Interférences , livre ebook
261
pages
Français
Ebooks
2023
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2023
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Publié par
Date de parution
20 février 2023
EAN13
9782356020437
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
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Date de parution
20 février 2023
EAN13
9782356020437
Langue
Français
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2 Mo
INTERFÉRENCES 1 – Cendres Aurore PAYELLE
www.rebelleeditions.com
Il n’est point de bonheur sans liberté,
ni de liberté sans courage.
Périclès
Général, Homme d’état, Homme politique, Militaire
CHAPITRE 1
L’IMPLANTATION
J’inspire et j’expire. Je tente de chasser ces images de ma tête. Le crépitement des braises est encore bien trop présent dans mes pensées. Même dans mes cauchemars, les effluves de l’essence parviennent à me donner la nausée. J’essuie la sueur qui perle sur mon front d’un revers de la main et, tremblante, je m’assieds sur mon lit, les genoux repliés contre ma poitrine. Tout était tellement réel. Je pouvais presque sentir la cendre virevoltante se poser sur ma peau.
Inspire.
Je dois me calmer. Il est hors de question que celle qui partage ma chambre me dénonce une nouvelle fois aux surveillantes.
Expire.
J’ouvre les yeux. Le réveil mural indique 5 h. Inutile de me recoucher, le pensionnat sonne la cloche à 5 h 30. De toute façon, je n’ai pas la force d’affronter de nouveau ce cauchemar. Tous ces regards désespérés au milieu des flammes me retournent l’estomac. Je me lève discrètement pour me rendre dans la salle de bains, puis je noue mes longs cheveux en un chignon haut. Notre nuque doit être visible, c’est la loi.
Une fois habillée de la blouse réglementaire, sorte d’ancienne tenue pour malade, je rassemble mes maigres affaires dans le sac en tissu que l’on m’a remis la veille. J’y glisse mes rares vêtements, ma brosse à dents, mon peigne ainsi que le collier de ma mère. D’ici quelques heures, mon lit sera attribué à une nouvelle arrivante, comme si je n’avais jamais vécu ici. C’est mon dernier jour au pensionnat et je sais que je n’emporterai aucun de mes biens avec moi. Il faut croire que ces satanées flammes sont destinées à me poursuivre toute ma vie parce que tout ça va brûler.
Je range docilement mes affaires, défais mon lit, avant de rejoindre la salle du petit-déjeuner. Assises en rang, les seuls bruits que nous entendons sont ceux des couverts mêlés aux murmures des plus jeunes, encore indisciplinées. Les surveillantes rappellent à l’ordre les petites qui chuchotent à l’avant tandis que les aînées mangent au fond de la salle. Aujourd’hui, je suis la plus âgée de toutes. Je deviens adulte. Cela signifie qu’il est temps pour moi de quitter le pensionnat, après onze longues années à patienter, à espérer.
Parmi les autres filles, personne ne croise mon regard et ça m’est égal. Je n’ai d’attaches avec personne dans cette pièce. Mes rares camarades ont déjà rejoint leurs affectations et je suis la dernière de notre petit groupe. Le nœud qui me remue l’estomac n’a rien à voir avec leur indifférence. Je m’y suis habituée depuis longtemps. Non, la raison de mon trouble est tout autre. C’est un mélange d’euphorie et d’inquiétude, dissimulé à la perfection.
La surveillante en chef, madame Chiva, s’approche de moi à pas feutrés. En silence, elle me tapote l’épaule avec son bâton, avant de poser un doigt sur ses lèvres. C’est l’heure d’y aller. Mon départ ne doit pas se faire remarquer. C’est à l’image de ma vie, ici. C’est de cette façon que les choses se passent, entre ces quatre murs, et j’ai fini par m’y faire. Comme tout le monde. Je range mes couverts, soulève ma chaise sans un bruit. Sur la pointe des pieds, je la suis dans un couloir, puis dans un autre. Je reconnais les premiers chemins que nous empruntons, mais rapidement se succèdent des coursives grises que je n’ai jamais vues.
Sommes-nous toujours au pensionnat ?
J’ai tant de questions à poser sur ce qu’il va m’arriver, mais aucune n’ose quitter mes lèvres. Nous ne parlons pas aux surveillantes, à moins de vouloir goûter à leur bâton.
Madame Chiva ouvre l’accès donnant sur une salle d’attente vide. De son bout de bois rigide, elle m’indique un siège en métal avant de me laisser seule. Je patiente un instant, les yeux baissés sur les genoux, comme on nous l’a enseigné. Des cliquetis me parviennent de la pièce voisine et un spasme douloureux me retourne l’estomac. Les minutes s’égrènent. Le stress grimpe. J’appréhende la première étape nécessaire à ma sortie de quarantaine. De ce que j’en sais, l’Implan tation est douloureuse. Affreusement douloureuse. J’ai beau savoir en détail ce que l’on va me faire, car cela fait partie de mon apprentissage, je ne me sens pas plus rassurée.
Un homme en blouse blanche ouvre la porte. Je sursaute.
— 1432 ?
Je hoche la tête.
— Entrez.
Je me lève d’un bond. Le pas incertain, je rejoins le docteur qui m’indique une table d’auscultation plastifiée, entourée de divers appareils et tubes en verre. Je retire mes chaussures en caoutchouc pour m’y asseoir, puis j’attends ses consignes.
Nous voyons rarement des hommes ici. Notre établissement héberge essentiellement des filles. Les garçons, eux, y restent jusqu’à leurs quinze ans, avant d’être envoyés vers d’autres lieux d’apprentissage tels que la caserne de Spectators ou les centres de formation des usines nordistes. Ils vivent séparés de nous la plupart du temps et nous ne les rencontrons que lors de grandes fêtes commémoratives. Parfois, certains de ces messieurs, en costume et à l’air important, visitent notre pensionnat. Masque en papier sur le nez, gants aux mains, ils nous dévisagent comme des choses répugnantes et contagieuses. Si j’ai conscience des raisons qui les poussent à agir de la sorte, je les trouve parfois exagérées. Madame Chiva nous a prévenues, à l’extérieur de la ville, le virus existe toujours. D’après elle, il se pourrait même que je sois contaminée. Vraiment ? Est-ce que j’ai l’air malade ?
Le docteur tend la main vers son ordinateur. Les touches de son clavier s’enfoncent sans bruit tandis qu’il commence à lire.
— 1432, c’est bien votre matricule ?
J’acquiesce et il poursuit :
— Vous êtes entrée au pensionnat nord à l’âge de sept ans et vous avez dix-huit ans aujourd’hui, ce 25 février 2059.
J’esquisse un nouveau geste de la tête, gardant un masque d’impassibilité. L’évocation de mon identité est strictement interdite. Depuis l’an 2052, je ne suis plus que cet unique numéro aux yeux de la société. La mille quatre cent trente-deuxième enfant à entrer dans ce pensionnat. Après tant d’années, je ne devrais plus être étonnée qu’on m’appelle ainsi, mais cela continue à me perturber. Pourtant, je ne montre rien de ma gêne. J’étais déjà grande lorsque j’ai fait mes premiers pas ici et je n’ai jamais oublié mon véritable nom. Sora Lacie. Je me le répète chaque soir, au fond de mon lit, sachant pertinemment qu’il ne faut pas le prononcer à voix haute.
— Vos vaccins sont à jour. Nous allons nous contenter de vérifier que vous n’êtes pas contaminée par le virus hémorragique. Une fois cette formalité effectuée, nous procéderons à l’implantation de votre puce. Comme vous le savez, le VH2 est encore actif à l’extérieur de l’enceinte. Veiller à ce que cette ville demeure un refuge pour les personnes saines est de la responsabilité de tous.
Aussitôt dit, il accroche un masque plus large à ses oreilles. Une femme blonde que je n’avais pas remarquée s’approche de lui. Vêtue d’une blouse en papier quasi intégrale, elle l’aide à s’équiper de gants épais.
— Allongez-vous sur le ventre, 1432, m’ordonne-t-il.
Je m’exécute et me couche sur la surface froide en positionnant mon visage dans le trou prévu à cet effet. Des sangles, placées par son assistante, viennent bloquer mes poignets, mes chevilles, puis mon bassin, faisant grimper mon rythme cardiaque en flèche. Je serre les poings. Même si tout cela est pour mon bien, je ne peux m’empêcher de me sentir prise au piège. Je me raisonne en me répétant que c’est une étape cruciale et nécessaire pour devenir adulte. Toutes mes amies sont passées par là, je devrais y arriver moi aussi. Et puis, je refuse de représenter une menace pour le reste de la population, même s’il n’y a qu’une infime chance que le résultat soit positif. Je sais trop bien ce dont le virus est capable. Je ne veux faire courir de risques à personne.
— Catherine, apportez-moi trois flacons bleus ainsi que le garrot, s’il vous plaît.
La femme obéit. J’aperçois ses pieds qui me contournent pour venir se placer aux côtés de ceux du docteur. Elle attrape ma main gauche, fixée par une ceinture. Sans la moindre douceur, elle la fait pivoter vers elle en dépliant le bras articulé de la table. Je retiens un hoquet de surprise quand un lien rugueux est passé autour de mon poignet. L’assistante le fait remonter plus haut avant de le serrer. Des fourmis apparaissent dans l’extrémité de mes doigts, signe que le sang ne circule plus. Tendue, je patiente tant bien que mal le temps que le docteur me pique dans le pli du coude, puis le bruit d’un petit moteur se fait entendre.
— Négatif, déclare Catherine.
— Bien,1432, vous n’êtes pas infectée. Nous allons pouvoir procéder à l’implantation de votre puce, comme prévu.
Je me force à ne pas réagir, mais le résultat ne me surprend pas. L’établissement m’aurait exclue et Spectators serait venu me chercher depuis bien longtemps si j’avais été porteuse du VH2. Les symptômes ne peuvent pas passer inaperçus. Néanmoins, je n’ai pas le temps de me réjouir de la nouvelle. L’assistante se place déjà au-dessus de mon crâne pour détacher mon chignon. Elle relève ma chevelure pour me dégager la nuque. Certaines mèches restent coincées entre les plis de ses gants en latex. Je grimace tandis que plusieurs cheveux sont arrachés au passage. Elle attire à elle une machine fixée au plafond pour la positionner à la verticale de mon corps.
— Ça vous maintiendra la tête, 1432. Vous ne devez surtout pas bouger. Au moindre mouvement, vous risquez la paralysie, voire la mort.
Loin d’être sereine, je déglutis avec difficulté. Le moment tant redouté est arrivé. J’observe les pieds du docteur qui se placent près de ceux de Catherine avec l’impression que ma dernière heure a sonné.
— Détendez-vous, s