L empyrée
151 pages
Français

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L'empyrée , livre ebook

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Description



Normandie, 1908.



Si Kieren a toujours été un enfant en marge, les secrets qu’il dissimule ne font rien pour arranger les choses. Lorsqu’il quitte l’Angleterre pour la France, où son oncle lui a trouvé une place de domestique chez les Le Bellanger, une riche famille bourgeoise, il se fait immédiatement remarquer à cause de son attitude distante, de son absence totale d’émotions, et surtout, à cause de cette énorme cicatrice qu’il arbore au milieu de la figure. Mais tout cela n’est rien comparée à l’étrange relation qu’il semble nouer avec Dante, son maître, un jeune homme instable et colérique. Aussi, le jour où Lydia Jouey disparaît, Kieren est aussitôt soupçonné. Dès lors, il s’engage sur une pente glissante : chaque secret, chaque mystère attisent la vindicte populaire et Kieren fonce droit vers le danger.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 juillet 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782491826253
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Empyrée
1908
Printemps
Mars
— C’est donc toi, le neveu ? demanda Raphaël.
Il enfonça sa bêche dans le sol d’un coup sec et plissa les yeux pour mieux voir le visage du garçon qui se tenait devant lui, à contre-jour. Il ne distinguait pas bien ses traits, mais devina à sa silhouette mince qu’il s’agissait d’un adolescent de dix-sept ou dix-huit ans. Son examen terminé, il n’avait toujours pas obtenu de réponse. Il afficha une moue dubitative, croyant que son interlocuteur l’ignorait volontairement.
— Melvin t’attend dans la cuisine, dit-il en se remettant au travail.
Il retourna une motte de terre et nota que le gamin restait planté devant les grilles du portail, l’observant attentivement. Raphaël ficha de nouveau son outil dans le sol et s’approcha de lui, les mains sur les hanches.
— Melvin t’attend dans…
Il s’interrompit et dévisagea le supposé neveu de son collègue, stupéfait. Une fine cicatrice courait sur la partie droite de sa figure, s’étirant de la tempe jusqu’à la mâchoire. À sa couleur rose pâle, il pouvait deviner qu’elle était assez récente. Ne voulant pas paraître désobligeant, il détourna le regard. Le garçon dit quelque chose, mais Raphaël ne saisit pas le moindre mot. Cependant, il reconnut l’intonation que prenait parfois Melvin quand le français lui échappait. Il se traita d’imbécile en pensant que l’adolescent était vraisemblablement anglais, lui aussi, et qu’il n’avait rien compris de ses paroles. Il pointa le côté gauche de la demeure qui trônait au bout de l’allée de sable blanc. Le gamin acquiesça, ramassa son gros sac de toile et poussa la lourde grille qui s’ouvrit en grinçant. Il marcha d’un pas lent vers son nouveau logis, regardant droit devant lui.

Kieren ignora l’harmonie des buissons minutieusement taillés qu’il longeait. Les fragrances sucrées des premières fleurs printanières n’éveillèrent rien en lui. Même le petit manoir normand des Le Bellenger, pompeusement nommé l’Empyrée par un aïeul de la famille – d’après ce que lui avait déjà appris son oncle dans ses courriers –, ne lui procura aucun sentiment d’admiration. Pourtant, la bâtisse semblait cossue et agréable. Elle s’élevait sur un étage et sa façade percée de hautes fenêtres laissait deviner un intérieur lumineux. Sous le toit pentu de tuiles sombres se trouvaient sans doute les quartiers des domestiques. Le monde dont le jeune homme était issu ne l’avait pas habitué à une telle exactitude. Les lignes nettes, les couleurs tranchées et éclatantes… Lui ne connaissait que la grisaille et la crasse de Birmingham, une ville industrielle de l’ouest des Midlands anglais.
Il contourna le bâtiment et trouva la porte de service. Il descendit les trois marches qui y menaient et l’ouvrit. L’entresol bruissait d’une lointaine agitation et il entendit des couvercles s’entrechoquer sur des casseroles ou des marmites, puis une voix de femme s’éleva des tréfonds de l’antre des domestiques. Il avança dans l’étroit couloir et se dirigea vers ce qui lui sembla être la cuisine. Sur sa droite, il déboucha dans une grande pièce dont le centre était occupé par une immense table en chêne croulant sous le poids de plats et de diverses provisions. La voix qu’il avait entendue appartenait à une femme à la large taille comprimée par un corset passé de mode depuis au moins vingt ans. Ses cheveux blonds, striés de gris, étaient tirés en un sévère chignon dont s’échappaient quelques mèches frisées par la vapeur échappée d’une gamelle. Elle touillait une sauce avec énergie, le visage rougi par l’effort.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-on derrière lui.
Le garçon tourna son regard froid vers une adolescente un peu plus jeune que lui. Il vit les yeux de son interlocutrice accrocher sa cicatrice et inclina instinctivement la tête pour la dissimuler. Quand le jardinier l’avait dévisagé, il ne s’était pas senti aussi gêné.
— Melvin Lloyd, croassa-t-il.
En entendant la question de la jeune fille, la cuisinière remarqua enfin la présence du nouveau venu. Il se sentit détaillé de la tête aux pieds et ce qu’elle voyait lui déplaisait, à en croire la moue dégoûtée qu’elle esquissa. Sa tenue dépenaillée, avec son veston de tweed troué aux coudes, son gilet trop grand, sa chemise mal boutonnée et son pantalon trop court, lui donnait sans doute l’air d’un vagabond.
— Qu’est-ce que tu lui veux ? fit-elle d’un ton peu amène.
Il resta muet.
— Constance, va chercher Melvin pendant que je surveille ce drôle.
Un silence pesant s’installa, seulement troublé par le frémissement de la sauce qui bouillonnait dans une casserole posée sur le piano en fonte. Kieren fixait un point imaginaire situé au-dessus de la tête de la cuisinière, perdu dans ses pensées.
— Kieren ?
En entendant son prénom, il se ranima et son visage, inexpressif jusqu’alors, se fendit d’une ombre de sourire lorsqu’il vit un homme chauve d’une cinquantaine d’années s’avancer vers lui. Melvin le serra dans ses bras puissants pour le soulever de terre.
— Je suis content de te voir, gamin ! s’exclama Melvin en anglais.
Il le reposa et prit le menton de Kieren entre deux doigts pour examiner sa figure.
— Tu as mauvaise mine, constata-t-il. Si je t’avais croisé dans la rue, je ne t’aurais pas reconnu.
La dernière fois que son oncle l’avait vu, une dizaine d’années plus tôt, Kieren était encore un petit garçon potelé, aux joues rouges et rebondies. Depuis, il était devenu très mince et pâle, ses cheveux blonds, presque blancs, avaient été coupés à ras et ornaient sa tête d’une auréole. Seuls ses yeux en amande, aux paupières qui s’étiraient vers les tempes, n’avaient pas changé et leur iris, oscillant entre le bleu et le gris, paraissait translucide.
Comme Constance et la cuisinière les examinaient avec une curiosité perplexe, Melvin revint au français pour faire les présentations.
— Mesdames, voici Kieren. Ma belle-sœur me l’envoie. Dorénavant, il travaillera avec nous. Kieren, voici Constance et madame Dubois.
Kieren accueillit les noms de ses nouvelles collègues avec un léger haussement d’épaules. La cuisinière en parut irritée.
— Qu’est-il arrivé à son visage ? lança-t-elle avec une pointe d’agressivité.
— Un accident, répondit Melvin.
Madame Dubois n’insista pas, même si cette réponse sembla ne pas la satisfaire.
— Est-ce que tu as faim ? lui demanda-t-elle en simulant l’action de manger.
Kieren hocha la tête.
— Constance, prépare-lui un encas.
La jeune fille s’exécuta avec célérité. Il n’eut pas besoin d’attendre longtemps avant d’être attablé devant une tranche de fromage et un morceau de pain. Pendant qu’il mangeait, madame Dubois retourna à ses gamelles et fit signe à son apprentie de venir la rejoindre.
— Méfie-toi de ce garçon, il ne m’inspire pas confiance, dit-elle, sans vraiment chercher à être discrète.
Même s’il ne comprenait pas le français, Kieren saisit la teneur de l’allusion, ce que lui confirma le regard noir que lança Melvin à la cuisinière. Son oncle posa une main protectrice sur son épaule et la serra trop fort.
— Viens, je vais te montrer ta chambre.
Au bout du couloir que Kieren avait emprunté pour se rendre dans la cuisine se trouvait le vieil escalier de service qui desservait les étages et menait aux quartiers des domestiques, sous les toits. Avant de l’atteindre, ils passèrent devant une deuxième pièce où un valet était occupé à faire une réussite, accoudé à une table de ferme pouvant accueillir une dizaine de convives. Melvin indiqua à Kieren qu’il s’agissait de leur salle à manger. Les domestiques s’y réunissaient pour les repas et les moments de détente entre deux services.
L’oncle gravit les marches quatre à quatre, suivi par Kieren. Ils débouchèrent sur un palier conduisant à un nouveau couloir. Les premières chambres étaient celles des hommes, puis venaient celles des femmes. Une porte bloquait l’accès à cette partie du corridor. Melvin lui expliqua que seule madame Dubois, en l’absence de gouvernante, en détenait la clef.
Le logement attribué à Kieren était minuscule. Il contenait deux lits inoccupés, une table de nuit et un meuble de toilette. Pour toute décoration, un crucifix noirci par le temps pendait au mur. Une lucarne donnait sur les jardins du manoir. L’adolescent posa son bagage sur le sol et contempla longuement son nouvel environnement. Quand il eut terminé son inspection des lieux, son oncle lui fit visiter le reste de la demeure et lui expliqua la fonction de chaque pièce.
D’abord, le premier étage où se trouvaient les appartements des membres de la famille et le bureau de monsieur. Puis le rez-de-chaussée, qui baignait dans l’atmosphère à la fois désuète et raffinée du XVIIIe siècle. À gauche du vestibule, il y avait une grande bibliothèque et un boudoir destiné à madame. À droite, un vaste salon où les Le Bellenger recevaient leurs invités, et une salle à manger. Tout comme le décor minimaliste, essentiellement composé de lambris blancs et de tapisseries fleuries, l’ameublement de ces quatre pièces restait sobre, avec quelques touches de fantaisie comme un guéridon de bois noir marqueté de nacre ou un tableau réalisé par un peintre pointilliste.
Une fois la visite terminée, ils regagnèrent la cuisine. Melvin n’avait visiblement plus rien à dire à Kieren et celui-ci n’avait presque pas ouvert la bouche depuis son arrivée. Il voyait bien que son oncle se démenait pour entretenir une conversation qui se mourait et que son air taciturne le mettait de plus en plus mal à l’aise. Kieren avait presque envie de lui dire de retourner travailler et de le laisser seul. Au lieu de cela, Melvin l’invita à s’asseoir à la table de la salle à manger pendant qu’il lui préparait un thé à l’anglaise.
Il apporta la théière fumante, un sucrier et deux tasses et les posa devant lui.
— Comment va ta mère ? demanda-t-il en faisant le service.
— Mal, répondit Kieren en lâchant un morceau de sucre dans son thé.
Il regarda le cube se dissoudre avant d’en immerger un deuxième, puis un troisième sous le regard soucieux de son oncle.
— Ell

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