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Rebelle nature, les tumultes du Canal du Midi , livre ebook

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Faut-il se méfier de l’appel des éléments ? Les caprices de la nature en sont-ils vraiment ? Ou s’agit-il d’autres manifestations qui nous dépassent ? En retournant sur les terres de son enfance et de ses souvenirs, Alexis va expérimenter certains phénomènes…L’auteure nous offre dans cet écrit, son interprétation de la terreur lovecraftienne.
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Langue

Français

Maryse Weisser Macher
Rebelle nature
Rebelle naturede Maryse Weisser Macher
© Maryse Weisser Macher, 2021
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Rebelle naturede Maryse Weisser Macher
Ce matin-là, je m’étais réveillée avec une phrase qui
tournait en boucle dans mon cerveau :je surveille la
bête.résonnait dans ma boîte crânienne telle une Elle
mélodie lancinante qui produisait un effet désagréable
sur moi. Mon cœur battait très vite, une sorte
d’angoisse m’envahissait. J’avais un fort mal de tête et
je me trouvais étriquée dans ce pyjama, sous ma
couette.Il faut que je sorte de là, me disais-je. Je me
levais et manquais de trébucher. J’ouvris la porte-
fenêtre de ma chambre et respirai l’air frais et me sentis
mieux. Pourquoi cette phrase me donnait-elle des
sentiments négatifs? Je ne savais pasd’où elle naissait
ou dans quelle circonstance je l’avais déjà entendue.
Depuis quelque temps, des rêves surgissaient de mon
esprit, comme des messages enterrés du passé qui
reprenaient subitement vie.
Après mon accident,
certains éléments de mon histoires’étaient évaporés,
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Rebelle naturede Maryse Weisser Macher
d’autres revenaient à moi, se chevauchaient et
s’entrecoupaient d’une façon anarchique. Je n’avais
aucune idée s’il s’agissait de vrais souvenirs ou si je les
avais inventés. Il m’arrivait même de croire que ces
pensées ne m’appartenaient pas. La foudre s’était
abattue sur moi alors que je me promenais sur les
berges du canal, à un kilomètre de mon domicile. Je
n’avais aucun souvenir de cet orage mémorable dont les
gens de la région parleraient encore plusieurs années
après. Il semblerait que j’avais eu beaucoup de chance:
une voiture des Voies navigables de France circulait
pendant la tempête sur le chemin de halage et avait
appelé les secours. J’étais restée quelques jours dans le
coma, mais les médecins affirmaient que tout était
rentré dans l’ordre. Je gardais quand même une peau
bizarrement marbrée due apparemment à la forte fièvre.
D’ailleurs, mon épiderme commençait à devenir épais.
Je me disais que c’était sûrement le signe de la
guérison. De même, je ressentais des douleurs au
niveau des doigts et des orteils. Le courant électrique
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Rebelle naturede Maryse Weisser Macher
qui était passé par mes extrémités en était peut-être la
cause. Néanmoins, les trous de mémoire et les
cauchemars m’ennuyaient. Un même rêve revenait
régulièrement, et il se situait aux environs proches du
canal.
Il était nécessaire que je vérifie cette soudaine
frénésie: je me sentais comme investie d’une mission
intime, d’un devoir de grande
importance. Une
obsession, un appel, une sorte de voyage qu’il fallait
accomplir à l’instant. Ce concept flouétait imprégné
d’une sensation aquatique, une histoire d’eau. Peut-être
s’agissait-il simplement d’un rêve, d’une pensée
furtive. Ou bien d’un souvenir surgissant d’un passé
lointain. Je me doutais que mon cerveau me cachait des
choses. Soit je les avais oubliées à la suite de mon
accident, soit… je ne savais plus. Il fallait que je vérifie.
Je surveille la bête.De quelle bête s’agissait-il? Peut-
être que c’était une réponse à ces articles de journaux
récents faisant référence à toutes sortes de découvertes
étranges dans le Canal du Midi… Il semblerait que les
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scientifiques se soient penchés sur cette question. Ils
auraient affirmé que lestortues-alligators et les
crapauds-taureaux
seraient des espèces invasives
arrivées d’Amérique par l’intervention de l’humain;
que lessiluresles caniches venus engloutissant
s’aventurer près des berges n’avaient rien d’anormal:
le
silure
ferait
partie
des
poissons
reconnus
bioaccumulateurs. Il fallait même se réjouir, il
mangerait les souillures et impuretés à notre place et
nous rendrait donc service.
Cette espèce s’était
multipliée grâce à la pollution humaine et était devenue
de plus en plus grosse. Tout cela me laissait néanmoins
dubitative, sans que j’en comprenne la raison.
Dès le lever du soleil, je pris mes bâtons de marche
et partis sur le chemin de halage. Le demi-soleil orangé
donnait une belle couleur à cette matinée d’automne.
L’ambiance aquatique me plaisait et m’inquiétait en
même temps. Les canards dormaient encore, le bec
dans les plumes du dos. Les poules d’eau se cachaient.
Un héron me regardait, prêt à s’enfuir, comme s’il se
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demandait ce que je pouvais bien fabriquer ici. Les
habitants des quelques rares maisons qui bordent le
canal se préparaient pour la
journée qui allait
commencer. Seule la maison de la vieille dame décédée
était fermée. Enfin, c’était ce que je pensais voir. En
arrivant devant la bâtisse, j’arrêtai mes pas: la porte
d’entrée paraissait grande ouverte, un jeune homme
était en train de plaquer les volets au mur et d’aérer les
pièces. Qui était-il? Un membre de la famille? Je
m’approchai en limite de propriété, près de la boîte à
lettres. Le nominscrit en bonne place ne me disait rien ;
mais le prénom… Un souvenir d’enfance s’imposa
brusquement à moi et envahit tout mon corps. Je faillis
m’effondrer.
Je savais maintenant d’où venait la phrase qui me
hantait.
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Alexis avait eu des difficultés à ouvrir la porte
d’entrée. Il n’était pas venu dans cette maison depuis
longtemps. Les volets et les fenêtres étaient grands
ouvertsafin d’aérer les pièces et Alexis observait
l’extérieur. Au niveau du chemin de halage, en limite
de propriété, il vit une dame, d’une cinquantaine
d’années qui s’était arrêtée et fixait l’habitation du
regard. Peut-être une connaissance de sa grand-mère?
En apercevant Alexis, elle repartit d’un pas déterminé.
Explorant l’intérieur de la maison, il se rendait compte
qu’il possédait beaucoup de souvenirs. Des scènes
refaisaient surface. C’est une sensation très étrange que
de revenir ici, pense-t-il. Louise, sa grand-mère était
très attachée à cette maison qu’elle avait héritée de ses
parents. Il s’était passé beaucoup d’évènements dans
cette demeure, de belles choses, des accidents
tragiques : une maison de famille avec des histoires de
famille. Habitant à Paris, Alexis travaillait beaucoup et
n’avait pas le temps de venir aussi souvent qu’il l’aurait
souhaité.Enfin, c’est une mauvaise excuse, admettait-
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il. Il regrettait à présent de ne pas avoir accordé plus
d’attention à Louise qui l’avait élevé à la mort
accidentelle de ses parents. Peu d’éléments avaient
changé, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le crépi du
mur de dehors se décollait par larges morceaux et
semblait atteint par une sorte de champignon qui lui
donnait un aspect négligé et sali. Il observait le jardin.
Il y a du boulot!disait-il tout haut. Une vieille voiture
des années 1950 montrait un repère du temps un peu
tronqué. Elle était envahie par la végétation qui
reprenait le dessus. Les mauvaises herbes avaient
poussé çà et là. Le potager qu’entretenait encore sa
grand-mère se trouvait à l’abandon. Seuls deux
énormes potirons victorieux trônaient tout de même en
ce lieu, comme les rescapés d’une bataille récente et
acharnée. Leur couleur dominante illuminait ce jardin
qui semblait oublié du reste du monde.
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Ainsi, la vision du chemin de halage fit resurgir en
lui les souvenirs enfouis. Son arrière-grand-père, Jean,
qu’il avait très peu connu, passait beaucoup de temps
au bord de l’eau. Il restait assis sur une chaise à
contempler la surface. Certains disaient qu’il perdait la
tête depuis la disparition de son fils ainé. Ce drame
s’enroulait de circonstances qui ont toujours été
compliquées à dénouer: le corps de son fils n’avait
jamais été retrouvé. Jean était un adepte de la pêche à
la ligne et c’était lors d’une partie de pêche que son fils,
jeune majeur à l’époque, était mort noyé. Enfin, c’était
la conclusion de l’enquête. Sa grand-mère lui avait
appris que Jean, son père, était retourné chez lui dans
un état de démence difficile à décrire. Il tentait
d’expliquer à qui voulait bien l’entendre, des choses
incompréhensibles. Les mots sortaient en vrac de sa
bouche dans un tel désordre qu’on se demandait quelle
langue il pouvait bien parler. Il y avait le mot «bête»
qui revenait souvent. Sa femme avait raconté qu’à force
de déambuler et de tâcher d’exprimer ses propos avec
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grande énergie, il fut pris d’une crise d’épilepsie qui se
manifesta par de nombreuses secousses involontaires
du corps pendant que ses yeux étaient révulsés et qu’il
paraissait «absent». Il s’endormit ensuite là où il se
trouvait, au sol, dans la salle principale. Les hommes
du village venus en renfort le couchèrent dans son lit.
Éreinté, il dormit durant une semaine entière. Son
sommeil était parsemé de cauchemars pendant lesquels
il hurlait d’un cri effroyable. La maison se situait dans
un endroit plutôt isolé, mais on l’entendaitde très loin
aux alentours. Souvent, Jean se levait la nuit, pris d’une
sorte de crise de somnambulisme. Il se rendait au canal,
se déshabillait et voulait se mettre à l’eau pour aller
«chercher son fils», disait-il. Jean ne savait pas nager
et sa femme avait eu juste le temps de le raisonner dans
son cauchemar en lui disant que leur fils l’attendait
pour le repas. Ce mensonge pesait beaucoup à madame
Jean qui devait aussi assumer le fait que les recherches
ne donnaient rien : leur enfant avait disparu et tout le
village commençait à perdre espoir de trouver le corps.
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