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Description
"Pour les amateurs de bon petit noir qui décape" Direct Matin
"Absolument jubilatoire, un chef d'œuvre." Les cordeliers
"Cynique, amoral et violent." La Boutique du polar
"Un coup de poing dans la gueule !" Unwalkers
"C'est bien, mais bon quand même, tous ces morts..." Ma mère
Hubert Garden est chargé de veiller au respect des procédures de sécurité dans une société de travaux publics. Un job largement dans ses cordes. Sauf que les accidents se succèdent sans qu’il y puisse grand-chose.
Et que sa hiérarchie, l’estimant responsable, décide de le déclasser. Le spécialiste du « zéro accident » entame alors une croisade mortelle contre cette boîte ingrate...
Yvan Robin signe ici un roman diaboliquement intriguant, délicieusement amoral. Pas d’enquête, pas d’inspecteurs de police, pas de témoins... mais un sacré suspense !
Vous avez aimé Le Couperet de Donald E. Westlake, Chute libre de Joel Shumacher, vous allez adorer Travailler tue !
Sujets
Informations
Publié par | Éditions Lajouanie |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782370470201 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Y VAN R OBIN
TRAVAILLER TUE !
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Article L4121-1 du Code du travail
PRÉLUDE
Les lueurs perçaient dans la noirceur. De part et d’autre de la route nationale deux ballons lumineux, gonflés à l’hélium, flottaient à bonne hauteur. Des moucherons gribouillaient le halo de leurs trajectoires désordonnées. Autour, la nuit touffue gommait toute trace de vie. Les arbres et les gens s’y enfonçaient pour disparaître.
La semaine passée les engins avaient creusé deux fosses profondes, et coulé le béton des fondations du portique. Une sorte d’arche rectangulaire qui enjamberait la voie rapide, au sud de Neuville. Cette nuit, quatre ouvriers assemblaient les montants d’acier de la structure.
Deux d’entre eux prenaient leur pause, assis sur la glacière qui contenait de quoi tenir jusqu’au jour – quelques bières, de la charcuterie industrielle. Dégarnis et mafflus, ils fumaient du tabac gris dont l’odeur, mêlée à celle des champs détrempés, avait l’âcreté de la transpiration. Sitôt émanées, leurs volutes se dissolvaient dans l’obscurité. De l’autre côté de la voie Anton Derreck, le chef d’équipe, s’étonnait de n’entendre plus le cliquetis métallique des outils de son binôme. Le genre de silence qui vaut pour un cri.
– Carlos ?
L’éclairage prodigué par le ballon n’allongeait pas suffisamment la portée de sa vue.
– Qu’est-ce que tu fous, vieux ?
Il bloqua sa respiration un temps pour focaliser son écoute. De l’autre côté de la nationale, Alister et Sevran bavardaient dans un charabia inaudible. Les insectes bourdonnaient en gravitant inlassablement autour du ballon lumineux.
Anton Derreck s’approcha. S’approcha plus encore. Jusqu’au bord. Et se pencha au-dessus du trou. La panique – qui frémissait en lui – et l’obscurité, l’empêchaient d’en distinguer le fond, trois mètres en contrebas. Il courut jusqu’au camion et ouvrit les portes arrière, comme un satyre les pans de son imperméable. Il dérangea la plupart des casiers de bois pour trouver l’échelle télescopique et la trousse de premiers secours, qu’il ramena au bord du trou. Il cria en direction de ses collègues :
– Ramenez vos culs !
Il traîna le lest à bout de bras pour déplacer le ballon lumineux au plus près de l’accident. En lui, la panique bouillait à présent.
– Carlos est tombé dans la fouille !
Il déplia l’échelle et descendit, la poignée de la trousse de premiers secours entre les dents. Son cœur battait fort dans ses paumes. Il ressentait des décharges comme si les montants d’aluminium étaient électrifiés. Son pied rencontra le ciment encore meuble des fondations du portique. Elle débordait, la panique. Elle suintait par ses pores, en sueur grasse et visqueuse.
Carlos Zermeños gisait sur le dos, un fer à béton fiché dans le ventre, au-dessus de la hanche. Du côté droit. La pleine lune du ballon rehaussait avec peine son teint bilieux. Sa combinaison grise noircissait à vue d’œil, à mesure que croissait l’auréole de sang.
Il avait dû glisser du rebord – la zone étant mal éclairée – et s’empaler sur l’une des quatre tiges de fer qui sourdaient de la dalle. Pour que ça saigne à ce point, la tige, mince comme l’auriculaire et plus raide qu’une dague, ne s’était pas contentée d’entrer d’un côté pour ressortir de l’autre. Elle avait tout déchiré sur son passage.
Il ne s’agissait pas à proprement parler d’un chantier à risque. Deux jours à quatre, sur le planning. Une broutille. Anton Derreck avait l’habitude de travailler avec cette équipe. C’était sa bande. Ses gars. Carlos Zermeños, Alister et Sevran, des ouvriers expérimentés. Ce n’était pas le premier portique de vidéosurveillance qu’ils posaient, les routes de la région en étaient truffées.
– Nom de Dieu, s’écria Sevran en découvrant la scène depuis le haut de la fouille.
Derreck ne voyait pas son visage, à cause du contre-jour, mais devinait l’horreur qui lui tirait le portrait.
– Appelle une ambulance, et dis à Alister de prévenir la boîte avec la radio du camion.
Le chef d’équipe ne savait pas comment aborder la victime, s’il devait lui prendre la main, lui sortir cette saloperie du bide, ou juste tenter de la rassurer.
– Carlos, tu m’entends ? C’est Anton. On s’occupe de tout, l’ambulance va arriver.
Carlos Zermeños esquissa un sourire aussitôt avorté par la douleur. La tige de fer était maculée d’un sang épais et luisant comme le caramel qui recouvre les pommes d’amour. Sa combinaison, chaude et trempée. À chacune de ses inspirations, la partie immergée du fer à béton disparaissait partiellement dans son ventre. Ça devait faire un mal de chien.
– Chef… Je crois que j’me suis pissé dessus.
– Ça fait rien, vieux, ça fait rien.
Derreck ouvrit la trousse de premiers secours et en détailla sommairement le contenu. Du gel en cas de brûlure, des garrots pour les coupures, des compresses stériles, un spray désinfectant, des pommades en tout genre. Rien ne semblait approprié à une perforation abdominale, ou peu importe le nom que ce truc qui clouait Carlos au fond de la fouille pouvait porter. Il se sentait impuissant, un rouleau de bande Velpeau entre les mains.
– Les secours vont pas tarder, lança Sevran en haletant. Alister remonte la nationale à leur rencontre. Comment ça se passe en bas ?
– Il respire. Ça va… Il est stable.
Anton avait déjà entendu cela à la télévision, il est stable , et nul doute que la situation actuelle se prêtait à l’emploi de la formule. Pour l’heure, en tout cas, il ne fallait rien espérer de plus rassurant que cette stabilité.
Il entreprit de mesurer le pouls du blessé pour tromper l’attente et faciliter le travail des médecins, probablement déjà en chemin. L’affaire d’une poignée de minutes. Il était chef d’équipe, c’était à lui de gérer les situations d’urgence, de prendre les choses en main.
Son cœur battait dans ses doigts, dans son pouce, si bien qu’il était incapable de différencier ses propres batte-ments de ceux de Carlos, qui arborait désormais une mine béate.
– Ça va, vieux ? T’es toujours avec nous ?
Le blessé avait la voix hachée par les spasmes.
– El dolor…
Sa gorge émit un long bruit de canalisation. Derreck lui essuya le front et les paupières avec la bande Velpeau.
– Es como Dios…
Les secours n’arrivaient pas et Carlos commençait à délirer.
– Todo mi cuerpo…
Derreck jeta un regard à Sevran.
– Qu’est-ce qu’ils foutent bon sang ?
– Ils arrivent… Ils ont dit qu’ils arrivaient.
– Rappelle-les. Dis-leur que ça urge.
Il zieuta sa montre. Combien de temps s’était écoulé depuis qu’ils avaient donné l’alerte. Dix minutes. Quinze. Plus. Il suffisait d’envoyer un camion médicalisé, au départ de Neuville. En cinq minutes c’était réglé.
La lumière était plus vive maintenant, Sevran avait ramené le second ballon lumineux – initialement situé de l’autre côté de la nationale. Le sang était plus rouge et bullait autour de la blessure de Carlos, à chaque respiration. Le rouge était plus vif. Épais comme la cire d’une bougie fondue. Tout paraissait plus vrai. Plus cru. Plus sale. Le visage du blessé était si pâle qu’on voyait serpenter les veines bleues sous la fine peau de ses tempes. La lumière artificielle décuplait même les odeurs, du métal, de la sueur et du trou dans le ventre de Carlos.
Anton dut détourner la tête pour recouvrer ses esprits. Il était chef d’équipe, il devait assurer.
On entendit Alister revenir en courant. Il gueulait comme un camelot.
– Des phares ! J’ai vu des phares !
Une vague de soulagement traversa l’équipe. Carlos Zermeños, à bout de force, relâcha la pression dans un sanglot plaintif.
– C’est une voiture, précisa Alister sur le ton de la déception.
Sevran posa la main en pare-soleil sur son front.
– Une vieille caisse blanche…
Anton Derreck se releva péniblement, perclus de courbatures, et tendit l’oreille. La voiture s’arrêta au bord de la fouille. Le moteur tournait au ralenti. Les phares éclairaient toujours. La portière s’ouvrit dans un bruit de caoutchouc, puis claqua.
Il entendit tour à tour les voix d’Alister, de Sevran et celle, plus fluette, d’un autre type, mais n’en comprit pas un mot.
L’homme descendit dans la fouille. Il portait un casque avec le logo de la boîte, et une sacoche de cuir accrochée à sa ceinture par un mousqueton afin de libérer ses mains.
Il observa le corps durant de longues secondes, comme un expert sur une scène de crime, sans porter la moindre attention à Anton Derreck. Son regard était froid, sa veste mal coupée. Il avait dû s’habiller à la hâte, car un pan de sa chemise sortait de son pantalon de velours. Il avait tout de même pris soin d’enfiler une cravate.
Avec des gestes d’une précision chirurgicale, il ouvrit le mousqueton et déposa sa sacoche de cuir sur le béton.
– J’ai voulu prendre le pouls, bredouilla Anton Derreck, mais je…
L’homme le fit taire d’un geste de la main et ouvrit sa sacoche. Il en sortit des chaussures de sécurité et un sachet contenant quatre capuchons de plastique rouge.
Il retira les baskets pourries de Zermeños et lui enfila les chaussures neuves qu’il laça consciencieusement. À l’extrémité des fers à bétons, il plaça les capuchons de protection. Avant d’apposer l’embout sur le dernier fer – celui sur lequel Carlos Zermeños était empalé – il sortit de son sac un carré de toile cirée de la taille d’une feuille A3, qu’il étala près du corps. Puis un couteau de poche au manche de bois clouté d’or dont il déplia la lame non sans difficulté, car ses ongles étaient rongés jusqu’à l’os.
Il enfila ensuite une paire de gants de manutention en cuir retourné, avant de s’agenouiller près de la victime. D’un geste sûr, il réalisa une entaille franche dans le capuchon de protection, jusqu’au centre du chapeau.
Il reposa le couteau sur la toile cirée, et retira ses gants de manutention pour les remplacer par une paire de gants chirurgicaux jetables – qui claquèrent quand il les enfila.
Depuis là-haut, Alister et Sevran