105
pages
Français
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2013
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Ebook
2013
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Publié par
Date de parution
18 décembre 2013
Nombre de lectures
40
EAN13
9782365752428
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Durant l'entre deux-guerres, Julien a quitté sa ferme du Mousseau dans la Creuse pour devenir maçon à Paris. Il y a rencontré Gilberte et ils se sont mariés. Le père de Julien, le vieux Landier, garde une certaine rancune à son fils d'avoir abandonné le Mousseau pour rester à Paris. Quelques années après, le père s'est remarié avec La Pérotte, devenue la maîtresse chez eux, remplaçant la mère défunte. Son fils, Maréchal, a pris la place du fils de maison. Mais la maladie est venue user le corps de Julien. Ses forces chaque jour ont diminué. Les médecins lui ont imposé de séjourner au grand air. Il a dû revenir au Mousseau pour se soigner. Il a fallu revenir, accepter la présence de la Pérotte, faire accepter Gilberte à la famille. Au début, les forces de Julien se sont libérées. Mais le mal était trop fort. La jeune Parisienne va se retrouver seule dans le fin fond du Limousin, avec des gens qui ne vivent pas comme elle, une famille qui ne l'attendait pas. Entre le malheur de la perte de son mari et l'espoir de refaire sa vie, la bru va être confrontée à la vie et aux mœurs de la campagne entre Marche et Limousin au début du XXe siècle.
Publié par
Date de parution
18 décembre 2013
Nombre de lectures
40
EAN13
9782365752428
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Georges Nigremont
La Bru
Roman
Prix Gabriel Nigond
CHAPITRE I. LE RETOUR AU MOUSSEAU
Julien respirait mal. Le trajet de la maison à la gare, la veille au soir, l’installation dans le train l’avaient brisé, et maintenant, l’air était si lourd dans le compartiment fermé, plein de gens endormis, que son malaise augmentait, doublé d’une angoisse qu’il cherchait en vain à dominer. Dans le demi-sommeil qui liait ses membres, une impression, péniblement, essayait de se faire jour. D’où venait, sur sa poitrine, ce poids accablant et chaud qui l’étouffait ?
Il se disait qu’il allait changer de place et que ce malaise cesserait ; mais il était si las qu’aucun geste ne suivait sa pensée et, tout de suite, il retombait dans un engourdissement traversé d’anxiété que berçait la sourde rumeur du train glissant dans la nuit.
Puis au moment où, épuisé, perdant toute conscience, il allait s’enfoncer dans ce néant profond qui ressemble à la mort, une molle oscillation du train venait écarter, durant quelques secondes, le poids qui le gênait. Tout ce qu’il éprouvait l’instant d’avant s’abolissait, et dans ce grand vide que sa pensée confuse ne savait plus remplir, montait, comme un feu allumé dans une lande nue, tout un passé rempli d’images familières.
Ces bruits assourdis, continus, dont la cadence le berçait, ne venaient plus du train coupant la nuit.
C’était, quelque part dans une ferme, une de ces batteuses pressées et bourdonnantes qu’on entendait si souvent du Mousseau, les soirs en fin d’été. Il était devant la porte, assis sur le banc que le père avait creusé dans un tronc de châtaignier. C’était ce banc profond et dur, au dossier arrondi, qui le serrait ainsi… Mais, qu’avait-on mis sur son épaule qui le paralysait ?
De son bras tendu, il chercha un point d’appui pour se lever et ne réussit qu’à ébaucher un geste incertain en dépit de la force énorme qu’il avait cru déployer. Seuls ses doigts errants qui tâtonnaient dans le vide retinrent une sensation de douceur si pénétrante qu’il fut, par elle, rendu à la conscience.
Il ouvrit les yeux, mit un instant à reconnaître les choses et vit qu’il appuyait la main sur la joue de Gilberte endormie contre lui. Sa tête avait glissé au creux de l’épaule de Julien et, comme dans un oreiller, elle enfonçait son visage dans l’écharpe de laine qu’elle avait tenu à lui mettre au départ de Paris.
Avec précaution, sans l’éveiller, il remonta la tête de la dormeuse et, libéré, respira mieux. D’un geste hésitant, presque craintif, il caressa le front, la joue tiède de Gilberte, et, penché, écouta sa respiration douce. L’inquiétude des jours passés, sa maladie à lui, cause de leur voyage, elle avait oublié tout cela pour dormir ainsi... Mais il n’avait aucune amertume devant cette quiétude si vite retrouvée. Elle était comme une petite fille qu’on distrait aisément du pesant souci et il savait bien que toute la joie qu’il avait eue dans sa vie lui était venue d’elle. Comme les plis d’un grand voile léger autour d’un lit d’enfant, le rythme paisible recueilli sur les lèvres entrouvertes l’enveloppa, l’isolant des choses, et il cessa d’entendre le bruit rauque de fer et de vapeur, bruit pareil à un râle emplissant une nuit d’agonie.
Puisqu’ils étaient là, tous deux, les choses n’étaient pas trop changées. Elles ne le seraient pas davantage demain au Mousseau. Une docilité courageuse s’installa en lui, et, libéré de l’angoisse qui le tenaillait, éprouvant une sorte de joie à veiller seul dans le compartiment endormi, il écouta le gémissement pressé du train qui les emportait, frôlant les villes où pointaient les lumières, traversant les campagnes noires et muettes au bout desquelles il y avait, dans la Creuse où ils arriveraient à l’aube, un petit village près d’une rivière et deux vieux dans une maison au bord de la route : le père Landier, son père, la Pérotte, la seconde femme du vieux depuis quatre ans.
Julien essaya de penser à elle avec un peu de pitié. Cela lui aidait à chasser son appréhension de la retrouver, devenue maîtresse chez eux, remplaçant la mère défunte. Elle était déjà bien vieille quand le père, veuf depuis douze ans, l’avait amenée dans sa maison sous le blâme du pays. La rancune qu’il avait amassée à voir Julien abandonner le Mousseau pour rester à Paris et s’y marier avait dû le faire s’entêter dans cette idée. La Pérotte n’avait jamais eu de mari, mais elle avait un fils, qui, sans doute, l’avait suivie dans sa nouvelle maison. Julien calcula qu’en ce moment, Pierre devait faire son service.
« Quand ce garçon reviendrait… » Mais Julien écarta cette pensée. Gilberte et lui seraient de retour à Paris depuis longtemps quand le fils Maréchal reprendrait chez le père Landier la place que sa mère lui avait faite. Julien arrangeait les choses comme si le temps qui s’ouvrait devant eux ne devait pas compter dans sa vie, d’avance dessinée. Il revenait au Mousseau pour se soigner et guérir. C’était un moment qu’il fallait accepter, mais sa pensée le dépassait déjà pour atteindre le jour où la vie reprendrait, pareille à ce qu’elle était hier. En lui, des forces, des désirs, des espoirs ligotés par la maladie, se préparaient déjà et, apaisé, il ne sentait plus qu’une grande amitié pour les choses et les gens près desquels, un temps, il revenait vivre.
Maintenant, la vitesse du train dans la nuit l’exaltait. C’était comme un élan vers la lumière promise, vers la vie douce au jour. Un vertige heureux le submergea, le jetant de nouveau dans un demi-sommeil où les choses d’autrefois, libérées du temps qui les gardait, accouraient pour donner aux choses menaçantes d’aujourd’hui une signification qui le rassurait.
Ce train ne l’emmenait plus au Mousseau. Julien, à présent, se rendait dans le Midi. Il recommençait le si long voyage, fait trois ans auparavant, lorsque l’entrepreneur de maçonnerie qui l’employait, apitoyé par sa toux et sa mauvaise mine, l’avait envoyé sur ses chantiers de Toulon. Mais ce voyage lui-même était fini, le séjour dans le Midi avait été très court et déjà, c’était le retour. Que s’était-il passé ? Était-ce la douceur de l’air qui, là-bas, lui donnait cette constante angoisse ? Et cet ennui qu’il traînait partout, venait-il de la solitude en ces lieux étrangers ? Amolli, languissant, affamé d’une vie plus ardente, il n’avait eu qu’une pensée, revenir à Paris où des tanneurs de la Creuse lui promettaient de le prendre dans leur maison.
C’était bien cela. Il en était sûr maintenant. Il revenait. Les choses recommençaient. Tout recommence donc, dans la vie ? C’était bien le même train courant dans la nuit, le même compartiment plein de gens endormis et, près de lui, cette odeur des fleurs rapportées du Midi…
À cette seconde, coupant l’air lourd, il y eut près de Julien comme un claquement froid. Le rêve péniblement ordonné s’émietta. Il regarda, sans les reconnaître tout de suite, les choses au milieu desquelles il rentrait, puis la conscience revint et, de nouveau, le présent, lourd d’angoisse, chassant les images familières du passé, se referma sur lui.
Un homme, à côté de lui, s’étirait et son manteau de caoutchouc froissé faisait ce bruit mat qui emplissait tout le compartiment. Où étaient les fleurs ? Frôlant le visage de Julien, il y avait seulement le bouquet de violettes que Gilberte avait piqué la veille dans sa cravate de fourrure. Les fleurs pendaient, fanées, au bout de leur tige molle. Leur parfum était tiède et doux comme un souffle d’enfant et, en les regardant, Julien se rappela les petits tas de neige fendillée des fins d’hiver au Mousseau où les premières violettes pointaient, délicates, sous leur abri glacé.
Hier soir, au moment de partir, Gilberte avait pris cette fourrure au portemanteau, et la chambre abandonnée avait paru un peu plus nue.
La pensée de Julien le conduisit au seuil de la pièce vide. Il en retrouvait l’air, fait de silence et d’attente immobile. Pourtant, dans ce silence, quelque chose passait. Il entendait, venus de loin, affaiblis mais distincts, semblables, en leur réalité ténue, à un frémissement qui aurait couru le long des rails pour atteindre ses oreilles, les bru