La Claie d infamie
171 pages
Français

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La Claie d'infamie , livre ebook

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Description

Durant l'été 1724, au pire des chaleurs orageuses, la dépouille d'un homme est déterrée, étripée, salée. Puis, en dépit des abominables relents de putréfaction qui s'en dégagent, on la traîne par les chemins de la paroisse, accrochée à l'arrière d'une charrette, avant de l'exposer devant l'auberge du village. Ainsi passe la justice du Roi. Elle supplicie la mémoire d'un vieil huguenot dont le crime, à l'article de la mort, fut de n'avoir point renié ses convictions religieuses. Ce châtiment effroyable est le dénouement de l'affaire Moïse Gréjon qui suscita, à l'époque, un vif émoi dans le pays. Gérard Boutet - qui descend à la fois du martyr posthume et d'un des délateurs - ressuscite ce « procès à cadavre » dont sa famille fut doublement marquée. Ces pages terribles reposent sur des faits authentiques. C'est l'intolérance de tous les temps, quels que soient les croyances et les prétextes, qui s'y trouvent mises en accusation. Au-delà de l'anecdote macabre, le livre renvoie à un fanatisme qu'on voudrait éteint à jamais.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 décembre 2013
Nombre de lectures 92
EAN13 9782365752336
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Gérard Boutet


La Claie d’infamie


Roman





La jeune femme photographiée en couverture, Marie, est la fille de l’auteur. Elle figure dans la descendance de Moïse Gréjon à la dixième génération.







© Gérard Boutet, 1999.
© Marivole pour la présente édition, 2013.


À Manon, à Hugo et à Camille,
mes très petits cousins,
les benjamins de la maison Boullays.


Prologue

dans lequel l’auteur nous présente
deux de ses ancêtres, qui furent des adversaires jurés.


UN LIVRE,
à la manière d’un grand cru, se doit de décanter pendant plusieurs années avant d’être servi. On pourrait dire, comme pour le vin, qu’il s’élève, se bonifie et prend corps.
Celui-ci, ce livre, a mûri pendant deux siècles et demi au fond de nos annales familiales. Entre-temps, les rois ont abdiqué devant les révolutionnaires, les révolutionnaires ont capitulé au profit des empereurs, les empereurs ont cédé la place aux républicains, sans que jamais, chez nous, la mémoire de Moïse Gréjon ne soit sacrifiée aux versatilités de l’Histoire.
Les régimes pouvaient se succéder, le souvenir demeurait en souvenance, fidèlement. Les causes et les conséquences de l’Affaire finirent par s’embrumer quelque peu, au fil du temps, mais l’essentiel ne fut pas oublié. Aujourd’hui encore, un vieux sentiment d’injustice taraude les descendants de Moïse Gréjon, dont je suis. Voilà l’héritage commun de sa postérité.
C’est qu’il fermente beaucoup des vilenies de l’humanité, là-dedans : l’intolérance et le fanatisme bien sûr, mais aussi la bêtise crasse, l’hypocrisie affichée, le mensonge éhonté, la haine aveugle de cet autre qui paraît trop différent de soi. L’horreur, une de plus.
De quoi retournait-il donc ?
Des offenses subies par un homme, tout bonnement, un homme parmi d’autres, un homme du vulgaire dont les robins et les ratichons s’acharnèrent à dépecer et la dépouille et l’âme, uniquement parce qu’il avait refusé, à l’approche du trépas, de renier ses idées.
Cette chronique affreuse, je la tenais de mon grand-père, de mes grand-mères. Je la portais en moi depuis la prime enfance. C’était une indignation secrète que je devais partager tôt ou tard.
Anecdote d’un autrefois immémorial ? Que nenni ! puisque cela ne remonte qu’à deux cent soixante-quatre ans. C’est beaucoup, deux cent soixante-quatre ans, je vous l’accorde ; et ce n’est rien. Les choses, je le crains, ne s’améliorent que lentement d’une période à l’autre, de par le vaste monde. À ceux qui savent comprendre à demi-mot, je parle aussi d’aujourd’hui.
Une vieille histoire d’actualité. Un cas nullement exceptionnel, hélas ! quoiqu’exemplaire. Or, de toute la lignée du patriarche, je suis incontestablement le plus concerné. Pourquoi ? Parce que mon atavisme apparaît double et contradictoire. Moïse Gréjon est mon ancêtre maternel à la neuvième génération ; mais son principal témoin à charge, Gentien Boutet, occupe une place correspondante dans ma branche paternelle !
Qui aurait pu prédire à ceux-là, Moïse Gréjon et Gentien Boutet, que leurs tribus, sans doute brouillées irrémédiablement au temps de l’exode qui suivit la Révocation, se rejoindraient longtemps après le Désert ; et que l’écrivain qui en naîtrait, s’obligerait à exhumer leur querelle fratricide ? Étrange dualité par-delà les filiations, pas vrai !
Mais il serait trop simpliste de distribuer le rôle du bon à l’un, du méchant à l’autre. L’étude des pièces incite souvent à la nuance. En l’occurrence, toutefois, ces fameux documents restaient introuvables. La rumeur prétendait qu’ils avaient brûlé dans l’incendie des archives d’Orléans, lors des bombardements de juin 1940. Alors on se contentait de transmettre les bribes imprécises que la tradition orale avait bien voulu laisser...
L’été passé, miracle, on m’adressa quatre feuillets de ce qui semblait être la copie d’une copie des fameux documents introuvables. Mon correspondant venait de dénicher cela dans un recoin de son grenier, en banlieue orléanaise. Les papiers mentionnant le nom de mon village, Josnes, à tout hasard il me les envoyait.
Ainsi donc, il subsistait encore, peut-être, des relations écrites de cette fameuse affaire Moïse Gréjon !
Je me suis mis en braconnage aussitôt, vous pensez. J’ai rameuté de vagues cousins et des cousines éloignées, plusieurs amis férus de généalogie, quelques érudits qui ne se plaisent qu’à grignoter des grimoires, de vieux protestants dont la foi n’a jamais faibli. Et j’ai fini par trouver le pot aux roses.
Le pasteur William O. Le Maire avait publié, au début de ce siècle finissant, jusqu’aux menus détails de l’Affaire dans le « Journal de l’Église Réformée de Josnes ». La collection des bulletins jaunis, pieusement conservée, m’attendait à Villemuzard, chez Violette et Henri Vallotton-Cosson. À un saut de mon logis, seulement.
Ce récit édifiant, je crois, méritait vraiment de réapparaître.
Je ne renie rien de mes ouvrages précédents, mais j’aurais pu n’écrire que ces chapitres. Il s’agit de pages dans lesquelles je suis impliqué directement, par le truchement de mes pères. Elles sont dédiées aux persécutés de tous les temps, d’hier et d’à présent, d’ici et d’ailleurs.


DEVENU NARRATEUR,
détenant désormais le dossier complet, je me suis appliqué à résoudre la difficulté suivante : évoquer, en un même volume, une abomination dont les événements se sont échelonnés sur plus de quarante ans.
En effet, comment relier tous ces épisodes qui, malgré leur enchaînement logique, semblaient si éloignés les uns des autres ?
J’ai pris le parti de rédiger un livre à plusieurs voix. Il y en a sept, autant que de jours dans une semaine, autant que de péchés capitaux qui nous guettent, autant que de dons en l’Esprit Saint. Sept est le chiffre excellent selon la Bible, et mes personnages sont imprégnés de la Bible.
Chacune de ces voix possède sa résonance propre, puisque la vérité de chaque protagoniste diverge de celle des autres. Elle expose les arguments et les arguties du personnage dont elle se veut la parole, compte tenu des convictions de l’individu et des certitudes de l’époque. Le lecteur fera sa religion, comme on dit, en fonction des différents sons de cloche qu’il aura daigné entendre.
Cette liberté de penser, cette liberté de parler furent refusées, naguère, à mes aïeux.
De leur part, à propos d’eux, je vous les offre volontiers.


À Josnes, ce printemps 1998,
quatrième centenaire de l’édit de Nantes.


1724
trente et neuvième année
du Désert.


Suzanne Gréjon
jeune fille au service de son père,
Huguenote convaincue.
Jeudi vingt et cinquième de juillet, par fortes chaleurs.


MON PÈRE, je le sais, vit ses derniers instants.
J’en suis bouleversée. Je ne me raisonne plus.
Je ne parviens pas à ordonner le fouillis de tristesse qui se bouscule dans ma tête. Mes méditations tirent à hue et à dia. Tout se mélange, tout se tourneboule. Je remâche les mêmes idées, les mêmes regrets, dont rien ni personne ne saurait me distraire.
Père se meurt ; et je reste là, les bras ballants, à me morfondre.
Je veille à son chevet depuis huit semaines tantôt, presque deux mois, sans savoir que faire pour le soulager dans sa lente agonie. Je ne m’écarte de l’alcôve qu’afin de remettre un peu d’ordre dans la pièce, au cas où quelqu’un viendrait s’enquérir de son état.

D’habitude, à cette période, je m’en vais glaner sur les chaumes en compagnie des autres filles du voisinage. Cette fois, franchement, me cloîtrer ne me contrarie qu’à moitié, car le temps ne se montre guère plaisant depuis le début de l’été. Dehors, on étouffe. L’air est lourd, oppressant. Le ciel ne cesse de rouler de sombres nuées. Les orages ont gâté la saison. Les moissonneurs fondent en nage dès qu’ils remuent un peu. Les gerbes entassées sur champ, à ce qu’il paraît, commencent déjà à germer. Le pain sera cher, cet hiver. On suffoque. Il fait mourant, comme dit le monde d’ici. Il fait mourant, et père se meurt.
Noël Cosson, le cousin qui habite un peu plus loin dans le hameau, s’arrête toujours lorsqu’il se rend à la vigne de ses parents. Il me demande, par convenance, si père reprend un brin de force. Je lui réponds que non. Il connaît la r&

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