Chaque heure de danse
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Chaque heure de danse , livre ebook

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Description

L’indifférence des professeurs me rongeait. Toutes sortes d’élèves formaient les groupes. Celles qui étaient toujours placées devant, les magnifiques, les magnétiques. Puis, les souffre-douleur. Celles grondées pour leur indiscipline. Les trop grasses, les trop musculeuses, les trop petites. Et moi : ni petite, ni grasse, ni dissipée, ni mauvaise, ni merveilleuse. Juste translucide.
À l’âge de cinq ans, Catherine a perdu son père. Plus encore, c’est sa capacité à nouer des liens et à exprimer ses émotions qu’elle a alors perdue. C’est pourtant là l’essentiel, sans doute, quand on se consacre à la danse. Maintenant qu’elle a vingt ans et qu’elle a quitté le foyer maternel, Catherine tentera non seulement de perfectionner ses grands jetés et ses tours en arabesque, mais surtout de s’affranchir de la peur qui l’étouffe.
Ce roman sur la danse sans satin ni tulle trace une chorégraphie de mots pour révéler le parcours introspectif d’une jeune ballerine qui s’efforce de prendre son élan.
L’ambiance du studio de Matthew Walters était blanche. Quatre danseurs s’y échauffaient. Des jambes étaient allongées sur les barres, emmaillotées dans leurs bas de laine de couleur claire, troués par la répétition des gestes. Des genoux pliaient, des orteils fléchissaient ou pointaient. Des corps étaient couchés à la surface du sol dans le carré de soleil. Les cous, les thorax, les dos s’étiraient toujours un peu plus loin.
Une seconde après, le sourire du professeur vers moi et sa main tendue. Un sourire chaud et doux, comme la paume de sa main pleine, qui serra la mienne, osseuse, froide, sans importance. Je n’aurais jamais pu sourire si naturellement à un inconnu. Il me demanda mon nom et se présenta, « Matthew, bienvenue à la classe », en déposant la main sur sa poitrine. Pourtant robuste, cette main devenait presque menue en comparaison avec son large torse. Sa façon de bouger révélait sa force physique. Sa stature m’avait paru moins imposante dans les films où je l’avais vu danser.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 mars 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782764431146
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : acapelladesign.com
Mise en pages : Pige communication
Révision linguistique : Sylvie Martin et Chantale Landry
Conversion en ePub : Nicolas Ménard
Québec Amérique 329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Véronneau, Mireille
Chaque heure de danse (Collection Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-3099-6 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3113-9 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3114-6 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8643.E758C42 2016 C843’.6 C2015-942531-X PS9643.E758C42 2016
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2016
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2016
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2016.
quebec-amerique.com



Aux neiges d’antan et à ma grand-mère, qui est toujours là



Cherchons danseurs professionnels ou étudiants avec formation reconnue en danse classique. Le 30 janvier à la salle de répétition du Grand Théâtre, de neuf heures à midi. Préparer une présentation solo de trois minutes. Improvisation. Exercices individuels et collectifs. Envoyer curriculum vitæ et lettres de recommandation par courriel avant le 10 janvier.
Le spectacle s’intitulerait Blue Balloons . Ce n’était pas mentionné dans le journal. Je l’appris quand Matthew m’en parla. Des lèvres qui remuaient devant mes yeux, une suite de mots. Ce n’était pas limpide. Il me fallut un temps pour comprendre ce qu’il attendait de moi. Il ne proposait l’audition à aucun autre de ses élèves. Ma réponse sortit comme un automatisme :
— J’peux pas.
Je n’étais pas prête à cela, et loin de l’être. Il y aurait les prochains mois de classes. Ensuite le travail qui n’a rien à voir avec la danse – serveuse, caissière… je verrais bien –, conjugué aux classes, quand ce serait possible. Puis un apitoiement secret, des heures désabusées. Les auditions repérées dans les journaux et sur Internet, les ratées, puis celle qui ouvrirait la porte à un premier projet de moindre envergure. Puis une montée lente dans le monde de la danse. Alors, une audition, maintenant : impossible.
Je reçus les grandes mains chaudes de Matthew sur mes épaules, qu’il pétrit quelques secondes pour faire cesser la secousse qui agitait mon corps. Un baume.
La classe débuta. Au commencement, j’étais concentrée sur les pliés, les dégagés par terre, les petits battements simples. Aux ronds de jambe, son idée me retraversa la tête une seconde. Je réussis tout de même l’exercice sans me tromper, quoique mon expression dût en souffrir. Nous fîmes un court adage dont la lenteur fut fatale : j’y repensais, repensais. Cette troupe m’était inaccessible. Il était évident que je ne trouverais pas ma place dans ce projet. Matthew passa près de moi, m’encourageant à respirer, à respecter le tempo. Il ne m’avait plus adressé de telles remarques à la barre depuis longtemps. Les battements frappés furent catastrophiques. Un malaise me gagna pour le reste de la classe. La diagonale de doubles tours piqués m’acheva presque. Je me retins de sortir du studio pour m’étendre sur le plancher froid du couloir.
Je le faisais, enfant. Dans la salle de bain, je formais une petite boule sur les carreaux en céramique. J’observais que mes cheveux étaient de la même teinte que mon chandail et mes pantalons de velours côtelé, tête-de-Maure. Ma mère racontait que pendant un an, elle s’était butée à mon refus de porter d’autres couleurs.
Cette fois, je résisterais à l’envie de sortir du studio et de m’effondrer. Le grand allegro arriva. Après un essai médiocre de chaque côté, Matthew me fit signe de m’asseoir sur sa chaise en chêne à l’avant du studio. Il restait trois minutes à la classe. J’avançai vers le miroir et, après quelques semaines passées dans la peau d’une autre, me reconnus. J’étais redevenue celle qui avait peur, qui était malade de peur. J’avais ce même visage lorsque je prenais un bateau et que les vagues me remuaient, le même visage qu’aux funérailles de papa. La peur, les vagues, la peine : une figure, ma figure. Les danseurs exécutèrent les grands sauts sous mes yeux, une dernière fois à droite et à gauche. Ils étaient merveilleux. Heureusement, je n’avais pas été parmi eux. Un gâchis. Tous applaudirent. Je voulus sortir ; Matthew me retint, bien sûr. Je n’aurais pu lui échapper.
— What’s the matter with you ?
La peur, il la vit, la comprit, voulut me rassurer.
— C’est bon que tu commences maintenant à auditionner, même si tu penses que t’es pas prête. Tu pourrais attendre encore un an, deux ans, mais la perfection, c’est impossible. On se sent jamais prêt, mais un jour, faut y aller.


Sans doute mon sommeil avait-il été paisible pendant la petite enfance. Je ne me souvenais plus.
Depuis quinze ans, les nuits où il ne venait pas me visiter se faisaient rares. Elles étaient devenues une source d’espérances factices et de réveils amers quand, au matin, un restant de songes goûtait encore son passage.
Tout de suite après sa mort, les rêves me l’avaient ramené, déjà, le choc. Mon père recouvrait sa vitalité, son rôle auprès de nous, et même sa santé, comme au temps d’avant où la vie n’était pas brisée. Sous mes paupières closes, sa présence ne surprenait pas. Pas encore. Il rentrait du travail, en complet, avec sa serviette. Nous soupions. Plus tard, il regardait la télévision. Le bras de son fauteuil me servait de barre pour l’exécution des pliés, des dégagés, des petits battements. Je répétais ces mouvements sans me lasser. Je recevais son baiser sur ma joue avant d’aller au lit. Le doute du mirage ne se déclenchait pas, et la nuit parvenait à rétablir en moi ce fond d’innocence que la mort me volait le jour. J’étais si jeune.
Après une saison – ou une décennie – sans lui chaque jour, ses apparitions dans mes rêves changèrent. J’étais devenue fébrile, dans l’attente d’un événement particulier. Son statut dans la famille avait perdu de sa normalité. Lorsqu’il m’apparaissait, à cette époque, mon imaginaire me donnait l’espoir qu’il était sauvé, qu’il rentrait enfin pour de bon. Cette période ne devait pas durer : ce cycle infini d’absences, d’attentes et de retrouvailles m’écorchait le cœur au point de rompre ce qui me restait d’équilibre.
Alors, mon esprit, même endormi, avait commencé à s’apercevoir de l’illusion ; jamais plus le sommeil ne me rendrait dupe. Quand il reparaissait, on ne savait plus de quel lieu ni de quelle époque. La raison traversait le rêve pour détecter le faux. Trop de mois, d’années, sans lui ; son retour devenait impossible. Seule la mort avait pu l’arracher à sa famille. Devant l’évidence, le songe se fracturait. Je ne me rendormais plus.
Une fois les yeux ouverts, un état d’abattement me pénétrait. Son visage avait déjà commencé à s’embrouiller, comme si un rideau de larmes en recouvrait les traits. La teinte de ses cheveux, la douceur de sa main, le timbre de sa voix, une par une, les parties de lui qui me permettaient de le reconnaître se désagrégeaient, sans que personne y pût grand-chose. Son image s’engourdissait, figée. Elle ne tenait plus qu’aux clichés des albums de famille et à quelques expressions de lui que mon frère reproduisait parfois, sans le savoir. Ainsi son souvenir s’effritait-il, comme une sculpture antique, et je posais, tel l

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