Sara, le médecin troubadour
238 pages
Français

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Sara, le médecin troubadour , livre ebook

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Français

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Description

Ce récit riche et foisonnant vous plongera avec bonheur jusqu'aux racines du roman picaresque. Entre réalité et mensonge, entre sérieux et bouffonerie il donne à voir la geste mémorable, les maintes figures et les prodiges de Sara la pucelle, sorte de Don Quichotte avant l'heure.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 février 2012
Nombre de lectures 32
EAN13 9782296483354
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sara , le médecin troubadour
Vincent Silveira


Sara , le médecin troubadour


L’H ARMATTAN
© L’H ARMATTAN , 2011
5-7 , rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-96189-0
EAN : 9782296961890

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Une périlleuse chevauchée
Le livre des merveilles
Pour elle fis courte épitaphe avec chagrin,
Tristesse me mua en rude troubadour.
Quiconque ceci entendrait , par notre Dieu Souverain,
Oraison dise en mémoire de la vieille d’amour.


Traduction libre, j’en suis le seul responsable et coupable, de la strophe 1575 du Libro de buen amor que l’aimable lecteur retrouvera ci-après.


Matines viennent de sonner. Sara traverse le pont d’Alcantara au trot compassé de son cheval sans daigner saluer le soudard de garde, laissant derrière elle la ville aimée. Perdue dans ses mornes pensées, elle n’a cure de la lune grosse et impudique qui effleure d’un contour d’argent les remparts ensommeillés. Le fleuve franchi, comme si elle venait de jeter dans les flots immobiles les derniers oripeaux de son enfance éparpillée lesquels grandement l’entravaient elle éperonne résolument les flancs de sa monture qui galope bientôt, droit au septentrion. Rien ne la retient plus dans la cité baignée par le Tage. Entre les hautes tours elle laisse emprisonnés son deuil et son malheur, fuyant vers un exil délibéré. « L’exil commence toujours par une fuite de soi », se surprend-elle à murmure. Au travers de la toile de la besace accrochée à son cou qui lui bat le giron au gré des soubresauts du chemin, elle sent la caresse rude et froide de la lourde clef avec laquelle, tantôt, elle a fermé pour toujours, en cet instant elle en est persuadée, le grand portail sur ses souvenirs et ses regrets.
Elle a galopé à bride abattue l’espace d’une demi lieue, peut-être, comme tentant d’effacer loin derrière elle les murailles majestueuses que la nuit claire mais secourable a estompées peu à peu. Tournant lentement la tête au mépris du galop de sa monture de sa ville elle ne distingue plus qu’une dentelle de brume allant se perdre dans le lointain en une ligne ténue et mouvante.
Sara galope, Sara fuit, loin devant vers le Nord mais que fuit-elle, douce et belle Sara ? Sinon elle-même et tout son passé dont elle se sent brusquement dépouillée, accrochée désespérément à la crinière du fier coursier qu’elle serre aux flancs de ses cuisses endolories. Douce Sara éreinte ton cheval jusqu’à l’épuiser et fondre ainsi dans l’oubli cette ville aimée, elle, qui naguère t’a chassée que tu fuis, ce jour d’hui, comme ferait une amante délaissée.
Les sabots martèlent le sol, pilon broyant souvenirs et passé dans un mortier à chaque foulée recommencé. Entre Tolède et sa douleur, la lune en bandoulière, que défilent forêts, rivières et vallons ! L’exil est un ailleurs, elle sait qu’elle passera toute sa vie à le chercher. Pour te donner force et volonté figure-toi, femme superbe, que Tolède n’est plus qu’un noir tombeau où dorment tes parents d’un long repos, dont tu as fermé les portes à double tour pour au loin t’envoler, toi que l’on appelait naguère l’enfant de la Vierge. Avale du territoire pour oublier le temps qui passe inexorablement, fend le vent sur ton farouche destrier ! Arme-toi de courage, frêle demoiselle, pourtant déjà si endurante au malheur. Apaise le tourment qui gronde dans ton cœur, toi, seule désormais sur cette Terre car tu sauras prolonger leur mémoire, n’en doute point. Ce qu’ils furent dans cette Castille que tu ne reconnais plus tu le réinventeras dans cet ailleurs vers quoi tu fuis. Pour l’heure, puisqu’il te faut conjurer ta douleur imagine que les sabots qui frappent le tambour du chemin cognent sur la trogne hideuse de ce Dieu ingrat et sans pitié qui te laisse abandonnée et sans défense. Ainsi que feraient tes petits poings pour libérer la rage qui au-dedans te broie. Jure donc que tu ne gloseras plus sur Talmud ou Evangiles, inutile prose que celle-là ! S’il advient quelque jour que tu succombes derechef à ta passion pour les rudes controverses, comme tu faisais naguère pour pousser ton père dans ses derniers retranchements, tu sais que ce ne sera désormais que pour prôner foi en la vie et dans le savoir qui, seul, libère l’homme de ses chaînes. Ce sera ta seule bataille qui te fera tenir debout. Tu te répètes maintenant comme sommaire mélopée cette simplissime et sublime devise qui sera désormais la tienne : instruire et soigner. « Si fait, dans la mesure de mes forces, soulager, à chaque fois que je le pourrai, ceux qui saignent des blessures béantes de la vie », murmures-tu comme en écho. Comme elle le fut pour Isac, ton père tant aimé, la médecine restera, certes, ta patrie mais son second métier tu l’exerceras différemment. Lui, il était l’homme inassouvi des livres infinis qu’il lisait ou traduisait inlassablement, contemplatif et solitaire, toi, tu n’écriras qu’un seul livre, chaque jour recommencé, celui de la vie. Et avec ferveur tu le liras autour de toi, dans le fracas du monde afin d’instruire les miséreux. Toutes ces réflexions qui se bousculent sans ordre te détournent opportunément de cette noire souffrance qui te ronge et tu te dis à part toi, dans un pauvre sourire, que si tu cogites de la sorte c’est parce que tu vis encore.
Les naseaux du cheval lui renvoient en bouffées odorantes et chaudes un souffle court et précipité. Aussi, se hâte t-elle de mettre pied à terre pour une halte improvisée. Au levant, les premiers rougeoiements d’une aube limpide augurent d’une nouvelle journée caniculaire, en cette fin du mois de juillet de l’année 1369 des Chrétiens. Elle aperçoit une petite rivière qui coule derrière des frondaisons. Elle y mène son cheval qui s’y abreuve longuement tandis qu’elle se lave le visage. Puis, comme saisie de folie, elle se met à déclamer aux quatre points cardinaux, tournant lentement sur elle-même, dans un mouvement obsédant. Sa voix enfle et résonne dans la solitude et le silence environnants. On dirait que, dans un état second, elle reprend derechef les dix derniers vers du planto de Trotaconventos qu’elle avait déclamés, le front levé vers le soleil insolent en l’après-midi d’hier avant que d’enterrer son père. En cet instant, pour lui, pour sa mère qu’elle n’a pu revoir en vie elle hurle en guise d’ultime adieu, orpheline aussi de cette terre qui la rejette vers d’autres cieux, les quatre derniers vers :
Fizele un pitafio pequeño, con dolor.
La tristeza me fizo ser rudo trobador.
Todos los que lo oyerdes, por Dios Nuestro Señor,
La oraçion fagades por la vieja de amor.
Cependant que le destrier broute paisiblement sur la berge du cours d’eau, adossée à un orme énorme, Sara sanglote doucement. Pleure, ma fille, pleure, toi, qui par pur orgueil, hier t’en es abstenue, laisse jaillir de tes beaux yeux, en deux claires rivières, ta peine pour tout ce que tu as perdu !
Alors que le soleil pointe au levant son museau routinier, ivre de fatigue et de chagrin, la belle orpheline s’endort. Bientôt, dans son rêve léger flotte obstinément comme fragile vapeur d’été la nostalgie des années écoulées, mêlée au souvenir morose de son premier exil causé par l’envie et la jalousie.
Leonor traitait Sara ainsi qu’aurait fait une autre mère, la cajolant et lui prodiguant de bons conseils. Elle l’entourait d’une tendresse attentive et enjouée qui rassurait la jeune pucelle. Malgré cela, Guadalupe avait perdu peu à peu sa bonne humeur et sa gaieté de naguère. Si bien que ses impertinences n’étaient plus qu’un souvenir. Parce qu’elle devenait femme et s’obligeait au sérieux qui convenait à ce nouvel état ou bien encore, pourquoi le taire, en raison qu’elle ne trouvait pas terreau digne d’accueillir ses bons mots ? D’Eulalia, Guadalupe avait hérité le calme, la prestance et la beauté. Comme sa mère, naguère, partout où elle passait on la regardait avec envie, convoitise ou désir, cela variait selon celle ou celui qui l’observait. Jamais elle ne passait inaperçue. Le plus souvent, de ces œillades elle n’avait cure mais il advenait, parfois, qu’en silence elle s’en agaçât. En certaines occasions, Isac avait la magie du verbe qui subjugue, captive ou convainc. Les quatre cavaliers arabes surgis du néant avaient enduré les foudres oratoires du père de Sara. D’ordinaire, le verbe du médecin-traducteur était plaisant, enjôleur souvent, pesant parfois surtout quand il s’égarait dans des logorrhées qui finissaient par lasser l’auditoire le plus complaisant. En revanche, la parole de Sara en toute circonstance tranchait comme vive lame, allait droit au but. Elle ne démontrait pas, ne s’embarrassait pas d’enluminures. Elle disait, un point c’est tout ! Et, en quelques phrases

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