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François Labatut, Juge de paix de Porzabbat, sait cultiver les inimitiés, tant dans le cadre de son travail que dans son rapport avec les femmes...
Aussi, recevoir une lettre anonyme de menaces ne le perturbe pas beaucoup et ne l’empêche surtout pas de jouer sa partie de bridge quotidienne avec quelques cadres de la ville.
Pourtant, quand une seconde missive lui parvient, l’avertissement de sa mort dans trois jours ébrèche son assurance même si d’autres contribuables ont également eu le droit à ce type de courrier.
Alors, quand François Labatut disparaît un soir d’orage, les habitants commencent à s’inquiéter, plus pour eux que pour le magistrat...
AVANT-PROPOS
Le polar terroir a le vent en poupe depuis quelques décennies.
Et, si de nombreuses régions sont concernées par le phénomène, certaines sont mises en avant par l'ampleur de leur production, la ferveur du public ou parce qu'elles ont été précurseurs en la matière.
Parmi celles-ci, comment ne pas penser à la Bretagne qui, l'une des premières, suscita à ce point l'engouement des lecteurs, des auteurs et des éditeurs, que le roman policier breton constituerait presque, désormais, un sous-genre à lui seul.
Mais, certains écrivains n'ont pas attendu cette « mode » pour clamer haut et fort, dans leurs intrigues, tout l'amour qu'ils portaient à leur Terre et à ceux qui la foulent.
Jean-Marie LE LEC (1902-1951) est indéniablement l'un de ceux-ci. Né le 11 octobre à Treffiagat dans le Finistère, Jean-Marie LE LEC a commencé très tôt à prendre la plume pour conter des histoires s'ancrant dans les villages qu'il connaissait et chérissait.
C'est au début des années 1940, sous l'influence de Edgar Allan Poe, Stanislas-André Steeman, Pierre Véry, Agatha Christie… qu'il décide de se lancer dans le roman policier sous le pseudonyme de Yann LE CŒUR.
En moins de trente mois, il en écrira une demi-douzaine, tous se déroulant dans les Cornouailles et tous mettant en scène Martial Le Venn alias Mars, inspecteur qui deviendra, par la suite, commissaire.
Yann LE CŒUR ne se contentera pas, dans ses histoires, de dépeindre les paysages l'entourant, il s'évertuera, également, au sein de ses intrigues, de faire des études de mœurs en proposant, à chaque fois, des portraits fouillés de Bretons et de Bretonnes. Il n'oubliera pas d'évoquer les coutumes et les folklores locaux et de parsemer ses textes d'expressions du cru…
Dès sa première tentative, avec « Treize dans l'île », il démontrera son amour de la Bretagne et des Bretons, et, surtout, ses inspirations, ses motivations et ses intentions…
Malheureusement, Jean-Marie LE LEC mourut avant d'atteindre ses cinquante ans, laissant la Bretagne orpheline d'un de ses plus ardents représentants.
Vous avez l'opportunité, maintenant, de découvrir le plus breton des écrivains bretons et ses romans qui ne sont pas que des romans policiers… qui sont plus que des romans policiers…
K.
DRAMATIS PERSONAE
Channik KERDEN 55 ans. Caro KERDEN 48 ans. Bastienne KERDEN 36 ans. Monsieur LABATUT 52 ans, Juge de Paix. Korentin SCOUARNEC 45 ans, Maire. Monsieur CHRIST 45 ans, Receveur des Postes. Monsieur JAMES 42 ans, Chirurgien-dentiste. Docteur GENTRIC 38 ans, Médecin. Zacharie LE BERRE 48 ans, Greffier de la Justice de Paix. Vérité LABATUT 54 ans, Sœur du Juge de Paix. Madame JAMES 38 ans, Sage-femme. Viviane CHRIST 21 ans, Fille du Receveur des Postes. Martial LE VENN 42 ans, de la Brigade Mobile de Rennes. Ariane de CHARMAZ 40 ans, sa femme.
L'action se déroule à Porzabbat, chef-lieu de canton, sur la cote de Cornouaille.
à M. le Dr Edmond LOCARD,
témoignage de respect et de gratitude.
Y. le C.
I
MONSIEUR LE JUGE FAIT LE MORT
Au premier coup de six heures, Monsieur Labatut interrompit sa lecture et leva la tête. Comme tous les soirs, il lisait son journal au café des « Trois sans homme » en attendant ses partenaires de bridge. Son regard chercha sur le mur du donjon le cadran de l'horloge municipale et il put constater une fois de plus que la sonnerie avançait de quelques minutes sur les aiguilles.
Aucun horloger de la ville n'avait encore découvert le secret du synchronisme entre les indications sonores et visuelles de l'horloge du château. Les sonneries des autres édifices publics faisaient d'ailleurs preuve du même esprit d'indépendance.
Un dicton affirmait ironiquement que, chaque fois que l'heure sonnait au donjon, il était « trop tôt au château, moins dix à l'église, moins le quart à la gare ».
Il est vrai que les cinq mille habitants de la capitale du clan bigouden n'avaient que faire de l'heure exacte. Mais cette anarchie avait le don d'exaspérer Monsieur Labatut, juge de paix à Porzabbat qui, lui, avait, inné, le sens de la précision. Son chronomètre d'or à trotteuse centrale réglait au 1/5 e de seconde.
Grâce, sans doute, à cet avantage, Monsieur Labatut arrivait toujours bon premier au café des « Trois sans homme » où ces messieurs le rejoignaient pour la partie de bridge et le sacro-saint Picon-grenadine.
« Ces messieurs » avaient nom : Monsieur Christ, le receveur des Postes, un veuf assez fringant qui frisait la cinquantaine ; Monsieur James, le chirurgien-dentiste dont la maison jouxtait la Mairie et enfin Monsieur Scouarnec, qui cumulait les fonctions de maire et de chef de gare.
Il était difficile d'imaginer quatuor plus hétérogène. Mais le mot bridge, comme chacun sait, veut dire pont. Ce pont réunissait régulièrement, vers six heures, les quatre personnalités que nous venons de nommer. C'était alors deux heures de trêve aux discordances politiques, culturelles et religieuses. Deux heures d'oubli autour du tapis « du beau... du bon... Dubonnet », dans la fièvre des enchères et des « contre » ou l'euphorie conjointement produite par la fumée de tabacs variés et la perfidie du Picon à peine éclaboussé d'eau de Seltz.
Le dernier coup de six heures venait de s'éteindre là-haut, dans le repaire des choucas, quand retentit le « Bonsoir, Bastienne » dont Monsieur Scouarnec gratifiait en entrant la bigouden penchée sur son ouvrage de broderie, près de la fenêtre de l'arrière-salle.
Sur les talons du maire, M. Christ et M. James entrèrent à leur tour avec cette tranquille lenteur des gens de province qui connaissent à fond l'art de tuer le temps et celui de le prendre comme il vient.
Il y eut un échange distrait de poignées de mains et de salutations banales. Un geste en déclenchait un autre, mais aucun ne semblait avoir une signification précise, ne recouvrait la moindre cordialité. De la politesse en conserve, et froide. Monsieur Labatut avait, en virtuose, lancé les deux jeux, le rouge et le vert, qui se glissèrent en éventail sur le tapis. Chacun, s'étant débarrassé de son couvre-chef, retourna une carte. L'as de cœur — M. Scouarnec — s'assit en face du valet — M. Labatut — M. Christ et M. James se firent vis-à-vis.
Pendant que M. Scouarnec battait le jeu rouge, faisait couper M. Christ et distribuait les cartes, Bastienne replia sa toile cirée recouverte de tulle, y piqua son aiguille et se dirigea vers l'étagère aux alcools pour servir les joueurs.
À cet instant, le timbre de la salle du débit, séparée par une cloison de la pièce où se tenaient les bridgeurs, fit entendre un son fêlé et un homme coiffé d'un canotier noir entra.
— Bonsoir Zacharie ! lança Bastienne en réponse au coup de chapeau de l'arrivant.
— M. le Juge est là ? questionna ce dernier.
Mais, sans attendre la réponse de la vieille fille, il pénétra dans la salle réservée aux habitués.
— Tiens, c'est toi, fripouille ? fit le juge de paix sans quitter des yeux les dernières cartes qu'il distribuait.
— Vous avez oublié ceci sur votre table, Monsieur le Juge, répondit l'interpellé qui n'était autre que le greffier, Zacharie Le Berre.
Et, ce disant, il tendit une enveloppe bulle à son supérieur qui s'en empara sans même y jeter un coup d'œil, la plia en deux et l'enfouit dans sa poche.
Bastienne, en commerçante avisée, avait immédiatement ajouté un cinquième verre sur son plateau. Elle posa celui-ci sur une table voisine, versa le Picon dans les verres, sans parcimonie, puis ajouta un filet de grenadine. Elle soignait bien ses fidèles clients.
— Tant pis pour le perdant ! ironisa-t-elle, il aura le verre de Zacharie en plus à payer.
Personne ne protesta.
Le greffier sourit, prit une chaise et s'assit sans plus de façons. Non qu'il s'intéressât le moins du monde au jeu des bridgeurs, c'était bien au-dessus de ses facultés, mais lui aussi avait deux heures à tuer avant d'aller absorber son épaisse souben rouz dans le pen-ty qu'il habitait près des ruines de l'église Sant Jakez, de l'autre côté de la rivière.
La partie commença. Le maire ouvrit les enchères.
— Un cœur...
— Passe... fit M. Christ après avoir compté ses points.
— Deux piques... appuya le juge de paix.
— C'est bon... déclara M. James.
— Quatre cœurs...
— Passe...
— C'est bon...
— C'est bon...
La bouche du juge de paix esquissa une grimace, car il détestait faire le mort. Monsieur Christ attaqua du roi de carreau. Le juge étala son jeu en soupirant et se renversa sur sa chaise.
Zacharie avait vu la grimace du juge. Désireux de mettre de l'huile dans les rouages, il prit un verre sur le plateau posé près de lui et le tendit à M. Labatut qui le huma voluptueusement avant d'y tremper ses lèvres.
— Un peu d'eau de Seltz ? proposa le greffier, assez mollement.
— Ça gâche le Picon, lui fut-il répondu.
M. Labatut aimait assez boire sec, notamment le Picon qui, disait-il, développe l'esprit de justice. L'esprit de justice de paix, tel, du moins, qu'il le concevait. Car il avait la réputation de « saler », si l'on peut dire, les clients dont la tête ne lui revenait pas, sans doute pour les conserver. Mais, quand il les avait bien salés, il avait pour eux un mot d'esprit — la goutte de grenadine ! — qui faisait avaler « l'amende amère », suivant son expression favorite.
Autant dire tout de suite qu'il s'était attiré, avec ce système, quelques haines solides dans le canton sur lequel s'exerçait sa juridiction. Mais il avait aussi des amis.
Il se moquait d'ailleurs de ces amitiés provisoires autant que des inimitiés permanentes, car, étant juge de paix et juge de paix « dans la note », il s'estimait à l'abri de tous et de tout dans sa chaire de bois noir, au second étage du donjon. Entre ses murs épais de quatre pieds, le château abritait, outre la mairie, les locaux de la justice de paix.
La partie traînait en longueur, les jeux ne s'accordant pas aussi bien que le maire l'avait escompté.
Le juge de paix bâilla, éprouva le besoin d'allumer une cigarette et mit la main à la poche pour y quérir son p