background image

Le Vieux lavoir , livre ebook

27

pages

Français

Ebooks

YouScribe est heureux de vous offrir cette publication

27

pages

Français

Ebooks

YouScribe est heureux de vous offrir cette publication

Les lavoirs qui agrémentent aujourd’hui nos villages représentaient autrefois de hauts lieux sociaux féminins. Les histoires, récits ou même ragots coulaient à flots. Les pierres qui constituent ces lavoirs sont encore habitées par les esprits et résonnent des légendes du passé.
Voir icon arrow

Langue

Français

Maryse Weisser Macher Le vieux lavoir
ou lorsque la légende nous rattrape © Maryse Weisser Macher, 2021
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
Anna se rendait au vieux lavoir d’un pas décidé,
heureuse d’aller retrouver ses amis. Brusquement,
alors qu’elle s’approchait dubâtiment, elle ressentit
une sensation très désagréable. Une angoisse qui
s’accentuait au fur et à mesure de son avancée. Elle
n’était plus capable de marcher tellement le malaise
était grand et dominait son corps. Cethorrible état lui
provoquait le besoin de crier, mais aucun son ne put
sortir de sa bouche.
C’était toujours
à ce moment-là qu’Anna se
réveillait, en sursaut, semblant manquer d’air.Puis,
impossible pour elle de se rendormir. Elle était obligée
de se lever pour prendre un verre d’eau etséchapper
complètement de ce cauchemar pour que l’angoisse
retombe. Ce matin, le simple fait d’y repenser devant
2
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
son café créait en elle un important malaise. Anna
essayait de faire des efforts et de se remémorer la
scène : au début, elle était heureuse de se rendre au
lavoir, ensuite quelque chose lui faisait savoir que
l’instant présent n’était pas habituel. L’ambiance de la
situation était
angoissante,
mais Anna avait des
difficultés à décrire ce rêve avec précision. Elle
repoussa cette idée, se persuadant que la perturbation
était liée à la période du long confinement.
Anne-Adèle, tu m’entends?
Sa mère, habillée et prête à partir, lui parlait depuis
un bon moment, mais Anna n’écoutait pas.
Anne-Adèle?
Oui?
Tout le monde l’appelaitAnna, mais son prénom
était Anne-Adèle.
Tu m’inquiètes à rêver de la sorte! Et là, tu faisais
une drôle de tête. Est-ce que ça va?
C’est rien maman, c’est juste que je suis fatiguée.
3
Ce
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
confinement
fatigables!
Il
va
nous
falloir
a
tous
reprendre
maintenant. Que fais-tu cet après-midi?
Je ne sais pas encore.
rendus
un
très
rythme
La mère d’Anna était repartie en levant les yeux au
ciel. Elle aussi, était sûrement irritée de retrouver le
boulot après plusieurs semaines passées à la maison.
On aurait pu penser que l’arrivée prochaine de l’été
aiderait à cette remise en route, maisles états d’âme de
chacun étaient plus compliqués que ce qu’ils ne
laissaient paraître.
Anna portait les prénoms de ses deux grand-mères,
Anne et Adèle. Les grand-mères qui habitaient le même
village et qui portaient elles-mêmes le prénom de leur
grand-mère respective. Mais ces aïeules-là, il ne fallait
pas en parler, elles étaient mortes jeunes toutes les
deux, et personne ne connaissait la raison exacte.
Chaque fois qu’Anna avait essayé d’en discuter avec
Anne, sa grand-mère maternelle, celle-ci changeait
brusquement de comportement, sa bouche tremblait et
4
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
ses lèvres restaient closes. Impossible de continuer la
conversation. Grand-mère Anne avait emporté ses
secrets le jour oùelle était décédée, l’été dernier.
Grand-mère Adèle me parlerait peut-être?
Les deux grand-mères étaient amies dans leur
jeunesse. Anna avait remarqué qu’avec l’âge, grand-
mère Adèle racontait davantage son passé. Sa mémoire
instantanée
fonctionnait
nettement
moins
bien
maintenant. Elle oubliait beaucoup de choses du
présent ou du passé très proche, mais les souvenirs
d’enfance remontaient plus facilement…Il faut que je
la questionne, avant qu’il ne soit trop tard…
Anne-Adèle, je m’en vais. Tu sortiras Pilou?
Anna sursauta et regarda sa mère qui était revenue
pour récupérer son smartphone avec inquiétude. La
question était vraisemblablement une affirmation : il
fallait sortir Pilou, le chien de la famille qui avait besoin
de respirer autre chose que le petit jardin.
Oui maman, répondit Anna, sans conviction.
5
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
Après plusieurs semaines de pause, les rencontres au
vieux lavoir reprenaient. Les adolescents du village
avaient l’habitude de se rejoindre en ce lieu depuis
plusieurs mois. Cette construction à trois pans,
semblable à un petit temple, était recouverte d’un toit
d’ardoises. C’était un des plus beaux anciens lavoirs de
la région. Classé aux monuments historiques, il avait
été momentanément asséché pour une restauration qui
dura dans le temps à cause du confinement. Anna avait
conservé le lien avec ses amis grâce aux réseaux
sociaux, mais leur présence réelle et véritable lui
manquait. Elle hésitait cependant à se rendre aux
retrouvailles. Anna se sentait impatiente de retrouver
ses amis, mais elle ne pouvait s’empêcher de songer
aux rêves qui l’avaient hantée pendant toute cette
période de retraite forcée. Au lavoir, les jeunes
pouvaient se rencontrer, ils étaient à l’abri du vent, de
la pluie ou même de la chaleur de l’été. De même, ils
étaient préservés des regards des villageois sans se
trouver trop isolés non plus. Le maire ainsi que les
6
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
habitants laissaient faire :du moment qu’il n’y a pas de
détériorations! disaient-ils. Les jeunes ne bénéficiaient
pas d’énormément d’infrastructures dans ce village. Il
y avait bien le terrain de basket et le skateparc, mais si
l’onn’aimait pas le sport comme Anna, il ne restait que
le café du bourg pour croiser du monde. Au café, il
fallait consommer et faire attention à ce qu’on disait,
car on trouvait parfois des oreilles d’adultes.
Monsieur le maire connaissait bien les jeunes et les
avait contactés pendant le confinement pour leur poser
quelques questions. Durant leur absence prolongée, on
avait enregistré quelques dégradations et même des
choses plus graves qu’il n’avait pas souhaité aborder au
téléphone. Le maire voulait simplement l’avis des
jeunes sur ce phénomène. Il passera les rencontrer le
jour de la remise en eau.
Anna voyait défiler les notifications de ses amis sur
son portable lui demandant si elle arrivait. Elle ne
pouvait pas se permettre de décommander sans raison
valable. Étant l’instigatrice des rendez-vous au lavoir,
7
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
ce serait mal venu. Aujourd’hui, le simple fait de voir
le motlavoirsur les messages lui donnait des angoisses.
Une sensation d’horreur indescriptible…C’est peut-
être les hormones, se dit-elle. Pendant le confinement,
Anna avait eu de fortes douleurs dans le bas-ventre.
Quelques jours après, il arriva ce qu’elle attendait
depuis longtemps : elle était enfin réglée comme toutes
ses copines. Du haut de ses seize ans, elle était la
dernière du groupe. Sa mère l’avait prévenue que ces
histoires d’hormonespouvaient la fatiguer ou la rendre
nerveuse. Elle comprenait maintenant hélas ce que cela
signifiait.
Courage! se dit Anna en se levant de son lit. Je
ne suis pas plus faible que les autres, je vais y arriver!
Une fois préparée, elle appela Pilou pour lui montrer
la laisse. Tout de suite, Pilou remuait la queue, ravi. Ce
chien sans race particulièrement identifiable d’une
taille moyenne et avec beaucoup de poils était dans leur
foyer depuis longtemps.
8
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
Le vieux lavoir se trouvait à environ un kilomètre du
domicile familial. Quelques jours après la levée du
confinement, les gens avaient encore du mal à sortir
comme auparavant. On voyait peu de monde sur le
chemin malgré le beau soleil de ce début d’après-midi.
Anna n’était pas la seule à peiner pour marcher à
l’extérieur. Chaque pas qui la rapprochait du rendez-
vous semblait de plus en plus difficile. Elle avait
l’impression que ses jambes étaient lourdes, qu’elles
n’obéissaient pas aux injonctions de sonUn cerveau.
mal-être lui serrait la poitrine, lui entourait le cœur, sa
respiration devenait plus éprouvante comme si elle
venait de faire un gros effort physique.
Que se passe-t-il? Si c’est ça, ma vie maintenant,
c’est pas top!
Cinquante mètres avant le lavoir, Pilou avait
également du mal à avancer. Il trainait les pattes jusqu’à
se mettre à geindre. La dernière fois qu’il avait réagi de
la sorte, c’était lors de sa deuxième visite chez le
vétérinaire qui l’avait soigné pour une fracture à la
9
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
patte. Anna vérifia la présence de ses amis: il n’y avait
personne. À un moment, elle avait cru voir une
silhouette, vêtue d’une cape, la tête cachée sous sa
capuche, à genou, penchée vers un des bacs comme si
elle manipulait quelque chose de lourd dans l’eau. Cette
vision lui rappela avec effroi son cauchemar. Elle se
souvenait maintenant
de l’attente angoissante à
l’instant où la forme humaine en question allait tourner
le visage vers elle; comme si cette image allait
forcément être très désagréable. À y regarder de plus
près, il n’y avait personne, mise à part l’ombre d’un
arbre se dessinant à cet endroit du lavoir. Pilou pleurait
toujours. Anna s’aperçut qu’il était un peu tôt pour le
rendez-vous habituel avec ses amis. Elle se rendait
compte que sa notion du temps avait été perturbée
durant ce confinement. Anna décida de faire demi-tour
pour rendre visite à Grand-mère Adèle dont la maison
se trouvait à quelques pas du vieux lavoir. Pilou ne
pleurait plus. Il s’était calmé et suivait sa maitresse,
silencieux, le dos courbé et les oreilles basses.
10
Mon
pauvre
Le Vieux Lavoirde Maryse Weisser Macher
Pilou!
déconfinement est compliqué!
Pour
toi
aussi,
le
Grand-mère Adèle parut surprise et heureuse de
revoir sa petite fille. Elles se dirigèrent vers la cuisine
où une odeur de café emplissait la pièce. Une vieille
cafetière italienne chauffait sur la gazinière. Pilou se
coucha à proximité pour une petite sieste. On l’entendit
rapidement ronfler.
J’allais prendre mon café, en veux-tu un?
Oui, je veux bien, sans sucre,s’il te plaît.
Comment ça va depuis ces longues semaines?
L’été est bientôt là!
Ça va, je suis contente de sortir enfin. Dis-moi,
grand-mère, tu y allais, toi, autrefois, au lavoir pour
laver ton linge?
La vieille dame prit un moment pour réfléchir puis
répondit :
Dans les années50, c’était le début des lave-
linge. Ici, à la campagne, on a continué à utiliser les
lavoirs pendant quelques années, mais leur fin
11
Voir icon more
Alternate Text