L issue
336 pages
Français
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Français

Description

Valérie, au chômage et coincée chez sa mère, voit son triste quotidien bousculé par la mort suspecte d'un voisin. Elle qui ne trouvait pas de sens à sa vie se découvre une vocation de détective. Elle fera bientôt la rencontre d'un PDG, d'un poète, d'un adolescent, d'une femme-enfant : que cachent-ils ? Et qui sont les Invisibles et les Inhumains ? Un policier psychologique et dérangeant.

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Informations

Publié par
Date de parution 02 juin 2016
Nombre de lectures 21
EAN13 9782140011672
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Julie VELBOÏ
L’Issue Roman
Traduit du russe par Jean Le Guennec
L’ISSUE
Julie VELBOÏ
L’ISSUE
Roman Traduit du russe par Jean Le Guennec
Du même auteur
Les Tombes de Pierre, Mon petit éditeur, 2013
© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-08233-2 EAN : 9782343082332
1. INGA
Non, ce n’était pas un rêve : il restait bien une dernière cigarette dans le pa-quet. Inga soupira et mit la cafetière sur la plaque avant de se lancer dans le maquillage. Pour que le café ne se sauve pas, elle régla la plaque sur le mi-nimum.
Inga ne pouvait pas sortir sans être maquillée, même pour faire une dizaine de mètres, pour aller au magasin au coin de la rue et revenir. Elle sortit sa trousse de maquillage, déballa le contenu sur la table, posa devant elle un grand miroir ovale sur pied et entreprit de se préparer. Le miroir faisait loupe et, souffrant d’un défaut de vision, Inga se servait justement du second côté, le côté grossissant.
D’abord le contour. Inga n’achetait jamais de produits tout prêts, elle traçait le contour avec une allumette finement taillée, comme elle faisait depuis toujours. pour cela il fallait détremper le bout d’un crayon à maquillage bon marché, y tremper l’allumette pour qu’elle s’imprègne de couleur et ensuite seulement commencer à dessiner.
A petits mouvements saccadés, pour ne pas étirer la paupière, elle corrigeait scrupuleusement la moindre inégalité de la peau ; elle traçait la ligne avec tant de délicatesse et de précision qu’un chirurgien aurait envié la sûreté de sa main. Du travail d’orfèvre. Il y avait encore une raison pour laquelle elle préférait l’allumette taillée aux produits du commerce : enfant, elle avait souffert de conjonctivites à répétition et ses cils étaient en partie tombés, de sorte qu’il fallait teindre les vides habilement. Et dans cette technique elle avait acquis une véritable maîtrise. Son regard, de nature un peu maussade, mais à présent ses yeux semblaient expressifs et langoureux. Pour le contour elle avait passé environ vingt minutes : dix pour un œil, et dix pour l’autre.
Puis venaient les ombres. Avant, elle affectionnait le gris-bleu, mais depuis deux ans elle avait découvert un olive foncé avec des reflets nacrés, et cette nuance pas trop voyante lui avait tant plu qu’elle était devenue « sa » cou-leur. La nacre rendait les paupières légèrement proéminentes, et ses yeux, de nature un peu petits, prenaient du volume et de la largeur. Près des cils elle appliquait une couche plus épaisse et estompait vers le haut, de sorte que la paupière fermée prenait l’aspect d’un léger nuage de nacre. Ensuite elle om-brait à peine le coin extérieur de l’œil, pour le rendre visiblement plus large et plus profond. Elle avait beau être pressée d’aller faire ses courses, chacun de ses gestes était lent et précis – c’était un rituel, dans lequel la négligence 7
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et la précipitation devenaient des fautes. Les ombres lui prirent encore une quinzaine de minutes. Elle terminait juste au moment où elle sentit l’odeur du café brûlé. Contrariée, Inga se leva et retira du feu le café, qui avait coulé, tout en regardant d’un air dégoûté les salissures sur la plaque de cuisson.
Elle ressentit à nouveau une forte envie de fumer. Comme dans le rêve qu’elle avait fait ce jour-là, elle ouvrit le paquet, s’étonna qu’il restât une seule et unique cigarette… et le referma.
Inga regarda par la fenêtre : humide et sinistre, novembre se montrait dans toute sa splendeur. A huit heures et demie du matin le ciel était si maussade et si bas qu’on aurait dit que le jour n’allait jamais se lever. Ici et là des lam-beaux de neige se détachaient et le vent les emportait en tourbillonnant. Les branches des arbres s’agitaient si fort qu’Inga regardait avec appréhension les fils électriques. L’hiver précédent, à cause du vent, toute la maison avait été privée de courant pendant deux jours. Au printemps on avait bien ébran-ché l’arbre devant sa fenêtre, mais pendant l’été, les branches avaient re-poussé encore plus denses et somptueuses, et pointaient dangereusement en direction des fenêtres.
Inga regarda au loin : tout au bout de la cour, là où l’asphalte défoncé se transforme en un chemin de terre caillouteux, se dessinait un trait noir verti-cal. Ce trait était vivant, il bougeait et, semblait-il, avançait avec peine contre le vent. Clignant de ses yeux myopes, Inga vit que ce n’était pas un trait ordinaire, mais une silhouette humaine en veste, noire et boutonnée jusqu’au cou.
Encore un moment et dans cette silhouette tendue elle reconnut son voisin du dessous, marchant avec peine face au vent. Inga ne fut pas longue à mettre ses lunettes : le gars était effectivement en veste ! Elle frissonna. Cette veste noire avec un col mao, il la portait depuis le mois d’août. Certes, à ce mo-ment-là les deux boutons du haut étaient défaits. Elle n’avait personne avec qui partager son trouble ; aussi après l’avoir vu passer le porche, elle se con-tenta de secouer la tête.
Bon, mais il fallait tout de même bien finir de se maquiller pour aller faire les courses !
Il restait à faire les cils. C’était là son seul malheur : ses cils étaient courts et rares, et penchaient vers le bas. Avec des gestes légers, Inga mit du noir tout en les recourbant vers le haut, puis laissa un peu sécher la première couche avant de passer la seconde. Après cela elle passa plusieurs fois une petite
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INGA
brosse spéciale en nylon pour séparer çà et là les cils restés collés, se passa sur les lèvres un rouge terre cuite – mais pas trop épais, pour qu’elles n’aient pas l’air peinturlurées, et sur la lèvre inférieure, au milieu, juste un peu de nacre à nouveau. Avec un crayon de « terre cuite », elle refit le contour, et voilà ! Le contour des lèvres était une chose tout aussi essentielle que le noir ; il ne devait pas être trop net, pour ne pas donner l’impression de lèvres de vieille, aussi le mettait-elle par-dessus le rouge, contre toutes les règles du maquillage. Inga ne se plaignait pas de ses lèvres. Elles étaient bien dessi-nées, pulpeuses, et avec l’âge elles ne perdaient pas de leur fraîcheur.
Inga n’utilisait pas de poudre ni de fond de teint. A cinquante-cinq ans, certes, cela n’aurait pas été de trop, mais elle avait toujours procédé comme cela et elle n’avait pas l’intention de changer ses habitudes.
Dans l’entrée elle fit bouffer – avec les mains, pas avec un peigne – sa frange couleur chocolat coupée « à la française » et enfila un blouson. En rabattant le capuchon sur sa tête, Inga admira une fois de plus la fourrure sombre et luisante, qui s’harmonisait de façon si originale avec ses cheveux et ses yeux et, contente d’elle, franchit le seuil de l’appartement.

A la deuxième tentative, elle réussit tout de même à faire du café et dégusta avec plaisir la première tasse du matin avec une cigarette. Puis une deu-xième, et une troisième. Cette activité lui prit environ deux heures. Inga re-gardait par la fenêtre en essayant de deviner si le soleil allait se montrer – elle aimait tant le soleil le matin. Mais les nuages devenaient de plus en plus sombres et le ciel de plus en plus bas, on entendait le hurlement du vent dans la cheminée et, brusquement, une voix qui lui faisait écho, venant de la chambre à coucher :
M’man… Inga se pressa de répondre à l’appel :
Fais du café. » Inga devina plus qu’elle n’entendit les paroles de sa fille.
Une demi-heure plus tard Valérie, décoiffée et ensommeillée, apparut dans la cuisine.
T’as encore fumé ? Ce furent ses premiers mots. Puis elle se fit un peu plus aimable :
Où est le café ?
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