Les bonheurs caducs
128 pages
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Les bonheurs caducs , livre ebook

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Description

Dans la vie de Rosemarie, tout a changé.
Avant, elle aimait travailler à la maison d’édition. Le patron, un homme bon, lui donnait envie de se lever le matin pour slalomer dans l’heure de pointe. Elle avait un amoureux, avoir un amoureux c’est pas négligeable. Et les copines lui faisaient un si beau filet de sécurité. Avec elles, c’était super de trinquer le vendredi.
Puis ça s’est mis à dérailler. Au boulot, un nouveau patron dompe sur son bureau patates chaudes et projets plates; la nouvelle éditrice, peau de vache ambitieuse, la tient sous son talon-aiguille. Son flanc-mou de frère l’a recueillie quand l’amoureux a détalé – toujours mieux de payer le loyer à deux –, chez lui ça pue le graillon et la bière tablette. Et entre elle et les copines se sont creusés de profonds fossés.
Dans la vie de Rosemarie, tout a changé, sauf elle. Figée dans une existence qui ne lui ressemble plus, elle voit se dessiner peu à peu l’inéluctable : bientôt elle sera mûre pour péter une bien belle coche.
L’histoire tendre et désopilante d’une jeune femme qui touche le fond.
C’était fanfare. Surenchère de bruit. Tonitruade. Rosemarie dodelinait de la tête, un sourire laxe aux lèvres. Laissait venir à elle les bribes assez braves pour sillonner, au-dessus de la table, la poche d’air chargée de postillons et d’éclats de rire. C’était comme plonger dans l’eau tiède, devenir sourd et à la fois tout entendre en même temps, en désordre. Elle, elle n’avait rien à dire, rien à ajouter, plus de place de toute façon, ses réparties auraient poireauté à la porte des conversations. Ainsi elle se contenta de baigner dans ce bastringue si dense qu’elle pouvait presque voir ses propres boucles flotter autour de son visage. Après un long moment elle songea que le lendemain matin il faudrait se lever. Son départ du bar passa inaperçu.
Elle descendit de l’autobus au coin de chez elle, tituba sur le trottoir, puis passa la porte. Jean-Marc, assis devant la télé, amenait à sa bouche une fourchette embobinée de spaghettis. Il interrompit son mouvement, d’abord pour se moquer des joues roses de sa sœur, ensuite pour se ruer vers elle – elle venait de trébucher sur le rebord du petit tapis d’entrée.
— Grosse soirée ? Il est juste dix heures et quart!
— Mesh eul afleuj…, répondit-elle.
— Tant que ça ?! Eh ben, c’est beau la jeunesse ! On est lundi, ciboire !
Oh! Ohh! Comme elle aurait voulu être encore juste assez sobre pour lui rappeler ces deux cent quatre vingt-six fois où elle l’avait ramassé ivre mort dans l’entrée. Ces samedis, ces lundis, ces fins de soirée, ces matins ensoleillés, ces jours où ce n’était ni sa fête ni le jour de l’An ni rien et où il s’était quand même roulé dedans gaillardement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 février 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9782764429198
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : Nathalie Caron et Julie Villemaire
Mise en pages : Andréa Joseph [pagexpress@videotron.ca]
Révision linguistique : Sylvie Martin et Chantale Landry En couverture : view7 / photocase.com Conversion en ePub : Nicolas Ménard
Québec Amérique 329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec–Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres–Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Héroux, Élyse-Andrée
Les bonheurs caducs
(Latitudes)
ISBN 978-2-7644-2845-0 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-2918-1 (PDF)
ISBN 978-2-7644-2919-8 (ePub)
I. Titre.
PS8615.E756B66 2015 C843’.6 C2014-942652-6
PS9615.E756B66 2015
Dépôt légal : 1 e trimestre 2015
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2015.
quebec-amerique.com


À mon Gab


PROLOGUE

Ainsi qu’on décide de traverser une foule pour passer inaperçu et qu’on s’installe en ville afin de n’être bien connu de personne, ainsi on se cache dans le bruit pour éviter d’entendre. C’est ce que venait de réaliser Rosemarie, assise sur un tapis élimé et moite au milieu de piles de cartons humides, en ce soir de la fin juin. Par la fenêtre, une brise odorante. Dans la rue, pas un son, que les feuilles bruissant dans le crépuscule. Le tempo lent d’une goutte s’échappant du robinet de la cuisine. Le ronron du réfrigérateur, suivi d’un claquement. Si on avait voulu l’appeler, pas de téléphone. Lui écrire, pas de connexion Internet. Elle n’était pas même certaine que la sonnette fonctionnait ; le petit logement sentait fort la négligence.
Rosemarie avait enfin échappé au bruit. Désormais elle ne faisait plus qu’entendre. Il n’y a de murmure plus tonitruant que celui qu’on a tout fait pour réduire au silence.
Les potes de Jean-Marc avaient répondu à l’appel juste assez nombreux. Celui qui jouait de la basse dans un band de garage, celui qui puait la cigarette, celui qui fumait des cigarettes qui ne puaient presque pas, celui qui voulait la baiser mais pas de chance, celui qui aurait pu la baiser s’il s’était essayé. Et l’autre, là, celui dont elle oubliait toujours qu’une fois qu’on lui avait demandé comment il allait, il ne se taisait plus jamais et on en avait pour des heures à être soûlé d’anecdotes dont la chute tiède nécessitait beaucoup trop de précisions. Ils s’étaient occupés de tout, et boîtes et meubles avaient été dûment déchargés sur ces nouveaux planchers.
Il est coutumier de constater à quel point la vie tient à peu de chose, quand on entreprend de l’empaqueter pour l’emporter vers une autre niche. Pour Rosemarie c’était l’inverse. Peu de meubles mais des boîtes pleines, nombreuses, trop d’objets réunis trop vite, maintenant il fallait faire le tri. Depuis vingt minutes elle contemplait les murs, incapable de déterminer ce qui pressait le plus. L’urgence avait été de fuir ; ça, elle l’avait fait. Une pause s’imposait. On ne peut tout régler en un jour.
Un seul repère dans ce quartier : Monique était sa voisine. Cent soixante-trois pas et elle était à sa porte. Peut-être qu’elle aimerait avoir de la visite, Monique, ce soir. Rosemarie pouvait bien laisser là ses cartons, le frigo vide et ce vieux tapis dégueulasse qu’elle devrait rouler et jeter aux ordures avant que la pourriture qui y grouillait ne contaminât ses affaires. Un désir pressant soudain, presque un besoin, d’attraper une bouteille de vin et d’aller sonner chez Monique.
Dans la pièce qui lui servirait de chambre, une grosse valise. Elle alla s’y changer, se passa un peu d’eau dans le visage et quitta son nouveau chez-soi en verrouillant la porte derrière elle.
Elle était toujours un peu excitée quand elle se rendait chez Monique. Le souvenir de sa première visite chez elle remontait à la surface, comme on croit qu’un verre d’alcool espéré répandra en nous les effluves enivrants de la gorgée initiatique. Sa première fois chez Monique avait été une grande soirée. Dès qu’elle avait posé le pied dans le vestibule elle s’était gonflée de joie. Tant de joyaux, tant de parfums… Rosemarie était tombée amoureuse de cette maison, de cette femme de volupté qui semblait ne s’encombrer de rien, et dont l’existence semait chez elle envie et fourmillements.
C’était un soir d’août, juste avant que ne s’enclenche le traditionnel affolement automnal. Un cocktail pour le boulot, rien là d’extraordinaire ; à la boîte qui l’employait, on sautillait sans cesse d’un événement mondain à l’autre, il y avait vraisemblablement toujours quelque chose à célébrer. Ce soir-là, Monique invitait.
Traductrice pigiste de son métier, elle passait à la moulinette les ouvrages étrangers dont des éditeurs d’ici achetaient les droits dans les foires du livre du monde entier. Avant ce soir-là, Rosemarie n’avait jamais vu Monique. Elle lui avait écrit des courriels, parlé au téléphone, avait envoyé des messagers à vélo chercher chez elle les manuscrits qu’elle passait ses journées à traduire et à peaufiner, bien à l’abri dans son sanctuaire.
Et de sanctuaire il était question. Boiseries, rideaux de velours, fauteuils antiques. Une décoration lourde, vieillotte. Une épaisse moquette. De grandes fenêtres, toujours ouvertes. Un long mur couvert de rayons où s’alignaient des livres par centaines. Des coussins bleu roi, aubergine, grenat, écrus, des cierges partout. Pas le grand luxe, les étoffes étaient un peu élimées aux our lets, les bougies n’avaient pas coûté cher, c’était l’en semble qui tapait l’œil. Décor de théâtre. Une poignée de convives, pas plus, tenaient à la main un verre qu’ils n’arri vaient jamais à écluser complètement. Et Brel, dans les haut-parleurs, se mêlait aux conversations.
Charmée peut-être, Rosemarie, plus qu’amoureuse. Séduite. « Je veux vivre ici, avait-elle songé. Je veux vivre dans un endroit comme ici, seule, la paix avec mes livres, sortir seulement quand ça me tente, inviter des gens à boire du vin et à chanter. » Comme à cette époque qui ne semble exister qu’au cinéma. Ambition ridicule s’il en était. Pour Rosemarie du moins, que l’inconfort, donnant la main aux obligations, malaises et contraintes, cernait de toutes parts.
Monique savait accueillir ses invités. On se sentait chez elle comme chez soi, on ne voulait plus repartir. Elle n’était plus dans la trentaine, peut-être même la quarantaine lui filait-elle déjà entre les doigts. Enrobée de plaisir, la chevelure corbeau cascadant, le sourire facile, le teint moins frais que naguère mais on le lui pardonnait. Elle avait la voix douce, cependant dès qu’elle ouvrait la bouche on se taisait pour écouter chanter cet accent situant son enfance quelque part en France. Elle parlait pendant de longues minutes parfois, se saisissait d’un chef-d’œuvre à louanger, d’un saligaud à descendre en flammes, d’une nouvelle idée sur laquelle se pâmer, d’un souvenir de jeunesse, perdue dans sa tête et fascinante, pour Rosemarie du moins. Qu’avaient-ils, les autres, à changer de sujet, à lui couper la parole pour proposer un toast, à fredonner avec Jacques ? Comment pouvaient-ils être insensibles à ce spectacle ? Ce n’était pas tant Monique. C’était ce monde étrange et bon où elle conviait les vivants.
Il s’était passé quelques semaines avant que Rosemarie se rendît seule chez la traductrice. À l’invitation de Monique, elles avaient pris un café ensemble. Deux fois elle l’avait reçue à souper. Même vide d

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