Chroniques Verticales - Saison 2 épisode 2

Laurent Copet

Description

La saison avance et l’incompétence – si ce n’est la folie – de Lost Arrow se fait de plus en plus criante. Sa paranoïa vis-à-vis de Chilam Balam ne fait qu’augmenter... ainsi que le danger.

Sujets

• Fantasy
• Fiction
• Aventure
• Fantasy (canción de Mariah Carey)

Informations

• Publié par: Realities inc
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9791095442325
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

Chroniques verticales
Laurent Copet
Saison 2 - Épisode 2
1
 
Le lendemain, ils retournèrent à la forêt. Certains purent changer de poste, mais Salto Angel continua d’acheminer des branches en contrebas.
Fantomastic appela Tournebrosse à d’autres tâches et désigna Fissuridale pour faire équipe avec Salto Angel. Ce dernier fut soulagé du départ du saisonnier, mais il commença bien vite à s’inquiéter pour son nouvel équipier, autant que pour lui-même. Si Tournebrosse passait par là et constatait leur manque d’efficacité…
Mal à l’aise, fatigué, l’ancien ralentissait la livraison. Salto Angel sortit de sa torpeur pour l’encourager ; il mit toute son énergie pour essayer de compenser la faiblesse de Fissuridale avant de renoncer devant l’épuisement excessif qui le gagnait. Finalement, il retourna dans son monde intérieur, fait de lassitude et de douleurs continues, et se borna à répéter de temps à autre des « allez » et des « plus vite » à l’ancien.
En fin d’après-midi Fissuridale tomba dans le Néant. Salto Angel ne parvint jamais à déterminer si l’ancien, épuisé, avait fini par glisser ou s’il avait sauté volontairement.
Pendant un long moment, il resta assis sur l’arbre, à pleurer en silence.
Après son retour, il mangea sans appétit, se coucha sans trouver le sommeil. Lorsqu’il pensa enfin s’endormir, l’image du corps de Fissuridale plongeant dans le Néant le réveilla en sursaut. Il regarda autour de lui. Les corps entassés dans l’enclos. Quelques ronflements réguliers. Au-delà des barrières, les étoiles brillaient. Il se leva, enjamba ce qu’il prit pour des cadavres endormis, rejoignit l’entrée. Par chance, c’était son père qui montait la garde. Fantomastic dormait un peu plus loin, en dehors de l’enclos.
« Qui va là ? fit Tandem pour l’Évidence.
— C’est moi, Salto Angel. Ton fils », ajouta-t-il, morose.
Tandem pour l’Évidence hocha la tête et scruta son visage à la lueur des flammes.
« Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il d’une voix radoucie.
— Pisser. »
Il s’éloigna et Tandem le regarda faire, soudain nerveux. « Ne va pas trop loin », murmura-t-il.
Salto Angel ne répondit rien et alla se planter au bord de la cassure, face au vide.
Où voudrait-il que j’aille ? Même équipé, je n’aurais pas la force de fuir. Ni le courage. Vol Parfait, où es-tu ? Pourquoi laisses-tu faire ça ?
Il regarda en contrebas, aperçut les reflets du Néant. Une boule se noua dans son ventre. Ses yeux s’emplirent de larmes et l’idée lui vint que la chute de Fissuridale avait peut-être laissé une marque dans le brouillard. Puis il se dit que le mieux pour lui était de rejoindre l’ancien.
Dans son dos, il entendit un bruit de pas. Son père vint auprès de lui. Il le prit par l’épaule pour le faire reculer, mais Salto Angel ne bougea pas. Tandem pour l’Évidence n’insista pas. Il resta un moment à côté de son fils, à contempler la nuit paisible.
« Tu ne devrais pas rester là, finit-il par dire. Si Fantomastic se réveille…
— Et alors ? Je suis ton fils, non ? »
Tandem pour l’Évidence ne répondit pas. Il laissa son regard se perdre au loin.
« Tu fais partie du Conseil, pourquoi les laisses-tu nous traiter comme ça ?
— La survie du clan…
— Pourquoi les laisses-tu me traiter comme ça ? »
Tandem pour l’Évidence soupira. « Je n’ai pas vraiment les faveurs du Conseil, dit-il. La situation serait différente si j’avais accepté d’égorger Mendeku comme ils me le demandaient l’autre soir, mais…
— Mais tu ne l’as pas fait.
— Non.
— Et tu ne fais toujours rien.
— Le clan a besoin d’apaisement, pas d’affrontements. »
La nausée s’empara de Salto Angel. « Fissuridale a décroché aujourd’hui, dit-il.
— Je sais. N’y pense plus.
— Comment les membres du Conseil peuvent-ils être aussi ignobles avec les anciens ? s’indigna Salto Angel. Il s’agit de vos propres parents ! »
Tandem pour l’Évidence mit longtemps avant de répondre. Salto Angel le regarda et vit un homme qui se débattait avec ses idées, perdu en lui-même, écrasé par le poids des événements. « C’est la loi de la Falaise, finit-il par dire. Il ne faut pas aller contre cela. Le clan ne peut pas supporter le poids de ceux qui ne suivent plus, au risque de ne plus avancer. Les temps sont durs, pour tout le monde. Si on commence à épargner les anciens, alors d’autres tomberont à leur place. »
Salto Angel fit volte-face et pointa un doigt rageur en direction de la paroi. « Et ceux-là ? Ils n’ont pas décroché, vous les avez tués, avant de les pendre et de les laisser pourrir sur place !
— C’est vrai, admit Tandem pour l’Évidence. Il fallait un exemple pour que les complots s’arrêtent. Ils menaçaient la survie du clan. Ce sont les dissidents qui ont provoqué ça. La responsabilité leur en revient.
— Alors tu as réponse à tout, murmura Salto Angel. Brouillard Givrant vous a bien eus, tous. » Il regarda en direction des enclos, faiblement éclairés par les foyers.
Voilà à quoi nous en sommes réduits , pensa-t-il. Dormir parqués, comme des ventouseux à qui on aurait cassé les pattes .
« Salto, il faut rentrer maintenant.
— Et si le Conseil avait décidé de faire un exemple avec granpa ? S’ils avaient décidé de tuer et de pendre ton propre père à cette paroi ?
— Il en a été question, souffla Tandem pour l’Évidence. J’ai dû négocier pour qu’ils choisissent quelqu’un d’autre.
— Et en échange, ils t’ont demandé quoi ? »
Salto Angel vit l’abattement gagner son père. À tel point qu’il n’osa pas lui résister lorsque celui-ci l’entraîna vers l’enclos.
« Je devais m’occuper de Mendeku. Pour leur prouver mon dévouement, je devais lui trancher la gorge. Mais je n’ai pas pu. Et si je ne le fais pas tôt ou tard, ils s’en prendront à mon propre père, ou peut-être même à toi. »
 
2
 
Lorsque les chefs de cordée annoncèrent le départ, Salto Angel resta sans réaction. Il fallut que son père vienne le secouer pour qu’il accepte de se lever, qu’il s’équipe, lentement, avec des gestes raides.
Une fois les enclos terminés, il avait laissé le soulagement prendre le pas sur le désespoir. Enfin, il allait pouvoir se reposer. Ne rien faire. Mais l’inactivité s’était révélée pire que les tâches harassantes auxquelles on l’avait astreint. Le manque d’épuisement, le désœuvrement laissaient entrer en lui les images les plus atroces. Le sacrifice des anciens. La mise à mort d’Akira. La chute de Fissuridale. Autant d’événements indélébiles qui imprégnaient son esprit d’une odeur nauséabonde. Pendant un temps, il avait pensé à Vol Parfait, il avait espéré son retour. Forcément, Vol Parfait allait venir, il ferait décrocher Lost Arrow comme il avait fait décrocher Iron Curtain. Il s’était agrippé à cette idée, avait prié les dieux du Sommet chaque soir. Mais Vol Parfait n’était pas venu.
Torturé par ses souvenirs, il s’était porté volontaire pour les corvées, préférant subir les ordres de Tournebrosse que de revivre encore et toujours le moment où Lost Arrow décapitait le shaman du clan. Mais la sortie de l’enclos l’avait plongé dans l’horreur. Pour aller chasser, il avait dû se rendre jusqu’à la paroi. Les anciens s’y trouvaient toujours, pendus, putréfiés. L’odeur lui avait arraché des vomissements violents. Pendant un court instant, il avait vu ces restes de visages...