Enfin lâche ! , livre ebook

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— Je suis désolé de ne pouvoir autoriser ce nouveau prêt.



— Je suis client de cette banque depuis vingt-cinq ans.



— Les temps ont changé, que voulez-vous ?



— Vous foutre ma main au travers de la gueule !



Ce qu’il fait.



Alfred, trente ans passés à l’ESAD, Etude Scandinave d’Architecture Domestique, autant dire Eat Shit And Die, une mise à la retraite anticipée et un prêt refusé. Il entre dans le premier bistrot venu avec la ferme intention d’y boire.


Et s’il avait su ?


S’accouder au bar ou... déguerpir ?

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Date de parution

25 novembre 2020

Nombre de lectures

0

EAN13

9782374538204

Langue

Français

Présentation
— Je suis désolé de ne pouvoir autoriser ce nouveau prêt.
— Je suis client de cette banque depuis vingt-cinq ans .
— Les temps ont changé, que voulez-vous ?
— Vous foutre ma main au travers de la gueule !
Ce qu’il fait.

Alfred, trente ans passés à l’ESAD, Etude Scandinave d’Architecture Domestique, autant dire Eat Shit And Die, une mise à la retraite anticipée et un prêt refusé. Il entre dans le premier bistrot venu avec la ferme intention d’y boire .

Et s’il avait su ?

S’accouder au bar ou… déguerpir ?





Freddy Woets est né près de Liège, là où le ciel mâche des terrils et se saoule à l'eau noire de la Meuse, où les fonderies crachent leur métal sur une terre à charbon. Il y avait des fermes aussi et des meules de foin, le pissenlit mêlait son odeur à celle de l'acier. C'était avant la télé et les échangeurs d'autoroutes. Les avions avaient des hélices et les demis coûtaient trois sous. Il dessinait dans la marge sous un poème d'encrier et de plume " Ballon "… Plus tard, il a fait les Beaux-arts et des poèmes toujours. La peinture le poussait à New York, les poèmes, à Paris. Des années qu'il écrit à Paris, mais il repeindra un jour…
ENFIN LÂCHE
Le Cantique de l'être
Freddy WOETS
Collection du Fou
À David, mon fils

À Daniel, mon frère



Passé cinquante ans,
un homme qui n’est pas misogyne
est un vrai jean-foutre.
Tristan

Tous les mêmes !
Iseult



Ça finira par se savoir chez les veaux.
Gaston Leroux
1
« Il a combien ? Trente ans de moins que moi ? Une cravate bleu foncé avec des petits bobbies jaunes, qui dansent. Il l’a achetée à Londres, c’est sûr. Il l’a choisie avec des bobbies. Il a envie que tout le monde sache qu’il l’a achetée à Londres. C’est quand, la dernière fois que j’ai porté une cravate ? Dans les années quatre-vingt, je crois. Je ne sais pas, j’m’en fous. À la naissance de celui qui acheta une cravate à Londres, avec des bobbies. Sans doute »
— Vous l’avez achetée à Londres ?
— Pardon ?
— Votre cravate ? Les bobbies…
Il plisse l’œil gauche, lève légèrement le sourcil droit. Il se demande si c’est de la chair ou du poisson. Ne peut s’empêcher de baisser les yeux sur l’appendice réglementaire, acquiesce.
— Elle est belle…
Je n’aurais pas dû ajouter ça. Il se rend compte que je me fiche de lui, ne comprend pas. Je devrais être humble.
— Et alors ? ai-je le culot d’ajouter.
— Impossible. Je suis désolé de ne pouvoir autoriser ce nouveau prêt.
Ça a le mérite d’être clair et net.
— Je suis client de cette banque depuis vingt-cinq ans, ai-je la faiblesse de commenter.
Je me lève, yellow bobbies se lève en me tendant la main avec un sourire faux derche, estampillé Nobel.
— Les temps ont changé, que voulez-vous ?
— Vous foutre ma main au travers de la gueule !
Ce que je fais.
Pour mon plus grand bien.
Certes, j’ai été bousculé par le Taras Boulba de la sécurité, mais poliment. Poliment bousculé… Sans doute parce que j’ai un compte dans cette banque depuis 25 ans et qu’il s’est douté de mon compte courant avait viré compte à régler. Le colosse s’est contenté de me ceinturer, me soufflant d’une belle basse dans l’oreille : « S’il vous plaît, calmez-vous monsieur. »
— Oh, mais je suis très calme, ai-je répondu en considérant, avec une joie enfantine, le sourire stoïque et les yeux noyés de larmes de Yellow Bobbies.

Exit la banque et, tant qu’à faire, ineo ad bistrum au coin de la rue. Le Montmorency. Vu l’aspect, ce serait plutôt le Momo ranci, mais bon, j’ai besoin d’un demi à la pression et d’un Casa’ pour faire la mesure. Des années que je n’étais plus entré ainsi dans un bistro, avec la ferme intention d’y boire. Quand je dis boire…
— Deux autres !
Le barman me tire une deuxième pression, remet une dose sur le Casa’. Sûrement le patron, vu son flegme patiné d’ennui. J’ai envie de lui demander ce qui lui a pris d’appeler son rade Le Montmorency, oh ! et puis, dans le fond, je m’en fiche. Apparemment, lui aussi. La salle est déserte, c’est l’heure creuse. En reniflant l’accent de réglisse de mon Casa’, je me demande si Yellow Bobbies a ma paume et mes cinq doigts bien en rouge sur sa joue gauche. J’espère. P’tit con. Je n’ai jamais pu les sentir, les employés de banque et toute la clique de l’article, du paragraphe et des emmerdes, avec « Vous étiez prévenu ! » en petits caractères. Il en a défilé, en vingt-cinq ans. Ça a beau être des hommes, des femmes, c’est toujours les mêmes. À se demander s’ils ont un sexe, s’ils sont humains. Je vide le Casa’ en cul sec et passe à la pression. Elle est pétillante, fraîche. À siroter. J’attire un tabouret, monte en selle. Demain est un autre jour et il reste de la bière dans le tonneau. Plus rien que du givre en toile d’araignée sur mon compte en banque…
— Nom de Dieu ! Je reviens de suite !
Je pose un billet de dix sur le zinc, bondis jusqu’à la billetterie la plus proche, glisse ma carte Gold, compose le code, appuie sur Retrait, attends, le cœur battant… La colonne des vingt, quarante, cinquante euros fait jour, plus bas, Autre montant. Je compose dix mille à Autre montant. Et… clic, clic, clic, les billets de cinquante, de cent, de cinq cents. Yellow Bobbies est sûrement toujours aux toilettes à s’asperger d’eau fraîche ! N’a pas eu le temps de me rayer de la liste, le pauvre chéri. Ha ! Ha ! Soulagé, souriant, je retourne à mon tabouret du Montmorency. Dieu sait pourquoi le patron a ajouté une petite timbale de cacahuètes à côté de la monnaie. Des augures, tout ça.
À un moment, je ne sais plus quand, un certain nombre de bières plus tard, une femme entre dans le bar, s’installe sur le tabouret à côté et sort un journal. Entre vingt-cinq et quarante-cinq, difficile à dire, aujourd’hui. Aujourd’hui, je veux dire, aujourd’hui, là, tout de suite, en fin d’aprème à moins qu’en début de soirée, pas « à notre époque. » Notre époque, n’avez qu’à demander à Yellow Bobbies ce qu’il en pense, parce que là, je m’en fiche. L’inconnue ouvre le journal et commande une vodka sans lever les yeux. C’est rare, une dame qui boit une vodka en lisant son canard, au bar. Le patron dépose le verre avec des cacahuètes aussi. Toujours sans lever les yeux, elle prend la vodka, la vide en cul sec, recommande une autre illico. Tiens, tiens… Je me demande si elle a un compte à la banque du coin, si c’est Yellow Bobbies qui s’en occupe. Je devrais lui poser la question. Mais bon… Pas mon genre de me faire rabrouer par une inconnue à vodka. Autre chose à foutre, comme éviter de penser à l’avenir. Surtout, l’immédiat. Geneviève, vingt-sept ans de vie commune et Caroline, vingt-quatre ans d’existence. Moi, fin de cinquantaine, architecte mis en retraite anticipée. Viré du bureau d’études après les bons et loyaux services, que tout vieux con se doit d’avoir rendus avant de se faire jeter. Vae victis ! Geneviève est anglaise et prof’ de migraine, à moins que migraineuse et prof’ d’anglais, je ne sais plus, la boisson, sans doute. Quant à Caroline, elle ne rêve qu’une chose, faire du cinéma et se tirer avec Jean-Do, son galant. Mais pour se tirer, il faut des sous, un rôle…

— Regardez bien ce journal.
Je sursaute, interrompu dans ma rêverie. Délivré, devrais-je dire… L’inconnue à vodka, fait glisser son journal vers moi, avec un sourire de sphinge. Après un certain nombre de verres, plus rien ne nous étonne… Je regarde le journal, ne vois rien qu’un journal. Je me penche pour mieux voir, ne vois toujours rien qu’un journal.
— Oui…
— Non.
— Non ?
— Non, vous n’avez rien vu.
— À part la page des sports, qui ne me dit rien. Le sport ne m’a jamais rien dit.
— Qui vous parle de sport ?
— C’est sur la page : « Les Bleus risquent gros ! » écrit en gros. Ils risquent quoi ? Des bleus partout ? De gros bleus ? Gros… N’avez-vous pas remarqué combien cet adjectif s’accorde au commentaire sportif ? « Le trois-quarts a un gros mental ! » ou alors « Grosse déception pour le centre-avant, après la grosse défaite ! » Pardonnez ma grosse indifférence aux gros mollets et aux gros ballons…
— La mienne l’est tout autant.
— Alors ?
— Alors ?
— Regardez bien ce journal… répète-t-elle.
— Le journal, pas les articles ?
— Celui-ci, un autre, n’importe quel quotidien qui vous tombe sous la main.
— Moi, c’est plutôt la radio… Qu’est-ce que vous voulez me faire voir ?
— Un dragon.
— Un dragon ?
— Un dragon.
— Un dragon…
Je la regarde. Elle est très sérieuse. Ivre après deux vodkas ? C’est possible si on prend des antidépresseurs… Hypothèse plausible, vu l’objet de sa requête. Qu’est-ce que je fais ? Elle a des yeux bleus si foncés qu’ils semblent noirs. À moins que vert très foncé ou marron ? Avec une note de défi. Chiche que t’es pas cap’ de voir un dragon ! Quand on a vu danser des bobbies jaunes on peut tout voir. Il est quelle heure ? Le soir semble tomber et je n’ai pas envie d’affronter le silence pincé de Geneviève et le « Comment je vais faire, moi ? » de Caro. La seule chose qui convienne à la virile lâcheté est encore de l’accepter. Se faire à l’idée de rentrer à la maison le plus tard possible, mieux : pas du tout ! Mais là, il faut un cran de lâcheté que je n’ai, hélas, pas atteint.
L’inconnue au dragon est toujours aussi sérieuse, avec cette petite note de défi. Allez, je joue le jeu !
— Vous voulez dire un dragon du Moyen-âge avec des ailes de chauve-souris et des narines à figurer sur un blason ?
— Mickey Mouse tant que vous y êtes. Essayez d’être plus réaliste.
— Réaliste ? que je répète, interloqué.
— Je parle d’un vrai dragon !
— Suis-je bête ! On n’en mettrait jamais un faux dans le journal ! Je peux vous offrir un verre ?
— Non merci. D’ailleurs, il faut que je m’en aille. Gardez ce journal. Quand vous verrez le dragon, faites-moi signe.
Elle descend de son tabouret et s’en va sans un mot. Moi, la main gauche posée sur « Les Bleus risquent gros ! », la main droite tenant une bière à moitié bue, je regarde la rue et ses passants. Le patron prend le verre de vodka, le rince.
— Vous

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