trouver un autre gagne pain.
Nous autres élèves rabbiniques à Francfort, presque tous Alsaciens, nous nous enseignions mutuellement le grec et le latin, en lisant à haute voix les chefs-d’œuvre de ces langues avec la traduction littérale en regard et l’analyse grammaticale ; méthode suivie également pour l’anglais et l’italien. Nous ne nous couchions jamais avant une heure du matin.
Malgré ma belle voix de poitrine, à laquelle j’ai dû la gratuité de mes études rabbiniques et de mes études musicales payées par une société d’amateurs, je venais de refuser la proposition relativement brillante d’un engagement comme premier ténor, pour n’être pas esclave de mon corps et d’un public quelconque. J’avais fait le serment, dès l’âge de treize ans, âge de la première communion du juif, de ne jamais dépendre d’un homme, me rappelant et répétant presque tous les jours le verset de David : « Ne compte jamais sur un mortel humain, si grand qu’il soit. Le secours de l’homme est vain ! Ne compte que sur Dieu, qui ne t’abandonnera pas ! » serment qu’on ne peut tenir qu’avec la ferme résolution de vivre, à la rigueur, de pain bis, de fromage, de radis noir et d’eau, et de ne pas courir après les robes de soie ; serment que j’ai tenu. Je gagnais ma vie en donnant des leçons de français et d’hébreu et en bâclant toutes les semaines, pour le journal français de Francfort, outre les traductions journalières des nouvelles politiques allemandes, un rapport succinct sur le mouvement littéraire en Allemagne. Ce journal était rédigé par M. Charles Durand, plus tard rédacteur en chef du Capitole de Paris, et par M. Pompée, frère du Pompée qui a créé l’école de la rue des Vinaigriers à Paris, tous deux ne sachant pas un mot d’allemand. M. Durand recevait une subvention de dix mille francs du roi Louis-Philippe. Sauf quelques observations sur le théâtre allemand, M. Durand insérait rarement mes rapports, panachés de républicanisme, dans son propre journal, mais j’en trouvais plus d’une fois les tronçons dans le Moniteur de Paris. J’étais censé recevoir pour ces travaux quatre-vingts francs par mois, mais je n’ai jamais vu la couleur d’une pièce de cent sous de M. Durand, toujours besoigneux, pas plus à Francfort qu’à Paris, où je l’ai rejoint en qualité de secrétaire particulier !
Par contre, ayant à ma disposition, dans les bureaux du Journal de Francfort, tous les grands et petits journaux de Paris, ainsi que toutes les Revues de cette époque ; j’improvisais toutes les semaines une correspondance datée de Paris, que je n’avais jamais vu, sur le mouvement politique et littéraire de la France ; correspondance qui, bien que teintée de couleurs démocratiques, fut insérée tantôt dans la Gazette d’Augsbourg, tantôt dans le Monde Élégant de Leipzig, alors l’organe littéraire de la Jeune Allemagne, tantôt encore dans le Correspondant de Nuremberg, correspondance anonyme qui fut longtemps attribuée à Henri Heine et qui me fut assez bien payée.
Ne connaissant Paris et la France que par le dessus du panier des journaux, je voyais tout en beau, et mes articles datés de Paris étaient une suite de dithyrambes poétiques sur les lettres, les arts et les théâtres, comparés avec les productions littéraires et artistiques de l’Allemagne d’alors. Dans mes articles français, je relevais toutes les semaines les tendances révolutionnaires et émancipatrices de la Jeune Allemagne, composée d’un groupe de jeunes littérateurs de mon âge, tous hégeliens, marchant sur les traces de Hugo, de Balzac, de Sand, heurtant de front, de propos délibéré, tous les préjugés religieux et sociaux de la vieille Allemagne sur le mariage, la noblesse et la hiérarchie féodale, prêts à tendre les bras, par-dessus le Rhin, aux révolutionnaires politiques et littéraires, voire même aux socialistes de la France de 1830. Lorsque, au commencement de 1836, arrivèrent à Francfort le père Dumas, tout radieux de gloire et de jeunesse 1 , et Gérard de Nerval, moins glorieux, mais aussi moins superficiel et moins présomptueux. J’avais déjà fait la connaissance de Taxile Delord, qui s’était arrêté une quinzaine de jours à Francfort et qui m’avait chaleureusement et itérativement engagé à quitter l’Allemagne ; mais Gérard, en moins de vingt-quatre heures, devint mon ami. Pendant son séjour de deux mois sur les bords du Mein et du Rhin, nous ne nous sommes pas quittés un jour, et cette amitié n’a cessé qu’avec sa vie.
Gérard, en très peu de temps, avait jeté de l’eau glacée sur mon enthousiasme de feu pour Paris. Avec son sourire saccadé et quelque peu méphistophélique, il me montrait le dessous de stuc de ces palais de marbre et le revers de zinc de ces médailles d’or et de bronze. Je l’écoutais bouche bée avec un serrement de cœur. Pen à peu il fit tomber de mes yeux toutes les écailles d’or des splendeurs de Paris, et finalement, au lieu de me peindre le paradis où trônaient les grands hommes d’État à côté des héros nimbés de la littérature, il me fit passer à travers un enfer de charlatans corrupteurs et de dupes corrompues. Je n’acceptai ses jugements que sous bénéfice d’inventaire. Un jour, après avoir écouté ses ricanements diaboliques sur les hommes politiques de ce temps, qu’il traitait d’austères blagueurs, ainsi que sur les mœurs et la camaraderie des hommes de lettres les plus glorifiés de cette époque, je m’écriai, dans un accès de présomption prophétique : Si cela est ainsi, il faudrait, comme Isaïe, jeter une barre de fer au milieu de ces pots de terre !  — Les barres de fer, me répondit Gérard, ne manquent pas à Paris. On les dore pour leur enlever le tranchant de l’acier.
Tout en ricanant, Gérard me promit son amitié et son appui pour Paris. Il mit à néant toutes les objections que je lui défilais pour ne pas changer un terrain aplani contre un autre bien hasardeux, plein de secousses et de soubresauts ! « Étant né Français, me répondit-il, il vaut mieux être le dernier des Français que le premier des Allemands ! » Il ne m’a pas trompé. Dès mon arrivée à Paris, vers la fin de l’année 1836, il me servit de mentor et d’introducteur auprès de tous les personnages en évidence du roman, du théâtre et du journal. En ma qualité de républicain, je me présentais tout seul auprès des coryphées de ce parti, sans même toucher à mes lettres de recommandation, que je possède encore. En très peu de temps, je fus initié aux rouages scientifiques, politiques, littéraires et journalistiques de Paris !)
1 Dans Ma Jeunesse, J’ai décrit le roman de Damas, que j’appelle « le grand vainqueur », avec M me Octavie Durand ; roman auquel Je dois le bonheur d’avoir pu quitter l’Allemagne, ma patrie d’études, pour retourner on France, ma patrie de naissance.
II
J’allais de déception en déception, de désillusions en désillusions !
En touchant le fond des choses (et grâce à ma lourdeur allemande j’y touchai d’aplomb), je trouvai partout non seulement l’insincérité, mais encore l’ignorance, non pas l’ignorance qui s’ignore elle-même, mais la pire de toutes, l’ignorance spirituelle et railleuse qui, pour cacher le vice de n’avoir rien appris, feint la vertu de tout savoir d’emblée, mieux encore, de n’avoir pas besoin de savoir.
Je trouvai M. Cousin, le chef spirituel de l’Université, traduisant Platon sans savoir le grec et faisant décerner un prix de vertu à sa maîtresse adultère. Je trouvai Philarète Chasles, traduisant soi-disant Jean-Paul Richter sans savoir un mot d’allemand. Je trouvai les professeurs du Collège de Fr

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