Nancy de Portsmouth

Charles Richebourg

Description

Tim Slack, un jeune marin anglais, refuse d’embarquer sur le « Tasmania » malgré la place enviable qui l’attend sur le navire.

Une bonne paie, un équipage sympathique, un voyage vers les plus belles contrées du monde, de quoi le changer de son quotidien pouilleux.

Et Tim Slack se serait laissé facilement convaincre si, dans les destinations prévues, il n’y avait pas l’île de Bali.

Car, Mary de Newcastle, surnommée « La sorcière de la Tyne », lui a prédit, deux ans auparavant, qu’il serait un jour pendu pour l’amour d’une fille de Bali...

Mais Tim Slack apprendra à ses dépens que « nul n’échappe à son destin »...

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Informations

• Publié par: Oxymoron Éditions
• Date de parution: 01 mars 2023
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782385011222
• Langue: Français

Extrait

Nancy de Portsmouth
Récit d'aventures

par Charles RICHEBOURG
CHAPITRE PREMIER
 
L'homme était assis sur une bitte d'amarrage, à trois cents mètres en aval de Tower bridge, les yeux tournés vers la Tamise ; il paraissait perdu dans un rêve imprécis, cependant, il eût pu sans se tromper déterminer le nombre de caisses que la grue, à sa droite, avait déchargées dans les cales béantes du « Tasmania ».
Ce n'était pas un pointeur, puisqu'il ne prenait aucune note des marchandises que le long bras métallique déplaçait au-dessus de sa tête, dans un grand bruit de ferraille ; de plus, un sac de marin, en toile à voile et à fond de bois, gisait à ses pieds, comme s'il partageait le désœuvrement apathique de son propriétaire.
Un matelot probablement ; ou quelque soulier décidé à ne s'embarquer qu'au dernier moment, afin de jouir le plus longtemps possible de la stabilité de la terre ferme. La supposition était d'autant plus vraisemblable qu'il portait un tricot de grosse laine bleue, orné d'une ancre noire, sous un vieux veston usé.
Malgré le froid humide et en dépit du brouillard qui montait du fleuve, il conservait une immobilité rigoureuse, se bornant à souffler sur ses doigts engourdis chaque fois qu'il se roulait une cigarette.
Il était là depuis le matin, et personne ne s'occupait de lui. Derrière, dans le grouillement des entrepôts, les dockers poussaient des « ahans » d'effort en soulevant des colis trop lourds. À bord du cargo, les hommes s'affairaient : ils avaient déjà fixé les prélarts sur l'écoutille N° 2, et le chargement avait cessé au 3. Sur la passerelle, des ombres s'agitaient dans la fièvre des départs. Les chaudières étaient sous pression, et tout là-haut, une mince colonne de fumée très blanche fusait de la sirène.
Insidieusement, la nuit tombait sur les navires amarrés le long des quais, les uns à côté des autres, comme de gros scarabées endormis, le ventre en l'air ; par endroits, des phares électriques dessinaient des halos blafards autour d'activités de fourmilières flottantes.
Le grincement des treuils avait fait place aux coups de sifflet stridents des maîtres d'équipage ; les mâts de charge s'étaient arrêtés, pointant vers le ciel de plus en plus noir leurs doigts décharnés ; et assourdis par l'ouate de la brume, des ordres brefs résonnaient dans toutes les langues de la terre.
Point d'aboutissement des grandes routes maritimes, le port de Londres vivait les heures grises de son crépuscule quotidien.
— Alors Tim... Tu t'amènes ?
L'homme au chandail tressaillit violemment, comme s'il sortait d'un cauchemar, et il se retourna pour faire face à un grand gaillard roux, qui le regardait avec un étonnement voisin de la stupidité.
— Non, Angus... dit-il d'une voix ferme. Je ne t'accompagnerai pas !
— Mais, tu es devenu fou, ma parole ?... Je me démène comme un beau diable pour te faire inscrire au rôle d'équipage du « Tasmania »  ; j'y parviens au prix de je ne sais combien de difficultés, et au moment où le bac va larguer ses amarres, tu me déclares froidement que tu me laisses tomber ?... C'est inimaginable !
L'autre branla la tête avec obstination :
— Non ! répéta-t-il, têtu. Je n'irai pas !
— Mais pourquoi, nom de Dieu ?... s'emporta Angus en menaçant le ciel de ses poings velus. Jamais plus tu n'auras l'occasion d'entreprendre un voyage pareil ; le vieux est un type magnifique ; je suis copain avec le donkeyman  ; et pendant un an, j'ai fait Buenos et La Plata avec le cambusier... C'est te dire que nous serons à bord comme des coqs en pâte ! Ajoute à cela que la nourriture est bonne et que l'armement paye mieux que n'importe quel autre !
— Je sais tout cela !
— Eh bien, alors ?... Tu verras des pays merveilleux : Alexandrie et le canal de Suez ; la mer Rouge où les cotres du Yémen font le trafic de l'encens ; tu feras escale à Djibouti puis à Colombo ; tu joueras au fan-fan à Singapour... et enfin, pour couronner cette traversée de rêve, tu découvriras l'archipel de la Sonde : Java... Bali, l'île enchantée !
— Bali... répéta Tim dans un murmure à peine intelligible.
— C'est là que les femmes sont les plus belles du monde ! Tu les verras danser au son du gamelan, dans la nuit mauve qu'éclaire le vol des lucioles ; tu verras leur corps se tordre dans un irrésistible appel... leurs bras d'ambre onduler comme des serpents...
L'homme au pull-over bleu perdait pied, visiblement ; mais il réagit avec violence :
— J'irais partout, Angus... affirma-t-il d'une voix rude. Partout, entends-tu ?... Sauf à Bali !
Un long panache de vapeur claire s'échappa...