La couleur tombée du ciel
25 pages
Français

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La couleur tombée du ciel , livre ebook

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25 pages
Français

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Description

En 1931, alors qu'il s'engage pour les 6 années qui lui restent dans ses récits les plus sombres et les plus immenses, Lovecraft dit que "La couleur tombée du ciel" est l'histoire dont il est le plus fier.


Vrai que, dans ce récit d'un seul bloc, il ne nous laisse pas vraiment respirer. Mais c'est autre chose : l'objectivité de ce narrateur, jeune ingénieur hydraulicien venu inspecter une vallée qu'un barrage va recouvrir. Puis, ailleurs, Lovecraft dit qu'un de ses plus grands souvenirs d'adolescence c'est cette nature sauvage, qui commençait juste après la colline de Providence, et qu'il explorait à bicyclette (d'où ce nez cassé, qui rend si étrange son profil). Et c'est cette nature-là, tout de suite indomptée, à quelques kilomètres de la ville (ici, la fictive et mystique Arkham) qui accueille le plus déroutant événement : la chute de ce météorite qui va se révéler une telle catastrophe.


C'est aussi le côté scientifique qui vient mordre à même la mort ici décrite : expériences métallurgiques, et le grand mystère qu'est l'espace après Einstein. Et ce qui se joue du destin, quand c'est le hasard et l'arbitraire qui abattent sur vous le mal. Ou, corollaire : mais qu'est-ce donc de si mystérieux, qui a fait que les hommes ici ne se sont pas sauvés, sont restés comme tétanisés par le mal même?


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Informations

Publié par
Date de parution 14 juin 2014
Nombre de lectures 49
EAN13 9782814510012
Langue Français

Extrait

La couleur tombée du ciel


Howard Phillips Lovecraft


nouvelle traduction et introduction, François Bon

T iers Livre Éditeur
ISBN : 978-2-8145-1001-2
dernière mise à jour le 228 août 2016
note liminaire
En 1931, dans une note autobiographique un peu amère, conscient de l’importance de son travail, mais alors qu’aucun de ses récits n’a été repris en volume, Howard Phillips Lovecraft dit qu’il y a deux histoires seulement qu’il est sûr d’avoir réussies, et que celle dont il est le plus fier c’est celle-ci, Colour Out Of Space . Dans cette note, comme dans une autre qui la précède de quelques années, Lovecraft raconte avec détail et insistance son paysage d’enfance. Là où s’étend aujourd’hui Providence, de l’autre côté de la colline commençaient ces ravins, trous d’eau, arbres difformes et fantastiques, c’est son terrain de jeu, celui que plus tard à l'adolescence il explore à bicyclette.
La première magie de ce long et dense récit monobloc (soixante pages d’un seul tenant, pas de chapitres ni de division) c’est d’ancrer le fantastique, le trouble, la peur, la menace, dans ce paysage familier de l’enfance, en faire l’instance principale. Et puis on apprendra à mieux connaître la vieille ferme isolée et son puits, son escalier et ses greniers.
Le deuxième élément caractéristique de Lovecraft, c’est celle du journaliste scientifique. Sa passion pour la chimie, ses chroniques d’astronomie dans le journal de Providence, vont sous-tendre ici l’apparition et l’examen du météore, et nous le rendre objectif, incontestable, même s’il se moque au passage et de la presse locale, et des savants messieurs de l’université — tout cela inséré dans son propre territoire fantastique, la ville d’Arkham et l’université Miskatonic.
On retrouve aussi cette fabuleuse technique de Lovecraft : pas une phrase jamais qui n’ait sa place nécessaire (une place qu’elle est seule à tenir) dans la marche linéaire de l’histoire. Et chaque phrase est comme un monde qui vaut à soi seul, avec sa construction en diptyque séparé par le point-virgule — et Lovecraft s’est parfois mis dans de telles colères pour un éditeur qui n’aurait pas respecté ces constructions, qu’on l’assume dans la traduction.
Un dispositif d’emboîtement : le narrateur n’est pas porté à l’imagination, c’est un technicien des eaux et forêts, mais ce n’est pas un hasard si la raison de son voyage c’est qu’on va tout noyer ici. Et c’est lui qui nous rapporte indirectement le récit de celui qui fut, il y a cinquante ans, le témoin direct. Ce serait seulement un artifice technique pour rendre tout le dispositif narratif objectif, si à la fin... mais je ne vais pas raconter la fin. Rarement Lovecraft aura été aussi cohérent et implacable dans sa construction.
Un dernier point : comment un passionné de littérature comme Lovecraft n’aurait pas été au courant de la biographie des sœurs Brontë, de ce lent empoisonnement par l’eau de leur propre puits, avec le cimetière un peu plus haut juste de l’autre côté du presbytère où elles habitent, incapables d’identifier la source du mal, impuissantes devant l’idée même de déménager. Un simple puits, dans la cour d’une ferme de campagne, devient ici le tenseur principal de l’histoire. Ce lien aux sœurs Brontë donne une autre prolongation ou résonance à ce qui ici, comme toujours chez Lovecraft, est déchirant parce que pris à notre environnement le plus proche...
The color out of space est d'abord paru dans le magazine Amazing Stories en septembre 1927.
FB
La couleur tombée du ciel
À l’ouest d’Arkham la montagne devient sauvage avec des vallées dont nulle hache n’a jamais troublé les bois profonds. Il y a des ravins sombres et profonds où les arbres poussent avec des formes fantastiques, et où coulent de maigres ruisseaux qui n’ont jamais reçu un rayon de soleil. Sur les pentes plus douces, on trouve d’anciennes fermes et des cottages couverts de mousse, tassés contre la roche, comme s’ils couvaient à jamais les secrets de la Nouvelle-Angleterre sur le rebord des abîmes ; mais ils sont tous abandonnés maintenant, leurs larges cheminées s’effondrent, et les bardeaux des murs gonflent dangereusement sous les toits brisés.
Les anciens habitants sont partis, et les étrangers n’aiment pas vivre ici. Des Canadiens français s’y sont essayés, des Italiens s’y sont essayés, et les Polonais sont venus et repartis. Ce n’est pas à cause de quelque chose qui puisse être vu ou entendu ou compris, plutôt à cause de ce qu’on imagine. Ce n’est pas un lieu favorable à l’imagination, ou qui apporterait la nuit des rêves bienfaisants. C’est cela qui garde les étrangers à l’écart, parce que le vieil Ammi Pierce n’a jamais dit à personne ce dont il se souvient des jours étranges. Ammi, dont la tête est un peu dérangée depuis des années, est le seul qui se souvient encore, ou qui parle parfois des jours étranges ; et s’il l’ose, c’est parce que sa maison est assez proche de la zone des champs à découvert, et des routes qui rejoignent Arkham.
Il y avait une route autrefois qui traversait montagnes et vallées, et qui traversait tout droit le lieu de la lande foudroyée ; mais les gens cessèrent de la prendre, et une nouvelle route fut tracée, qui faisait un large écart par le sud. On peut retrouver les traces de l’ancienne dans la végétation qui retourne à l’état sauvage, et quelques-unes de ces traces subsisteront même quand la plupart des creux seront inondés pour le nouveau barrage. Alors les bois sombres seront rasés, et la lande foudroyée sombrera loin sous les eaux bleues, dont la surface reflétera le ciel et miroitera dans le soleil. Et les secrets des jours étranges seront enfouis parmi les plus profonds secrets, avec les légendes cachées du vieil océan et tous les mystères de la Terre originelle.
Quand j’arrivai à ces montagnes et vallées pour surveiller le nouveau barrage, ils me dirent que le lieu était maléfique. Ils me le dirent à Arkham, et parce que c’est une très vieille ville pleine de légendes et sorcelleries, je pensais que ce maléfique venait de ce que les grands-mères chuchotaient aux enfants depuis des siècles. L’appellation « lande foudroyée » me semblait très théâtrale et bizarre, et je me demandais comment cela s’était intégré au folklore d’un peuple si puritain. Puis je découvris moi-même, à l’ouest, ce sombre enchevêtrement de vallons et collines, et cessai de m’étonner de quoi que ce soit d’autre que son propre et ancien mystère. C’était un matin quand je le découvris, mais l’ombre ici menaçait en permanence. Les arbres grossissaient trop épaissément, et leurs troncs étaient trop larges par rapport à nos bois ordinaires de Nouvelle-Angleterre. Il y avait trop de silence dans les minces allées qui les séparaient, et le sol était trop mou et tapissé de cette mousse humide comme d’infinies années de déclin.
Dans la zone découverte, principalement le long du tracé de l’ancienne route, il restait quelques petites fermes dans les collines ; parfois avec tous leurs bâtiments encore debout, quelquefois seulement un ou deux, et parfois juste une cheminée solitaire ou une grange. L’herbe et la bruyère dominaient, et des choses furtives et sauvages faisaient bruire les fourrés. Sur toute chose restait un relent de nervosité et d’oppression ; une touche d’irréalité ou de grotesque, comme si quelque vital élément de perspective ou de clair-obscur s’était détraqué. Je ne m’étonnais plus que des étrangers n’aient pu demeurer, ce n’était pas un lieu pour y dormir. C’était plutôt un paysage...

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