Au pied des croix
103 pages
Français

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Description

Le corps d’un homme est retrouvé au pied de la croix de fer plantée sur le Rocher Panet, un ilot rocheux dans le fleuve Saint-Laurent, face à l’Islet-sur-Mer. Un masque couvre son visage et il tient dans ses mains un message qui semble destiné à l’enquêtrice. Dans les semaines qui suivront, trois autres victimes sont retrouvées, toujours au pied de croix, toujours dans une même mise en scène. L’enquête forcera Marie à revisiter ses souvenirs d’enfance pour retrouver l’auteur de ces crimes, une personne qu’elle aura baptisée l’Ombre Noire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 janvier 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782898311680
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les bruits avaient recommencé. Il en était ainsi à chaque nouvelle ivresse de son père. Des voix d’abord, des cris, puis des bruits de verre brisé, ensuite des bruits de coups au corps, des pleurs et une porte qui claque.
Il était blotti dans un coin de la garde-robe de sa chambre, accroupi dans le noir, en position fœtale. Une odeur douce flottait dans l’espace clos, les murs étaient de bois rougeâtre, du cèdre aromatique. Des manteaux y pendaient, celui de sa mère entre autres. Le cèdre protégeait la fourrure. La fourrure le protégeait. Elle étouffait les bruits et le calmait.
Depuis qu’il pouvait l’entendre, la scène se répétait. Depuis qu’il pouvait la comprendre, la scène le terrifiait, la peur l’envahissait, le glaçait. Puis, son impuissance l’enrageait, une profonde colère l’envahissait, le submergeait.
Le calme revenu, son père parti, il sortait. Sur la pointe des pieds, il se dirigeait vers le haut de l’escalier, descendait quelques marches, jetait un coup d’œil dans la cuisine.
Il y voyait sa mère, yeux rougis, chiffon à la main ou sac de glace au visage. Parfois, elle l’apercevait.
— Tout va bien petit Jean, retourne au lit, lui disait-elle.
Il y retournait. Il n’arrivait jamais à s’endormir. Les pensées sombres l’envahissaient.


Chapitre 1
— Tu sais qu’il existe une légende à propos de ce rocher ?
François faisait défiler les pages sur l’écran du téléphone mobile. Marie l’écoutait à peine. Ils roulaient sur l’autoroute Jean-Lesage.
Le téléphone avait sonné à 9 h 30 ce mercredi matin. Elle avait travaillé tard la veille sur un cas non résolu : un homme de soixante ans de Rimouski qui n’avait jamais été revu. Depuis le jour de sa disparition, aucune trace de lui, aucun signalement, aucune transaction sur ses cartes de débit ou de crédit, rien, aucun signe de vie. Le corps n’avait jamais été retrouvé. Elle détestait ces cas, ceux qu’elle n’avait jamais réussi à résoudre. Ils étaient des exceptions dans son portefeuille. Elle avait la réputation de ne jamais lâcher prise, de travailler avec pugnacité jusqu’à la résolution. Elle tenait à cette réputation.
En rentrant chez elle à la fin de sa journée de travail du mardi, elle s’était demandé si elle se découvrirait, un jour, une passion autre que le travail. Depuis qu’elle avait abandonné la boxe, c’était ce qui occupait l’essentiel de sa vie. Elle avait pensé prendre un avant-midi de congé le lendemain, faire autre chose, s’occuper d’elle. L’appel avait contrecarré ses plans.
C’était le lieutenant Couillard, son patron. Il lui avait résumé l’histoire d’un débit rapide, un concentré un peu brusque pour un matin qu’elle avait souhaité calme et détendu.
Une personne avait aperçu un objet inhabituel gisant sur le socle d’une croix plantée sur le rocher Panet, à L’Islet-sur-Mer. Après avoir récupéré des jumelles, cette personne avait constaté qu’il s’agissait d’un corps humain, immobile, apparemment sans vie. Elle avait composé le 911, qui avait alerté le poste régional de L’Islet. Arrivés sur place, les agents avaient confirmé qu’il s’agissait bien d’un corps humain et ils avaient demandé l’aide des services spécialisés. Un poste de commandement et un véhicule tirant une remorque chargée d’un bateau pneumatique étaient en route.
À 10 heures, elle avait appelé François Ouimet, son partenaire d’enquête. Il était déjà au travail. Elle avait convenu qu’elle le retrouverait au Q.G. Une heure plus tard, ils roulaient en direction est.
Marie avait grandi à Saint-Pacôme, une cinquantaine de kilomètres plus à l’est. Elle connaissait le lieu. François poursuivit son compte-rendu de lecture.
— On raconte qu’après qu’une belle jeune femme du village ait, un jour, vendu son âme au diable, celui-ci n’était pas entièrement satisfait du marché ; l’âme ne lui suffisait pas, il en voulait davantage, il voulait aussi posséder son corps. Dans sa grande malice, il la projeta sur un îlet face au village pour venir la rejoindre et prendre possession de cette chair qu’il voulait sienne. Dès qu’il mit le pied sur l’île verdoyante, celle-ci se pétrifia. Toute trace d’une végétation pourtant auparavant luxuriante disparut d’un coup ; l’île était devenue un rocher gris, un lieu mat, austère et aride. Pendant plusieurs semaines, lorsque la belle essayait de s’enfuir, les flots la rabattaient violemment sur la roche. Elle était là, cheveux épars, jambes et bras meurtris, gémissant, prisonnière de Satan et du rocher maudit. Les paroissiens affolés par cette scène lugubre implorèrent le bon curé Panet de leur venir en aide. D’abord réticent, il se laissa finalement convaincre, emprunta l’embarcation d’un paroissien et se dirigea vers l’île damnée. Lorsqu’il mit pied à terre, il se retrouva face à l’envoutée. D’un geste ample et solennel, il traça, dans l’air, du bras droit, un grand signe de croix et entama les formules d’exorcisme. Le ciel devint sombre, la jeune femme se tordit et se révulsa. De sa gorge sortirent d’horribles sons, une écume blanchâtre exsuda de sa bouche. Puis tout le roc devint mou, l’argile remplaça le roc, le pied droit du curé s’y enfonça en y laissant une marque. Dans cet environnement hostile au sol tiède, ne lâchant pas un instant la jeune femme des yeux, le curé poursuivit courageusement la récitation des formules de désenvoûtement, traçant maintenant index et majeur tendus, de petits signes de croix. Au bout d’un moment, le ciel s’éclaircit, les nuages disparurent, le soleil brilla, le sol se refroidit, une source d’eau limpide jaillit du centre de l’empreinte laissée par le pied du prêtre, la belle fut libérée, des larmes de gratitude coulèrent sur sa joue.
Marie s’engagea dans la sortie 400, L’Islet, Saint-Cyrille, Saint-Marcel. Elle tourna à gauche sur le boulevard Nilus-Leclerc. Tout en roulant, elle revoyait l’image du rocher et de la croix le surmontant, un peu au large du village. Elle se demandait comment et surtout pourquoi le corps d’une personne avait pu s’y retrouver.
— Marie, tu m’écoutes ? lui demanda François.
— Oui, oui, répondit-elle. J’ai un cerveau qui me permet de conduire, penser et écouter en même temps. Des histoires de marins ayant picolé un peu trop fort. Dans le coin, il y a aussi des histoires de sirènes qui auraient tenté d’attirer les pêcheurs sur les îles d’en face. Un cheval noir qu’on aurait débridé malgré les recommandations contraires alors que l’on construisait l’église, qui se cabra en hennissant, qui s’enfuit au galop, et fonça sur un mur de roche qui se fendit. Les flammes de l’enfer s’en échappèrent, il s’y engouffra pour rejoindre les profondeurs. Le Malin lui-même serait venu, tout de noir vêtu, un soir, danser dans une des maisons. J’imagine qu’au cours des longs hivers, les histoires à faire peur pouvaient devenir un divertissement prisé.
Arrivée à la route 132, Marie tourna à droite. Après un court instant, elle aperçut, au loin, dominant le paysage, les deux flèches de l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours. Elle pensa un court instant que ces clochers se dressant vers le ciel avaient été une marque de la puissance de la sainte Église, celle-là même qui contrôlait le corps des femmes condamnées à enfanter leur vie durant, tout en protégeant les hommes dans leurs pires travers ou perversions. Mais, pensa-t-elle, ils avaient tout de même trouvé fonction utile et efficace : ils étaient devenus des points de repère appréciés par les navigateurs, par les capitaines et les équipages du grand fleuve à l’époque du cabotage, celle des goélettes, les voitures d’eau du Saint-Laurent.
En découvrant le bâtiment religieux, elle vit que les collègues avaient déjà installé un ruban de signalisation qui interdisait l’accès au stationnement. Des véhicules de la Sûreté s’y trouvaient déjà : une auto-patrouille, les véhicules annoncés par le lieutenant et celui de l’identité judiciaire. Elle gara sa voiture en bordure de la rue. Quelques badauds y étaient rassemblés.
En descendant, elle sentit la brise fraîche venue du large puis jeta un coup d’œil à l’édifice religieux. Il était bordé d’un côté par le rivage, et de l’autre par ce qui avait été le Chemin du Roy. Sa façade était flanquée de deux tours au centre desquelles trônait une statue monumentale de Notre-Dame-de-Bonsecours. L’église avait été érigée entre 1770 et 1771, ce qui lui conférait le titre de dixième bâtiment d’église le plus ancien du Québec.
Marie en avait déjà visité l’intérieur. Le retable de Baillargé qui couvrait toute la surface du chœur était une pièce unique et renommée. À une époque, elle s’était amusée à visiter l’intérieur des églises de la côte. Non qu’elle fût dévote ou croyante ; elle se disait athée convaincue. Mais ces pièces somptueusement travaillées et généreusement parées de dorures lui rappelaient le faste d’une Église dont les croyants, à l’époque, peinaient pour simplement se nourrir ou nourrir leur famille ; une Église prélevant une dîme aux pauvres, une Église les faisant rêver d’un ciel au bout de leur peine, une Église comme opium d’un peuple. Elle avait, dans ses jeunes années, été profondément révoltée par l’institution. Elle était, aujourd’hui, totalement indifférente.
Elle regarda le rocher au loin. La marée était haute, l’eau recouvrait la batture. Elle se demanda à nouveau ce qui avait pu pousser quelqu’un à aller déposer un corps sur un rocher perdu à plus de 500 mètres de la rive. Pourquoi se donner tant de mal ? pensa-t-elle.
François l’avait rejointe et ils passèrent sous le ruban jaune tendu. Depuis le fond du stationnement, un homme s’approchait. Plutôt rond, crâne dégarni, chemise blanche, cravate, cardigan à col châle de couleur marine, pantalon de lainage gris, souliers bon marché, abimés. On juge un homme à ses chaussures, avait toujours dit son père.
Elle le regarda venir vers eux tout en jetant un coup d’œil vers l’arrière, étonnée qu’on ait permis à un civil d’accéder au site. Puis elle se ravisa, le stationn

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