Les Voltigeurs de Gy
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Les Voltigeurs de Gy , livre ebook

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Description

« Les gens de Gy ressemblent beaucoup à ceux de notre plan à ceci près qu'ils ont des plumes au lieu de poils. Le duvet presque invisible des nourrissons devient la douce brosse beige tachetée des enfants ; puis, à l'adolescence, surgit la coiffe de plumes. Les hommes arborent en général une collerette sur la nuque... »



Ursula Le Guin est une très grande dame de l'imaginaire, autrice de chefs d'œuvres comme Terremer.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 juin 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782376862321
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

présente

Les Voltigeurs de Gy
Ursula Le Guin

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Les Voltigeurs de Gy
Les gens de Gy ressemblent beaucoup à ceux de notre plan, à ceci près qu’ils ont des plumes au lieu de poils. Le duvet presque invisible des nourrissons devient la douce brosse beige tachetée des enfants ; puis, à l’adolescence, surgit la coiffe de plumes. Les hommes arborent en général une collerette sur la nuque, de plus petites plumes sur la tête, et de grandes crêtes érectiles. Leur ramage est brun ou noir, rayé et ponctué de bronze, de rouge, de vert ou de bleu. Les plumes des femmes tombent en cascade le long de leur dos, jusqu’à effleurer le sol en longues traînes diaphanes et bouclées, telles des queues d’autruche aux vives couleurs – pourpre, écarlate, coralline, turquoise et or. Les Gyr, mâles comme femelles, ont du duvet sur la région pubienne et les aisselles, ainsi souvent qu’un plumage court et fin sur tout le corps. Les plus chamarrés d’entre eux constituent un régal pour les yeux quand ils vont nus, mais font aussi le délice des poux et des lentes.
La mue est un processus continu, et non pas saisonnier. Peu à peu, les plumes tombées cessent de repousser avec l’âge, si bien que la pelade affecte beaucoup d’hommes et de femmes passé quarante ans. Nombreux sont donc ceux qui mettent de côté les plus belles plumes de leur coiffe afin de se confectionner perruques ou fausses crêtes au besoin. Ceux dont le plumage est maigre ou terne peuvent acheter des perruques dans des boutiques spécialisées. Au gré des modes, il est courant de se décolorer les plumes, de les poudrer d’or, de les cranter, et les perruquiers des villes décolorent, teignent, poudrent ou crantent selon la mode et proposent leurs créations tout dernier cri. Les femmes de condition modeste aux plumes crâniennes particulièrement longues et belles les leur vendent souvent un très bon prix.
En Gy, on écrit à la plume. La tradition veut qu’un père donne un jeu de ses plumes de collerette, plus raides, à son enfant lorsqu’il ou elle commence à apprendre à écrire. Les amants s’échangent des plumes avec lesquelles rédiger leurs lettres d’amour, jolie tradition mentionnée lors d’une scène fameuse de la pièce d’Inuinui, Le Malentendu  :
Ô ma plume traîtresse, qui a écrit à ma rivale l’amour
Qu’il éprouvait ! Son amour… et ma plume et mon sang !
Les Gyr forment un peuple stable, pondéré. Fidèles à leur tradition, peu enclins à l’innovation, réservés face aux étrangers, ils résistent aux avancées technologiques et à la nouveauté ; personne n’a su leur vendre des stylos à bille ou des avions ni les inciter à entrer dans le monde merveilleux de l’électronique. Ils continuent de rédiger leurs lettres à la plume, de calculer de tête, de se déplacer à pied ou dans des chariots tractés par des animaux de grande taille, semblables à des chiens, appelés ugnunu, de n’apprendre, et seulement en cas d’absolue nécessité, que quelques mots d’une langue étrangère, et d’apprécier les pièces classiques en pentamètres iambiques. Les technologies utiles, les merveilleux gadgets, le savoir scientifique avancé des autres plans – le Gy est une étape touristique très courue –, rien de tout ça ne paraît susciter en eux l’envie, l’avidité ni un quelconque sentiment d’infériorité. Ils poursuivent leur bonhomme de chemin, moins obstinés que blasés, sous un masque d’indifférence polie et d’impénétrabilité derrière lequel se dissimule un contentement de soi suprême, ou tout autre chose.
Les plus rustres des touristes outreplanaires les traitent bien sûr de crânes de piaf, de cervelles d’oiseau, et ainsi de suite. Bien des voyageurs venus de plans plus sophistiqués vont visiter les petites villes placides, parcourir la campagne en chaise à ugnunu, assister à de gentils bals charmants (les Gyr adorent danser), se laisser tenter par une sortie désuète au théâtre, tout ça sans jamais se départir du mépris que les indigènes leur inspirent. « Des plumes, mais pas d’ailes », tel est le jugement le plus répandu à l’égard des Gyr.
Ces visiteurs condescendants passeront peut-être une semaine entière en Gy sans jamais voir un indigène ailé ni s’aviser que la silhouette qu’ils ont prise pour un oiseau ou un avion à réaction était celle d’une femme en plein ciel.
À moins qu’on ne leur en parle, les Gyr restent muets sur leurs congénères ailés. S’ils ne nient pas leur existence, ils s’abstiennent toutefois de la révéler spontanément. J’ai dû poser des questions avec insistance pour pouvoir établir la description qui suit.
Les ailes n’apparaissent qu’à la fin de l’adolescence. Soudain, sans aucun signe avant-coureur, une jeune fille de dix-huit ans ou un jeune garçon de dix-neuf se réveille avec une légère fièvre et une atroce douleur aux omoplates.
S’ensuit une année ou plus d’inconfort physique et de souffrance extrêmes, durant laquelle le sujet doit être gardé au calme, au chaud, bien nourri. Seuls un régime alimentaire riche – en règle générale, les voltigeurs naissants souffrent d’une faim terrible – et un cocon de couvertures offrent un quelconque réconfort tandis que le corps se restructure, se refait, se reconstruit. Les os s’allègent et deviennent poreux, toute la musculature du haut du corps se modifie, et des protubérances osseuses se développent rapidement à partir des omoplates pour devenir le squelette d’ailes immenses. L’étape finale est la pousse, qui n’est pas douloureuse. Les plumes primaires – massives, en comparaison – peuvent mesurer un mètre. L’envergure d’un Gyr mâle adulte atteint quatre mètres ; celle d’une femelle, trois mètres cinquante en moyenne. Les mollets et les chevilles se couvrent également de plumes raides qui se déploieront en vol.
N’importe quelle interférence visant à empêcher ou à interrompre le processus est inutile, et nuisible ou fatale. Si on ne permet pas aux ailes de se développer, os et muscles se tordent et se ratatinent, causant une torture incessante. Amputer les ailes ou les plumes à n’importe quel stade occasionne une mort lente dans un paroxysme de douleur.
Chez certains des peuples gyr les plus conservateurs et les plus archaïques, les tribus qui vivent le long des côtes glaciales des régions polaires du nord et les gardiens de troupeaux des steppes froides et stériles du sud lointain, la vulnérabilité des ailés participe de la religion et des rituels. Au nord, sitôt que les jeunes gens montrent les signes fatals, ils sont capturés et remis aux anciens. Lors d’un rite qui évoque les funérailles dans cette culture, on attache de grosses pierres aux mains et aux pieds de la victime, puis on monte en cortège en haut d’une falaise et, là, on la jette à la mer en criant : « Vole ! Vole pour nous ! »
Sur les steppes, on laisse les ailes croître complètement et l’on s’occupe avec respect, avec adoration, toute l’année durant, de la jeune personne concernée. Supposons que ce soit une fille qui présente les stigmates. Lors de ses transes fiévreuses, elle passe pour devineresse. Les prêtres écoutent tous ses propos et les interprètent à l’intention du peuple. Une fois que ses ailes ont fini de grandir, on les lie à son dos et la tribu entière l’accompagne à pied jusqu’au sommet le plus proche, falaise ou rocher escarpé – souvent un trajet de plusieurs semaines, dans cette contrée plate et stérile.
Là-haut, après des jours passés à danser et à inhaler la fumée hallucinatoire de feux de byubyu, les prêtres et la jeune fille, tous drogués, vont, dansant et chantant, au bord de la falaise. Là, on libère ses ailes. Elle les soulève pour la première fois, puis, tel un faucon quitte le nid, se lance dans le vide en trébuchant, en battant de manière exagérée ses ailes toutes neuves. Qu’elle prenne ou non son essor, tous les hommes de la tribu, hurlant d’excitation, lui décochent des flèches ou lui jettent leurs lances à la pointe tranchante comme un rasoir. Elle tombe, percée de douzaines de lances et de flèches. Les femmes descendent la paroi tant bien que mal et la tuent à coups de pierres si elle a survécu. Puis elles entassent des pierres sur son cadavre pour l’enfouir sous un cairn.
Il y a bien des tombeaux au pied de chaque élévation, d’un bout à l’autre des steppes ; les vieux cairns fournissent des pierres pour les nouveaux.
Certains jeunes gens peuvent tenter d’échapper à leur destin en prenant la fuite, mais la faiblesse et la fièvre qui accompagnent la pousse de leurs ailes les handicapent, et ils ne vont jamais bien loin.
Dans les Marches du Sud de Merm, un conte populaire raconte qu’un ailé saute du rocher sacrificiel escarpé et vole avec tant de vigueur qu’il échappe aux lances et aux flèches et disparaît dans le ciel. L’histoire s’arrête là. Le dramaturge Norwert l’a choisie comme base d’une tragédie romantique. Dans sa pièce, La Transgression , le jeune homme a donné un rendez-vous galant à sa bien-aimée et la rejoint à tire-d’aile ; mais elle a, sans le vouloir, averti un autre prétendant, qui se place en embuscade. Tandis que les amoureux s’embrassent, il décoche sa lance, blessant l’ailé à mort. La jeune fille sort son couteau et tue l’assassin, puis se poignarde après avoir échangé des adieux avec le voltigeur à l’agonie. Certes, il s’agit d’un mélodrame, mais, aux mains d’un bon metteur en scène, celui-ci se révèle très touchant ; tout le monde a les larmes aux yeux lorsque le héros descend du ciel tel un aigle, puis lorsque, en mourant, il entoure sa bien-aimée de ses grandes ailes couleur de bronze.
Il y a quelques années, on a donné une adaptation de La Transgression sur mon plan, à l’Actual Reality Theater de Chicago. Était-ce inévitable ? On l’a traduite sous le titre Le Sacrifice des anges . Or, il n’y a rien dans la mythologie ou l’histoire des Gyr qui évoque nos ang

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