La Demoiselle du téléphone
167 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Demoiselle du téléphone , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
167 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Gien, meurtri par la guerre, a presque fini de panser ses plaies et est devenu un "joyau de la reconstruction". La population s'étourdit dans une activité fébrile et joyeuse, mêlant travail, fêtes costumées grandioses, concours en tous genres, et plaisirs de la chasse. Les événements d'Algérie en arrière-fond troublent peu le moral au beau fixe. Maud, la demoiselle du téléphone, une Berruyère venue travailler à Gien, ne tarde pas à s'intégrer à une bande de jeunes : on danse, on rit, on flirte... Les passions éclosent : l'amour, la jalousie... La haine mûrit lentement dans le cœur de Maud pour la trop belle Francine, qui plaît à tous les garçons, et surtout à celui dont elle est éprise. Dès lors, elle n'aura de cesse de nuire à sa rivale, s'appuyant sur des racontars. Les souvenirs de l'occupation sont encore bien présents. Le passé finira-t-il par dévoiler son double visage ? Dans cette petite ville typique du début des années 60, l'amour sera-t-il plus fort que le « qu'en dira-t-on » ?


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 avril 2014
Nombre de lectures 32
EAN13 9782365751704
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Michèle Dassas



La Demoiselle du téléphone








« À Martine,
et à tous les visages souriants des ombres du passé »



1 ère partie


Portraits croisés


Chapitre I. La demoiselle du téléphone

Ses talons aiguilles résonnent sur les pavés du trottoir. Maud Duval, la demoiselle du téléphone, s’empresse de regagner son petit logement au deuxième étage d’un nouvel immeuble de l’îlot 14. Elle longe l’étalage de l’épicier Leseur, qui empiète largement sur le passage, puis quelques mètres plus loin, la devanture du marchand de faïence, remplie à ras bord de la coûteuse vaisselle de Gien, aux gros motifs fleuris. Enfin, elle traverse le carrefour de la place Leclerc, se faufilant prudemment entre les vélos, et hâtant le pas avant que n’arrive l’ Aronde qui s’annonce au niveau de l’armurerie Pillet. Encore un bar, une librairie, la poissonnerie Pautre sous son arcade… À l’angle de la place Saint-Louis, elle oblique à gauche pour accéder à l’entrée de l’îlot, enchâssée entre la Banque Régionale de l’Ouest et la mercerie Houard. La voici arrivée ! Elle a hâte d’enlever sa robe au volumineux jupon empesé, à la mode, mais bien encombrant et de se mettre à l’aise, en pantalon corsaire, de toile légère, et corsage sans manches. Il fait chaud aujourd’hui…
Quelques minutes plus tard, la jeune fille, penchée à la fenêtre, tire quelques bouffées de sa gauloise , en contemplant la Loire. Elle se félicite d’avoir loué ce deux-pièces jouissant d’une vue superbe. Tout y est impeccable de propreté, avec le confort moderne en sus ! Avoir une baignoire à sa disposition est un luxe bien appréciable… Son propriétaire l’a fait installer dans cet appartement, datant de 1949, et qui en était dépourvu, comme la plupart de ceux de l’îlot.
– À quoi ressemblait Gien avant la guerre ? songe-t-elle.
De la vieille ville, il ne reste pas grand-chose. Toutes les maisons du bord de Loire ont été rasées et reconstruites dans un style original, alternant des motifs en ciment et brique, tentant sans doute d’imiter celui d’avant, avec les matériaux d’aujourd’hui. Bourges, sa ville natale, a été heureusement épargnée. La guerre, Maud ne s’en souvient plus, et pourtant elle avait six ans à la Libération, mais elle se remémore parfaitement les privations et les tickets de rationnement qui ont perduré un certain temps.
Elle allume le pick-up, place un disque vinyle de Paul Anka, un succès vieux de trois ans qu’elle aime particulièrement, et positionne l’aiguille sur le premier sillon : « Diana ». La jeune fille possède une belle collection de 45 tours qui lui tiennent compagnie le soir. Elle se sent tellement seule dans cette bourgade si éloignée de chez elle…

Dix mois plus tôt, le cours de sa vie avait brutalement changé, quand elle avait répondu à une annonce parue dans le Berry Républicain , pour une place d’opératrice, qui l’avait aussitôt alléchée, car elle offrait une bonne rémunération en regard de ses qualifications. Après un bref examen, passé dans la cité de Jacques Cœur, portant sur les connaissances générales, et suivi d’un entretien, on l’avait retenue.
Et là, subitement elle avait hésité. Elle n’avait jamais habité ailleurs qu’à Bourges, où elle avait ses habitudes, ses amies. Le Loiret et Gien lui semblaient presque aussi lointains que la capitale, où elle ne s’était rendue qu’une seule fois, et dont elle avait gardé le souvenir mitigé d’une métropole trépidante, attirante à bien des égards, ne serait-ce que pour les boutiques et les spectacles, mais triste, avec ses façades noircies, et effrayante par sa démesure, sa foule, le dépaysement. Quant à Gien, c’était une toute petite ville, guère plus qu’un gros bourg , l’avait prévenue son amie Bernadette, et elle n’avait pas non plus envie de s’enterrer dans un trou perdu ! Réflexion faite, elle préférait rester à Bourges. Ses parents, de simples ouvriers, l’avaient alors poussée à accepter cette place qui représentait, selon eux, une promotion par rapport à celle de vendeuse qu’elle occupait précédemment. Comme il n’était pas question de discuter les injonctions paternelles et qu’elle n’était pas encore majeure, elle s’était retrouvée à Gien…

Maud s’assoit près de la fenêtre et occupe ses doigts à la confection de scoubidous, ces fils plastiques colorés que l’on tresse pour fabriquer des porte-clefs ou de petites figurines amusantes. Elle songe à sa journée. Ses oreilles sifflent encore de toutes les conversations qu’elles ont perçues. Des voix dont certaines, bien caractéristiques, que Maud, sans en avoir jamais vu les visages, peut infailliblement reconnaître. Ainsi, pas plus tard qu’hier au marché, s’est-elle retournée avec étonnement en surprenant un accent connu. Elle a pu identifier clairement son propriétaire, un quadragénaire chauve et bedonnant, alors qu’elle l’imaginait en jeune homme avenant, charmeur, comme sa voix chantante, si douce… Depuis qu’elle est en poste, en a-t-elle appris des secrets !... Certains, bien compromettants… Mais elle garde tout pour elle, estimant que son travail est une sorte de sacerdoce, de mission sacrée dont on l’a chargée et qu’elle met un point d’honneur à accomplir, avec réserve et discrétion. Il n’y a pas encore beaucoup d’abonnés à Gien. Le nombre ne dépasse pas deux cents et, en bientôt huit mois, Maud les a tous eus, au moins une fois, au bout du fil. Certains appellent quotidiennement, même plusieurs fois par jour, et leurs voix lui sont devenues très familières. Ce sont surtout les commerçants, les professions libérales, comme le notaire qui a le numéro 51. Elle connaît pratiquement tous les numéros par cœur, éblouissant ainsi la petite jeune qui travaille avec elle, par sa célérité à établir les connexions. Pourquoi la pensée du notaire lui vient-elle à l’esprit ? Par association d’idées, sans doute… Dans cette ville étrangère, elle n’a fréquenté qu’une seule personne : Pierre Rafignac, le jeune clerc, en stage au 15 rue Louis Blanc.
Maud aime bien flâner le long de la Loire jusqu’au parc public, le Port-au-Bois. Peu de temps après son arrivée, elle y avait croisé un jeune homme qui promenait un braque allemand et l’avait d’emblée reconnu comme étant le fils d’un imprimeur de Bourges. Certaine de son fait et tout à la joie de sa découverte, elle s’était élancée vers lui pour le saluer. En temps ordinaire, elle n’aurait pas osé l’aborder mais l’esseulement dont elle souffrait, loin de sa chère cité, lui en donna l’audace. Il parut surpris, avoua ne pas la remettre, mais courtoisement, l’entretint quelques instants de leur port d’attache commun. Un banc leur tendait les bras. Ils s’assirent un bon quart d’heure et poursuivirent leur conversation. Maud était ravie de rencontrer un Berruyer. Elle lui avoua, à demi-mot, sa nostalgie de la grande ville, et elle constata qu’il partageait les mêmes sentiments de solitude et d’étrangeté dans un univers dont ni l’un ni l’autre ne paraissaient avoir saisi tous les codes. Ils convinrent de se revoir pour une promenade, le dimanche suivant. Il lui suggéra l’esplanade de l’église, à côté du presbytère, comme lieu de premier rendez-vous. D’autres suivirent à différents endroits de la ville. Ils avaient commencé à nouer des liens d’amitié assez forts, et Maud s’avouait sous le charme du séduisant jeune homme. Elle attendait avec émoi et impatience qu’il lui donnât un premier baiser, mais après un séjour à Bourges chez ses parents, il lui fit comprendre qu’il ne désirait pas donner suite à leurs sorties. Il prétexta le besoin de travailler tard le soir à l’étude et l’obligation de préparer un mémoire pour obtenir son diplôme définitif. La jeune fille sortit meurtrie de cette aventure avortée qui eut pour conséquence de la rendre plus défiante envers la gent masculine et elle se replia dans sa coquille.

Maud a entamé une seconde cigarette. Elle ne fume pas durant le travail, mais le soir quand elle se détend, elle éprouve le besoin d’ouvrir le paquet de gauloises , et d’en brûler plusieurs, tout en compulsant un magazine ou en écoutant de la musique. D’

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents