Mon père, Boudarel et moi
33 pages
Français

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Mon père, Boudarel et moi , livre ebook

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Description

Hanté par le souvenir de son père emprisonné et torturé au Congo, Emmanuel, jeune étudiant en lettres modernes à Paris, trouve par hasard le portefeuille d’un certain Georges Boudarel… Serait-ce LE George Boudarel, célèbre accusé de crimes contre l’humanité qu’il aurait perpétrés durant la guerre d’Indochine? Si oui, Emmanuel y voit l’occasion de répondre à la question qui lui taraude l’esprit depuis toujours : comment se rend-on aussi loin dans l’horreur?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 septembre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782896996438
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mon père, Boudarel et moi

Aristote Kavungu
 
 
 
 
 
 
 
 
Mon père, Boudarel et moi
 
Roman
 
 
 
 
 
 
 
 
Collection Vertiges
L'Interligne

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
 
Titre: Mon père, Boudarel et moi : roman / Aristote Kavungu.
 
Noms: Kavungu, Aristote, 1962- auteur.
 
Collections: Collection Vertiges.
 
Description: Mention de collection: Collection Vertiges
 
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20190103523 | Canadiana (livre numérique) 20190103531 |
 
ISBN 9782896996414 (couverture souple) | ISBN 9782896996421 (PDF) | ISBN 9782896996438 (EPUB)
 
Classification: LCC PS8571.A928 M66 2019 | CDD C843/.6—dc23
 
 
 
 
 
 
 
L’Interligne
435, rue Donald, bureau 337
Ottawa (Ontario) K1K 4X5
613 748-0850
communication@interligne.ca
interligne.ca
 
Distribution : Diffusion Prologue inc.
 
ISBN 978-2-89699-643-8
© Aristote Kavungu 2019
© Les Éditions L’Interligne 2019 pour la publication
Dépôt légal : 3 e trimestre de 2019
Bibliothèque et Archives Canada
Tous droits réservés pour tous pays

Merci au Conseil des arts de l'Ontario pour son soutien

À Pedro Zacharia Kavungu
Un père a deux vies : La sienne et celle de son fils. Jules Renard.



1

Stanleyville







Mon père venait de rentrer d’un voyage aux allures on ne peut plus rocambolesques. Ma sœur et moi, on avait quatre ans, assez pour donner un début de sens à ce qui se passait depuis son retour. Ce n’était visiblement pas un voyage heureux tant il passait, chez nous, de la famille et des amis dont la toute première réaction à la vue de père, c’était des cris dont nous ne savions pas s’ils étaient de joie ou de douleur. Les larmes et les sanglots se mêlaient parfois aux échanges quasi inaudibles de ces retrouvailles particulières à plus d’un titre.
Père en était à sa cinquantième séance d’explication de la semaine, il n’avait pas d’autre choix que de narrer ses dix mois d’absence, autant dire une éternité. Comme ma sœur et moi n’avions pas le droit d’assister aux conversations d’adultes, à chaque début de sa sérieuse narration, père nous envoyait jouer dehors. Il prenait alors un air grave, se raclait la gorge et commençait.
Je ne comprenais pas un tel engouement pour un simple voyage. Dix mois, c’était sans doute beaucoup, mais ça n’expliquait pas cet interminable défilé et cet intérêt singulier pour ce récit de voyage comme on en entend tous les jours. Ce seul fait m’intriguait.
Ma sœur, elle, appréciait ce temps libre et quasi sans surveillance qu’on nous accordait gracieusement. Les voisins étaient alors étonnés de nous voir comme ça, livrés à nous-mêmes, alors qu’en temps normal, on nous couvait pour nous éviter la moindre égratignure, la moindre occasion d’aller nous frotter à « la barbarie de la rue ».
Les enfants de nos voisins se mêlaient à nous et on se complétait dans nos jouets. Ils avaient un petit avion qui roulait avec lumières et hôtesses de l’air qui bougeaient. Ils l’avaient eu d’une de leurs tantes dont le patron ramenait souvent des jouets de ses voyages en Europe. Nous, on rivalisait avec notre camion de pompiers, avec lumières aussi, gyrophare et tout le toutim. Nous créions alors un monde tout à fait moderne et qui n’existait qu’ailleurs. J’aimais ce moment-là.
Pendant ce temps, mon père racontait. Je voulais que le petit moment que nous passions avec nos voisins soit éternel, que mon père ne prétextât pas un quelconque temps de goûter pour nous séparer de « ces enfants qui n’ont pas l’air très civilisés ». Nous ne savions même pas ce que ce mot voulait dire et, personnellement, je refusais quelque conjecture quant à son acception. Pour moi, ils étaient civilisés tant qu’ils venaient créer, avec nous, une émulation collective qui nourrissait notre quotidien comme jamais. Un point, c’est tout.
De temps en temps, j’allais zyeuter pour savoir si mon père en avait encore pour longtemps, comme je le souhaitais. « Il n’est même pas à la veille de finir. », j’exultais. Comme je devais éviter qu’il me voie, j’avais alors décidé ce jour-là d’écouter aux portes. C’était tout d’abord un brouhaha incommensurable tant tout le monde voulait placer un mot pour souligner la douleur causée par l’absence prolongée de mon père. Une surenchère de l’émotif et de l’affect, en quelque sorte. C’était apparemment le même rituel depuis son retour. La bonne de la maison leur servait du thé ou du café, c’était selon, puis le récit commençait. L’oreille collée contre le mur mitoyen de la salle de séjour, j’entendais peut-être pour la dixième fois les bribes de ce récit tant prisé par l’entourage de mon père. Il était ponctué d’exclamations et de cris d’indignation. De sanglots aussi. L’histoire dont il était question ce soir-là n’avait strictement rien à voir avec celle que j’entendais quelques fois en rôdant autour de la smala qui l’entourait depuis quelques jours. Elle était horrible. Inhumaine. Ce n’étaient pas que des morceaux épars. Le mot rébellion revenait souvent. Je ne le connaissais pas. Il revenait sous des formes diverses et cela brouillait un peu les pistes pour moi. « La rébellion a fait ceci, la rébellion nous a donné à manger, etc. » Je ne savais pas exactement ce que ça voulait dire. Était-ce le nom de quelqu’un ? En tout cas, elle faisait l’unanimité contre elle parmi l’auditoire de père et tout le monde la maudissait en lui collant des noms d’oiseaux que je ne pouvais même pas répéter à l’époque.
Au fur et à mesure que le récit progressait, mon père y laissait des plumes et perdait par le fait même son statut de héros. Pour l’enfant que j’étais, c’était terrible. Un monde s’écroulait, brique après brique. J’ai failli m’enfuir pour ne pas apprendre le reste, pour garder de lui l’image du gladiateur qu’il avait toujours eue. Mais ma curiosité voulait attendre le fin mot de l’histoire avant d’aller reprendre le jeu là où je l’avais laissé avec ma sœur et mes amis. Il ne venait pas. À la place, des scènes d’humiliation et de torture.
À quatre ans et des poussières, je ne comprenais pas tout ce qui se disait. Tout cela contrastait avec mon monde de l’école du dimanche où il était interdit de faire du mal à son prochain, où il fallait travailler à se rapprocher du paradis tous les jours parce que le diable avec son hideux visage n’était pas un choix enviable. Père disait qu’il faisait partie d’au moins cinq mille otages retenus par la rébellion. Retenus, dans le camp de Stanleyville, dans le seul but de mettre de la pression sur le pouvoir en place et de forcer des négociations. Ils voulaient la sécession, d’après ce que j’ai appris plus tard. Autant dire la guerre et ils étaient vraisemblablement, d’après père, dans un jusqu’au-boutisme irréversible.
Il y avait, dans ce fameux camp, des Européens, des Asiatiques, des nationaux et d’autres ressortissants des pays africains surpris qui sur la plage, qui dans les emplettes. Père, lui, donnait un récital à l’occasion de la fête d’anniversaire d’un de ses amis. Le virtuose de l’accordéon qu’il était aimait beaucoup se mettre en scène et leur en mettre plein la vue et l’ouïe, en l’occurrence. Ces agapes, comme il disait, avaient été brutalement interrompues par des hommes armés qui avaient amené la quarantaine de personnes présentes au sinistre camp. Et puis, soudain, un nom : Django. C’était le premier nom qu’il citait et non le moindre. Le diable en personne. Il accueillait les nouveaux qui arrivaient avec un sourire de vainqueur. Il les recensait. Une attention particulière était réservée aux ressortissants étrangers comme mon père. Ils représentaient une prise précieuse, des objets de change et de chantage. « C’était une véritable forteresse, disait-il. Ils ont eu le temps de tout préparer, les bougres, et tout cela, au nez et à la barbe du pouvoir. Toute la logistique était prête comme s’ils n’avaient fait que ça toute leur vie d’adulte. Les uniformes étaient prêts, ainsi que tous les objets de torture. Personne pour prévenir le gouvernement de ce qui se tramait. C’était d’autant plus étonnant que tout cela a dû leur prendre trois ans au moins, au bas mot. »
Père aimait les digressions et les anecdotes en racontant. Je ne savais pas pourquoi il éprouvait le besoin de dérider un peu s

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