La fenêtre de Diane
180 pages
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Description

Aux confins de la galaxie dérive une planète artificielle, Le Livre, dont la fonction est de conserver, tout au long de ses interminables galeries que parcourent les marques-pages, l’histoire de toutes les Terre qui composent la Protée.


Ces déplacements ne sont cependant pas sans risques : en témoignent les fantômes errant dans les profondeurs du Livre, voyageurs imprudents ou intelligences artificielles.


"Je m’appelle Gabriel Goggelaye et je vis bien longtemps avant qu’on ne découvre Le Livre. Pour moi, il y a une Terre et une seule. Des personnages fantomatiques, il m’arrive d’en voir. Certains obéissent à la Voix, d’autre pas. En face de mon bureau, il y a une fenêtre, et derrière cette fenêtre, il n’y a rien. Un jour, je briserai l’une des vitres et je pénétrerai dans ce lieu qui n’existe pas."



Auteur culte des années 1970-80, récompensé par deux Grand Prix de la SF Française, Dominique Douay revient avec ce qui sera peut-être son roman majeur. Visionnaire comme un Robert Charles Wilson, intime comme un Patrick Modiano, hanté par Philip K. Dick — un très grand roman.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 août 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782361832285
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Fenêtre de Diane
Dominique Douay

© 2015 les Moutons électriques
Conception Mergey CD&E
Version 1.0.1 (20.04.2016)
Aux confins de la galaxie dérive une planète artificielle, Le Livre, dont la fonction est de conserver, tout au long de ses interminables galeries que parcourent les marques-pages, l’histoire de toutes les Terre qui composent la Protée.
Ces déplacements ne sont cependant pas sans risques : en témoignent les fantômes errant dans les profondeurs du Livre, voyageurs imprudents ou intelligences artificielles. Je m’appelle Gabriel Goggelaye et je vis bien longtemps avant qu’on ne découvre Le Livre. Pour moi, il y a une Terre et une seule. Des personnages fantomatiques, il m’arrive d’en voir. Certains obéissent à la Voix, d’autre pas. En face de mon bureau, il y a une fenêtre, et derrière cette fenêtre, il n’y a rien. Un jour, je briserai l’une des vitres et je pénétrerai dans ce lieu qui n’existe pas.
Auteur culte des années 1970-80, récompensé par deux Grand Prix de la SF Française, Dominique Douay revient avec ce qui sera peut-être son roman majeur. Visionnaire comme un Robert Charles Wilson, intime comme un Patrick Modiano, hanté par Philip K. Dick — un très grand roman.
UN (1992)
Pas un seul avion sur le tarmac mais des camions, ça oui. De pompiers, surtout. Sirènes et gyrophares. Ça grouille dans tous les sens. Pire que le centre de Rome à une heure de pointe, se dit la fille. Pourquoi Rome plutôt que, au hasard, New Delhi par exemple ? Parce que la fille s’emmerde comme un rat mort, alors pour tromper le temps elle invente des ressemblances, des échos entre le présent et ses souvenirs les plus proches. Déformation professionnelle, en quelque sorte. Mémoriser les détails les plus anodins, ça fait partie de son boulot.
Là, mine de rien, c’est bien ce qui, faute de mieux, lui occupe l’esprit. Le nez contre la vitre crasseuse, elle laisse les images pénétrer en elle. La Suzuki noire qui slalome entre les véhicules rouges ou vert-de-gris des services d’incendie ou de sécurité, personne ne s’en soucie, personne ne s’en souviendra, sauf elle. Non que cette voiture ait la moindre importance dans un scénario sans intérêt, mais elle est à présent gravée dans sa mémoire. Que la fille doive, pour une raison improbable, se retrouver ici et maintenant, et ce sera ce petit 4X4, surgissant tout à coup à la surface de ses pensées, qui lui en fournira le moyen.
« Le jet du président, » clame quelqu’un pas très loin d’elle, du ton important de ceux qui ont accès à des informations hautement confidentielles. « Il a raté son décollage, est allé se vautrer sur le bas-côté de la piste. Aucun dégât, apparemment, et le président Iliescu n’était pas dans l’appareil, mais… C’est l’avion présidentiel, alors… »
Voilà qui explique tout, la paralysie de l’aéroport, les manœuvres browniennes des camions de pompiers. Les Roumains ne se consolent toujours pas de ne même plus figurer dans les journaux de CNN, après en avoir occupé la Une avec Timişoara ou l’exécution des Ceauşescu, alors ils font ce qu’ils peuvent, pour essayer de créer l’événement avec rien ou pas grand-chose. Là, juge la fille avec objectivité, c’est perdu d’avance. Un Tupolev hors d’âge qui s’en va folâtrer dans les prés sans exploser ni même briser son train d’atterrissage, fût-il présidentiel, ça n’intéresse personne. D’ailleurs, dans la minute qui suit, le tarmac commence à se vider, comme si une constatation identique était simultanément venue à l’esprit des responsables des services d’incendie et de sécurité. Voilà, pense la fille, cette fois plus rien ne devrait retarder encore l’arrivée de Goggelaye. Pas de pot. Des missions tordues, elle en a accomplies souvent, toujours pour le compte de Basil, mais celle-ci lui déplaît particulièrement, elle ignore pourquoi. Ou plutôt si bien sûr, elle le sait, mais elle sait aussi qu’il lui faut éviter de réfléchir aux raisons de cette aversion, alors elle se force à penser à autre chose.
Quelques minutes plus tard. Le cours des événements s’est accéléré. Coup de chance, comme l’affichent ceux des écrans qui veulent bien fonctionner, le vol TA415 en provenance de Paris a été autorisé à atterrir, second parmi tous ceux qui tournaient en rond depuis une bonne heure autour de l’aéroport d’Otopeni. La fille cherche la position stratégique qui lui permettra d’examiner les personnes venues attendre un passager ; très vite elle repère, un peu en retrait, un jeune homme à la mine blasée muni d’une affiche format A4 identique en tous points à celle que renferme le mince classeur serré sous son bras. Un unique coup d’œil lui permet de le jauger. Aucune motivation, un frimeur inconsistant. Surtout, qu’il reste à l’écart, ça lui évitera de graves ennuis.
Rassurée, elle se faufile au premier rang et sort son affiche du classeur. Quelques minutes encore, et un premier groupe franchit la porte coulissante, au sein duquel Gabriel Goggelaye. En habitué des voyages aériens, et comme elle l’avait supposé, il n’est muni que d’un bagage de cabine, il a ainsi pu gagner une bonne demi-heure. Comme les autres, il s’est immobilisé au seuil du hall, l’air incertain, scrutant la foule massée derrière la grille qui lui fait face. Cheveux châtain clair un peu dégarnis sur les tempes, gibbosité due à une scoliose non soignée pendant l’enfance, elle le reconnaît sans hésitation pour avoir mémorisé une photo de lui remise par Basil. Le regard de l’homme glisse cependant sur elle sans s’arrêter au nom inscrit sur la feuille qu’elle brandit au-dessus de sa tête, mais elle se met à l’agiter dans tous les sens et elle voit ses yeux effectuer un retour en arrière. Une courte hésitation et il s’avance, traînant derrière lui sa petite valise à roulettes. Son expression ressemble à présent à de la perplexité.
« Bienvenue, Monsieur Goggelaye ! » lui lance-t-elle. « Rejoignez-moi à la sortie. » Sans attendre, elle se fond dans la foule. Un accueil sans fioritures, mais Basil ne lui avait pas spécifié de se conduire en hôtesse professionnelle. En passant, elle s’assure que le grand dadais est toujours à la même place, toujours à attendre sans la moindre conviction un Goggelaye qui vient de lui passer sous le nez. D’une encoignure proche de la grande porte du hall, elle surveille la progression de son hôte à qui elle trouve une allure un peu empruntée, mais il finit tout de même par la rejoindre après avoir repoussé les offres de service d’une dizaine au moins de chauffeurs de taxis professionnels, ou prétendus tels – à Bucarest, en 1992, il faut se méfier de tout.
Au passage, son œil exercé lui permet de noter la présence d’un homme au visage dur et inexpressif, fondu dans la foule. Leurs regards se croisent brièvement, mais aucun signe ne lui permet de penser qu’il l’a reconnue. Tu parles, s’il l’a reconnue ! En fait, il n’est là que pour elle, peut-être aussi pour Goggelaye. Berenski – et si Berenski est ici, Atlan ne doit pas se trouver très loin. En un sens, leur présence lui semble plutôt rassurante : ils veillent à ce que rien ne contrarie leurs plans, enfin ceux de leur commanditaire. Il est comme ça, Basil. Pas du genre à faire confiance. Si ça se trouve, Atlan et Berenski sont surveillés, eux aussi. Drôle de mise en abyme : de proche en proche, tout le monde espionne tout le monde. Remarque bien, c’est un peu ce qui se passait ici, en Roumanie, il y a seulement trois ans de ça.
Mais c’est vrai, Berenski n’est pas un homme comme les autres – d’ailleurs ce n’est peut-être même pas un homme du tout. Rien ne doit lui paraître anormal, ou alors il n’a pas apprécié que sa présence soit perçue, car il disparaît – pas en se dissimulant derrière les autres, mais à la manière d’un fondu-enchaîné, en perdant peu à peu de sa substance, jusqu’à n’être plus qu’une forme brumeuse dispersée par une brise insignifiante.
Bye, bye, pense-t-elle, sûre de le voir se rematérialiser avant que sa rencontre avec Goggelaye ne se termine.
En sortant, un geste vers le parking réservé aux véhicules officiels, mais Dan, le chauffeur de Basil, a anticipé son ordre, la grosse Opel noire quitte déjà son emplacement et vient s’immobiliser devant eux. Dan enfourne la valise de Goggelaye dans le coffre, ouvre la portière arrière droite et d’un geste invite le Français à prendre place. Elle tend la main vers la portière avant, mais Goggelaye devine son intention de s’installer à côté du conducteur. Il lui saisit le poignet : « Pas question ! Asseyez-vous à côté de moi, vous me servirez de guide… C’est censé être mon premier séjour à Bucarest, vous savez. » La fille obtempère. Que pourrait-elle faire d’autre ? D’ailleurs, à tout prendre, elle préfère jouer les guides touristiques plutôt que… À la pensée du rôle que la Voix lui a assigné, elle a envie de tout plaquer, de jaillir hors de l’Opel et d’envoyer tout le monde se faire foutre. L’envie, juste l’envie. Un ordre de la Voix – pas même un ordre, tout au plus un souhait – ça ne se discute pas, alors elle demeure assise dans l’Opel, le visage impénétrable.
Et puis ça se gâte à nouveau. Dès la sortie de l’aéroport, ils sont pris dans un encombrement provoqué par un camion dont l’essieu avant a cédé dans une ornière. Rien de bien grave, il faut attendre qu’il soit halé sur le bas-côté. Son voisin de banquette tend la main afin de baisser sa vitre. « Je vous le déconseille, » dit-elle sans pour autant détourner ses yeux obstinément fixés sur la nuque de Dan. « Risques d’intoxication aux gaz d’échappement. Nos carburants ne sont pas très bien raffinés. »
En fait, les gaz d’échappement, son passager n’en a rien à foutre, c’est évident. Il a la tête ailleurs, comme on dit. Elle décide d’agir comme s’il n’existait pas, fait mine de s’intéresser aux efforts dérisoires d’un groupe d’hommes qui se sont mis en tête de tirer, à mains nues, le camion accidenté hors de la chaussée, mais le regard de Goggelaye est tellement pesant qu’elle peut le sentir explorer chaque centimètre carré de son visage.
« Aurora… » murmure-t-il.

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