Marie-Anne Gaboury
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Marie-Anne Gaboury , livre ebook

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Description

«Mon cher Louis, mon petit-fils du ciel infini des Plaines, croirais-tu que ta vieille mamie, recroquevillée sous ses châles, a autrefois canoté les rapides et chevauché parmi les hardes de bisons, croirais-tu qu’elle a suivi ton grand-père dans ses rêves, ses lubies, ses paradoxes? Mon beau, mon pauvre Louis Riel, fils de ma chère Julie, tu me vois inquiète, si inquiète: qu’adviendra-t-il de tes passions?»

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Informations

Publié par
Date de parution 10 avril 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782895966364
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0002€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-636-4
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Marie-Anne Gaboury
M on cher Louis,
mon petit-fils du ciel infini des Plaines, croirais-tu que ta vieille mamie, recroquevillée sous ses châles, a autrefois canoté les rapides et chevauché parmi les hardes de bisons, croirais-tu qu’elle a suivi ton grand-père dans ses rêves, ses lubies, ses paradoxes? Mon beau, mon pauvre Louis Riel, fils de ma chère Julie, tu me vois inquiète, si inquiète: qu’adviendra-t-il de tes passions?
I L N’EST RIEN DE PLUS SIMPLE que l’enfance de Marie-Anne. Il n’est rien de plus simple, d’ailleurs, que son histoire. Qui prend mari, dit-on, prend pays; lorsque ce pays se trouve au bout du monde, dans les confins de l’Ouest inexploré, lorsque ce mari a la bougeotte et qu’il faut trimbaler les canots, les tentes et aussi les enfants – une bonne demi-douzaine nés tour à tour sur les chemins –, oui, tout devient simple: il suffit d’aimer son homme.
Marie-Anne est née en 1780 à Maskinongé, dans le rang Trompe-Souris. C’était au temps des riches campagnes de la vallée du Saint-Laurent. Les Canadiens français y vivaient à l’aise, occupant avec orgueil des villages qu’ils peuplaient de très nombreux enfants. Les autorités britanniques n’avaient pas prévu cette énergie, cette force des familles. Autour des clochers s’activaient assez d’âmes pour assurer l’avenir du peuple; ce peuple dont on disait justement qu’il était sans passé, ni présent, ni futur. Les cultivateurs vivaient prospères, les belles terres abondaient, bien tenues, et chacun pouvait fièrement espérer son ciel, sinon s’imaginer aux portes du paradis. Le père de Marie-Anne, Charles Gaboury, mourut jeune. À quarante-neuf ans, il laissait sa femme, Marie-Anne Tessier, veuve avec ses dix enfants. Pour toutes les bonnes raisons, celle-ci se remaria assez vite à un dénommé Mainguy, un homme bien pourvu de la paroisse.
La petite Marie-Anne Gaboury avait douze ans à la mort de son père. Elle devint apprentie ménagère au presbytère de Maskinongé, où elle resta servante du curé Vinet pendant quatorze ans. C’était une jeune femme bien faite, volontaire, très indépendante. Elle repoussa de nombreux prétendants, ne les trouvant tout simplement pas de son goût. Mais à force de jouer ce jeu-là, le temps passait et les soupirants se faisaient plus rares. Il était très curieux de voir cette «vieille fille» de vingt-six ans, pourtant si jolie, faire le ménage pour le curé, jour après jour, semaine après semaine, sans se soucier d’avoir un cavalier. Peut-on imaginer une routine plus tranquille que celle de Marie-Anne durant toutes ces années, cirant les parquets du presbytère, amidonnant les linges, préparant la soupe aux gourganes?
Par un jour glacial du mois de janvier 1806, se tenait au village une soirée de contes. Ce genre d’événements venait tromper l’ennui de l’interminable hiver. Les habitants encabanés recherchaient un peu de divertissement et, dans ce monde, on attachait une valeur considérable à la parole et aux histoires bien racontées. Les cultivateurs assistaient nombreux aux soirées, applaudissant les conteurs comme on acclame aujourd’hui les acteurs et les humoristes. Ce soir-là, un bel homme s’exécutait, et ses fabulations étaient merveilleuses. Ce voyageur revenait d’un long séjour dans les Pays-d’en-Haut. Ses récits sur les animaux sauvages, les nations indiennes, les forêts infinies au-delà du grand lac Supérieur captivaient l’auditoire. Dans la salle paroissiale, le conteur jouait sur le contraste entre la vie rassurante du village et les trames aventureuses des grands espaces forestiers et des plaines de l’Ouest, là où tout pouvait arriver, y compris des choses jamais vues par les yeux d’un honnête homme.
Jean-Baptiste Lagimodière était irrésistible. Encore jeune, à vingt-huit ans, il venait de l’autre côté du fleuve, d’un village tout aussi beau, tout aussi prospère que celui où il se retrouvait en ce soir d’hiver à raconter ses aventures, le village de Saint-Ours. Il avait été baptisé à Saint-Antoine-sur-Richelieu en 1778. Mais on le connaissait bien à Maskinongé, puisqu’il y avait habité durant sa jeunesse, son père devenu veuf étant venu s’y établir. Marie-Anne et Jean-Baptiste se connaissaient peut-être de loin et depuis longtemps. Marie-Anne l’aimait-elle déjà? Attendait-elle son retour? Nul ne sait. Mais il avait bel et bien passé les cinq dernières années de sa vie aux confins des Pays-d’en-Haut, pour le compte de la Compagnie du Nord-Ouest. Cela, juste cela, lui conférait une puissante aura auprès de son public. Les jeunes aventuriers qui couraient les bois suscitaient alors une grande fascination, mais aussi une pieuse inquiétude devant tant de liberté et de libertinage, d’ensauvagement et d’éloignement.
Marie-Anne Gaboury fut transportée: par sa voix et par sa prestance, Jean-Baptiste lui fit vivre, le temps d’une soirée, ce qu’elle n’avait jamais éprouvé pour aucun homme des alentours. De son côté, le conteur ne fut pas sans remarquer Marie-Anne dans l’assistance. Il devait bien se demander ce qu’une aussi belle fille faisait là, sans cavalier. Quelque temps après, ils firent ou refirent connaissance, ils se parlèrent, peut-être éveillèrent-ils un feu qui couvait depuis une éternité, mais qui désormais pouvait éclater au grand jour. Ce ne fut pas long avant qu’une demande en mariage s’exprime auprès du beau-père Mainguy. Celui-ci accepta, croyant rendre service à Marie-Anne, qui se faisait vieille selon les standards de l’époque. Il savait que le futur gendre n’était pas un homme ordinaire, qu’il n’était pas un bon fils de cultivateur prêt à fonder une famille sur une ferme du village. Mais sans doute présumait-il que le mariage contribuerait à assagir notre coureur de bois. Jamais la mère et le beau-père de Marie-Anne n’auraient pu imaginer la suite.
Le mariage eut lieu en avril, et les nouveaux époux s’installèrent temporairement chez des parents. Jean-Baptiste n’avait ni terre ni maison, et il ne semble pas qu’il ait travaillé très fort à s’établir. D’ailleurs, tout se passa vite en ce printemps de 1806. Jean-Baptiste Lagimodière fit une annonce à Marie-Anne: il avait l’intention de repartir pour les Pays-d’en-Haut dès le mois suivant. Et ce n’était que la première partie du coup de théâtre: Jean-Baptiste ne s’en allait pas dans un campement de bûcherons le temps d’une saison d’hiver. Il partait vers l’Ouest inconnu pour faire la traite des fourrures, ce qui signifiait une absence de plusieurs années! Marie-Anne s’était mariée pour rien, en fait, puisqu’elle perdait son homme à l’aventure, un mois après la consécration de leur union. Ne pouvant s’y résoudre, amoureuse et entêtée, elle prit sa décision: elle allait suivre Jean-Baptiste coûte que coûte.

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