La Folie-Mauroy
94 pages
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La Folie-Mauroy , livre ebook

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Description

La Folie-Mauroy, autrefois, était une de ces fermes d'agrément dont la mode fut lancée par le Trianon de la Reine au XVIIIe siècle : un cadre champêtre pour rendez-vous galants. Transformée en vraie ferme après la Révolution, l'ancienne ferme « pour rire », une centaine d'années plus tard, est exploitée par la famille Chauffeux, pour le compte du docteur Mauroy. C'est ici, au cœur de la Champagne, qu'Annette a été élevée. Mais, à l'image de la Folie-Mauroy d'origine, ferme factice mais vrai nid d'aristocrates, Annette n'a de paysanne que le nom. Benjamine d'une famille nombreuse, élevée comme une princesse par des parents qui voulurent lui épargner tout travail pénible ou salissant, ses mains sont restées fines, blanches et lisses, et son âme est celle d'une bourgeoise mondaine.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2015
Nombre de lectures 32
EAN13 9782365751957
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Roger Duguet


La Folie-Mauroy


Roman champenois
Couronné par la Société
des Écrivains Régionaux






- I -

Le cortège avait quitté la ferme, au bord de l’Arce, et longeait les maisons de l’ancien quai. Le violon faisait rage en avant. La mariée souriait au docteur. Le marié venait au bras de sa future belle-mère.
Suivait une honorable noce de province.
Le soleil se jouait sur la rivière. On entendait au loin le grondement des moulins et de l’autre côté de l’eau la chanson des bois. À travers les piles de planches élevées sur le port, des gamins couraient en poussant des cris aigus. Le grand bateau-lavoir amarré tout près s’était tu parmi les joncs. Les battoirs y restaient levés, les langues demeuraient en suspens ; et tous les yeux braqués dévoraient le rare spectacle d’une noce en ces lieux peu passants.
Derrière le crincrin du violoneux et la famille émue, les conversations allaient à mi-voix.
L’ordonnance du cortège soulevait des surprises. Le futur était orphelin, la fiancée n’avait plus son père. Qui les conduirait à l’autel ? Des parents éloignés avaient en secret convoité la place d’honneur. L’arrangement présent les choquait.
Et cela donnait à la théorie nuptiale, aux propos, à la fête, un air de mystère tout à fait séant.
– Annette, disait paternellement le docteur Mauroy, soyez digne, c’est bien ; mais ne soyez pas de bois, ma fille. Vous voilà raide comme un piquet.
Annette ne savait comment aller.
Jeune fille, elle avait tant vu et tant envié de mariées en blanc marchant dans le soleil de mai, elle avait tant rêvé de ce jour, qu’elle en avait d’avance épuisé toute la joie.
En dépit de maint essayage, cette belle robe de soie neuve l’engonçait un peu. Elle n’eût point imaginé qu’il fût si difficile de se tenir sous les regards. Non qu’elle parût timide ou craignît l’affût des yeux : elle avait tout l’aplomb de la bonne tenue. Mais l’habitude de la parade lui faisait défaut sous ce harnais. Pour une fois lui échappait le sens assuré des convenances. Fallait-il feindre d’être confuse ou décidée ? Il lui manquait le loisir du choix. Depuis le matin on la bousculait. Toilette, apprêts, départ ; à présent le trouble et l’embarras de cette promenade. Elle gardait à peine une pensée : « C’était donc vrai ! » On la mariait.
Son émotion et son triomphe se trouvaient à chaque instant traversés de préoccupations petites et aiguës.
L’aspect familier du quai ne se ressemblait plus. Partout, au passage, surgissaient des visages connus qui n’avaient point le sourire d’accueil ou le pli indifférent de tous les jours. Une curiosité brusque l’affrontait et fouillait ses yeux. L’on eût dit que chacun voulait d’elle un secret, cherchait autre chose que son salut et sa physionomie d’hier, scrutait le mystère de son avenir et de sa pensée.
Les curieux en étaient pour leurs frais. Cependant la lumière trop crue l’étourdissait, son cœur battait, elle baissait les yeux. Les propos joyeux ou polis du docteur bourdonnaient à son oreille. Elle ne voyait de lui que son ventre énorme et attifé, elle ne sentait que le balancement de sa marche pesante, sur laquelle elle s’appliquait à régler son propre pas. Elle était fière de l’appui et du nom de ce vieil ami ; elle ne déposait point elle-même l’orgueil de sa jeunesse, de sa beauté, de cette parure de joie et d’atours qui cambrait sa taille et mettait à ses joues la fleur de son sang. Mais elle souffrait des mille riens qui la distrayaient de son bonheur.
Derrière la noce, les lavandières avaient quitté le bateau, franchi la passerelle, et garnissaient la bordure de granit du quai.
– Peuh, la fiérotte ! dit la mère Ledru qui blanchissait le linge de la famille.
– Que d’embarras ! fit une autre. Parce que « Môssieu le Maire » la conduit !... Est-elle sa fille ?
– Ma foi, reprit la première, je ne sais qui l’a créée, mais le docteur se vante de l’avoir mise au monde. Il était gaillard, l’homme, en son temps, et accouchait nos bourgeoises de plus d’une manière.
Le reste se perdit dans le flot des commérages.
La noce avait passé le pont et s’engouffrait dans l’antique mairie. L’on voyait là-haut, par-dessus les toits, une aile du château d’Herby-sur-Arce et les premiers talus du parc. Les cloches de l’église se mirent à chanter sur la petite ville joyeuse.
L’adjoint, ceint de l’écharpe, maria rondement Annette Chauffeux et Gérard Pasteau :
– ... Article 213. – La femme doit obéissance à son mari...

Puis l’on monta la rue des Postes. Le cortège, précédé du suisse, gravit les marches du porche, beau portail du XVe siècle, de chaque côté duquel les statues de saint Étienne, patron de la paroisse, et de saint Louis, patron des bonnetiers, tenaient en main deux bouquets fanés.
Annette regardait le tapis qui couvrait les dalles.
Gérard ne voyait que sa fiancée et, parmi tant d’impressions précipitées, ne détournait jamais tout à fait d’elle son regard ni son cœur. Il l’aimait. J’entends qu’il l’avait longtemps désirée comme un parti brillant, que la jolie beauté d’Annette l’avait séduit et qu’une grande tendresse toute prête attendait en lui pour se dévouer. Il était jeune.
À vingt-cinq ans, il n’avait eu que deux ou trois aventures de caserne, nausées d’un soir sans souvenir. Il était Champenois. L’esprit de la province, qui est fait d’humour énorme et froid, lui laissait tout juste la naïveté du vieux La Fontaine et l’innocence d’un grand garçon ; mais les cœurs qui battent sous ce masque narquois font souvent les maris modèles et les pères de famille attentifs.
Ses parents, au surplus, avaient été de ces mariniers d’autrefois, établis au confluent de l’Arce et de l’Aube, de qui les fils ont hérité l’imagination vagabonde et le cours sans fin des rêves. Le chemin de fer venait de détruire la batellerie ; l’industrie séculaire absorbait toutes les forces vives du pays : Gérard était bonnetier. Mais son père lui avait laissé quelques économies. L’instruction ne lui manquait pas. Il savait parler, écrire, démêler ses sentiments et les exprimer à sa guise. Devenu contremaître de bonne heure dans une maison de la rue de Paris, il avait eu des loisirs, et son esprit aigu s’était fleuri d’un talent d’artiste. Il peignait le paysage en bon amateur.
Bref, un enfant du peuple épousant une fille de son pays pour y vivre l’histoire de tous.
Et c’est cette histoire-là qu’il commençait en aimant si fort.
Le cortège de ses beaux-frères, l’escadron des filles et des garçons d’honneur, se rangeaient dans l’église. Les parents et amis envahissaient les stalles sous les arceaux gothiques aux arêtes élancées et sèches, sans fleurs ni chapiteau. Gérard s’agenouilla sur un prie-Dieu de velours rouge à côté de sa fiancée.
– Veni, creator Spiritus.
Elle songeait : « Ma couronne a tourné, et je perds certainement les épingles de mon voile. »
Il se demandait, maintenant qu’il avait caché les yeux dans sa main et ne bougeait plus : « M’aime-t-elle ? Mais elle m’aimera... Il faudra bien. »
Et il sourit.
Ce n’était pas l’Esprit-Saint qui le visitait. L’Esprit-Saint, malgré les supplications de l’orgue, ne vient guère aux noces de province. Les enfants de chœur, en dévalant de la sacristie, derrière le grand autel à colonnes et à fronton, faisaient un gros vacarme. Le doyen marchait ensuite avec quelque solennité, tandis que la figure en bec de hibou du sacristain grimaçait une menace, par l’autre porte, à l’adresse des servants émancipés.
Aussitôt après la prière, le curé avait tiré son discours et le lisait d’une voix aimable.
C’était un homme encore jeune pour ses fonctions, d’une bonhomie matoise et d’une simplicité finaude. Il semait d’une lèvre ronde des fleurs d’éloquence.
Longuement il fit l’éloge du marié, dont il avait appris le nom la veille. Il eut pour la mariée des paroles choisies. L’énumération des vertus de Mme Chauffeux et le souvenir de son mari prirent dix minutes ; vint l’éloge de l’éminent docteur Mauroy, maire d’Herby-sur-Arce, membre de pl

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