Malédiction
366 pages
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Description

Que ressent le maudit face à son destin cruel ? Face à cette ombre qui le pourchasse et ruine inlassablement ses espoirs ? Au cours de son errance, inspire-t-il pitié ou dégout aux passants ? Sait-il lui-même qu'une force surnaturelle est à l’œuvre pour anéantir son bonheur ?

Des steppes aux confins des forêts, d'un passé oublié à un présent bien tangible en passant par un futur cauchemardesque, les légendes s'écrivent, les mythes s'effritent et sont frappés du sceau noir. Quinze auteurs explorent le thème de la malédiction dans des récits rythmés par les incantations, les sentences vengeresses et les courroux divins.

Qu'adviendra-t-il de leurs malheureux héros ? Succomberont-ils face au mauvais sort ? Trouveront-ils des mains secourables pour les aider et les libérer de leurs tourments ? Ou bien la lutte contre la déchéance est vaine et leur destin inéluctable ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 décembre 2017
Nombre de lectures 8
EAN13 9782372270564
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MALÉDICTION Anthologie avec les textes de Akram, Jean-Pol Bertollo, Olivier Boile, Manon Bousquet, Philippe Goaz, Céline Ceron Gomez, David Chauvin, Grégory Covin, Nathael Hansen, Amria Jeanneret, Florent Lenhardt, Morgane Leproust, Siana, Guillaume Sibold, Macha TanguyPréface de Kevin Kiffer Illustration de couverture de Pascal Vitte
TABLEDESMATIÈRES
Préface Lorsque se consume la Lune de l’Ourse Présentation de Manon Bousquet L’appel du sang Présentation d'Akram La complainte d’Emerata Présentation de David Chauvin Coa et Couacs Présentation de Philippe Goaz Eilwen Corbeau Blanc Présentation de Macha Tanguy Les dangers de Samarilla Présentation de Guillaume Sibold Radi Présentation de Morgane Leproust Les vases de Soissons Présentation d'Olivier Boile Épitaphe Présentation de Jean-Pol Bertollo Le vrai visage Présentation de Céline Ceron Gomez Les oniriphages Présentation de Siana Les Chasse-Mythes : l’Ombre de la Rose Présentation d'Amria Jeanneret La montre Présentation de Nathael Hansen Mamui Ata Présentation de Grégory Covin L’Horloge indique Minuit Présentation de Florent Lenhardt
PRÉFACE Le motmalédiction éveille immédiatement l’imaginaire du lecteur qui y associe des légendes, des prophéties, des personnages incroyables et des destins improbables. Il y a donc une logique à ce qu’une maison d’édition nommée Mots et Légendes y consacre sa première anthologie. Il est difficile de poser la question suprême, à savoir comment définir l’idée de malédiction. La 1 première réponse peut venir d’Alan Warren qui s’est essayé à circonscrire un sens large : «Sous sa forme la plus basique, la malédiction est simplemen t une incantation ou un sortilège magique imposé aux gens avec l’intention évidente de leur faire du mal, et est réputée être la forme la plus redoutée de magie. La malédiction elle-même est simplement l’expression de la volonté de nuire à une personne en particulier, et prétendument n’impo rte qui pourrait jeter une malédiction[…]. » En français, deux sens existent :1) Paroles par lesquelles on souhaite avec véhémence tout le mal possible à une personne, une famille, une ville, un pays, etc., sans appeler la colère de Dieu, mais le plus souvent en l’impliquant ; 2) Insultes, violences verbales contre quelqu’un ou quelque chose ou évocation de la disgrâce, du sort contraire, de fatalité, de choses vouées à la stérilité, à 2 la mort . Retracer une histoire de cette notion revient à réaliser un ouvrage entier, tant elle s’inscrit dans l’ADN des civilisations humaines. Elle nourrit les mythes depuis l’Antiquité, irrigue les œuvres dès la Bible, comme dans ce passage où Dieu maudit le serpent et le condamne à ramper, à manger de la 3 poussière jusqu’à la fin de ses jours : 13 Et l’Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé. 14 L’Éternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. C’est un moyen d’illustrer des règles, des non-dits, mais aussi de justifier des faits inexplicables ou de renvoyer à un divin impalpable. La littérature, notamment dans le domaine de l’imag inaire, se penche longuement sur les malédictions. Des auteurs célèbres comme Rudyard Ki pling (La marque de la bête, 1890), H.G. Wells (Pollock and the Porroh M an, 1894) ou Richard Matheson (Le pays de l’ombre, 1960) et d’autres l’ont traité à travers la forme courte. Fa isons une recherche plus prosaïque en nous demandant combien d’ouvrages récents peuvent se rattacher à une malédiction ? Un site comme le réseau social du livre et des lecteurs Babelio classe d’ores et déjà 662 références (bandes dessinées ou livres) sous ce hashtag. Il est donc une tradition de la malédiction qui se perpétue dans la littérature. Les quinze auteurs que vous allez découvrir dans les pages qui suivent l’ont tous abordée sous l’angle des genres science-fiction, fantasy, fantastique. Cette triade travaille la malédiction à travers des biais bien identifiés qui vont nous permettre de voir comment nos auteurs ont cerné leurs sujets, base peut-être pour offrir une vision d’ensemble de l’idée à travers cette anthologie.
Des mythes, des légendes, des maudits
Notre histoire est parsemée de malédiction, maléfice, lanceur de sorts et autres suspicions. La 4 culture européenne s’en nourrit depuis les débuts de l’Antiquité , mais ce n’est pas la seule zone géographique où il est nécessaire de poser des mots sur ces sortilèges. Au Japon par exemple, le termeJusol’idée de prononcer une malédiction et de jeter un sort à l’encontre d’un reprend 5 adversaire, pratique ancienne et largement répandue . Le mythe et la légende sont un moyen fort simple d’en transmettre le souvenir, souvent à travers des divinités ou leurs affidés. Pour revenir à un périmètre gréco-romain, le courroux des puissances du panthéon est sollicité alors par une imprécation (ouara), une demande adressée aux dieux à l’aide 6 de prières. On retrouve cette forme dans des récits très connus autour d’Œdipe, Thésée ou Amyntor . Les dieux sont, dans ces cas, des garants du succès du maléfice et, parfois, le propre instigateur du
mauvais sort. Cette pratique fort ancienne, renforcée par les sources épigraphiques, montre son aspect concret dans la vie des sociétés de l’époque. Les contes locaux, ou régionaux, font passer de gén ération en génération ce type d’histoires extraordinaires. Les animaux en sont de temps à autre le vecteur, images communes et symboliques que le lecteur français a bien appris à connaître à travers Jean de la Fontaine. Comme pour les fables, ils ont une dimension morale ou une sagesse, ou encore un sens pratique pour la vie de tous les jours. Dans notre anthologie, vous découvrirez que c’est l a figure de l’ours qui a été choisie par les auteurs afin de parler de malédiction. Cet animal n ’est pas le plus coutumier dans les contes, toutefois il est intéressant de se pencher sur ses occurrences. Les frères Grimm le mettent brièvement en scène dansL’homme à la peau d’ours, instrument d’un pacte avec le diable ; on le déco uvre par exemple dans le conte populaireJean de l’Ours, enfant né mi-homme, mi-ours, transformation qui 7 devient à la fois son don (sa force) et sa damnatio n (sa monstrueuse colère) . Il est amusant de constater que cette fable se retrouve, par variatio n, dans nombre de civilisations à travers l’histoire, signe d’une figure très présente et d’un mythe fort. L’univers des rêves est un autre foyer de maléfice. Il est parfois couplé à des lieux, des emplacements spécifiques qui ont la réputation d’attirer le mauvais œil. L’un des auteurs imaginaires les plus connus, Howard Phillips Lovecraft, aborde les deux aspects à travers ses différents textes. Que ce soit les cités maudites, abandonnées ou sièges de pratiques impies, ou les contrées du rêve où le poids de telles actions dénature et pousse aux pires atrocités. Le recueil réunit autour de son Cycle 8 du Rêve,Les contrées du rêve, est une bonne synthèse de cette vision où dieux, hommes, cités, demeures, songes, se retrouvent corrompus et maudits pour l’éternité.
Le jeteur de sorts, individu protéiforme
Quand on pense au jeteur de sorts, peuvent venir à l’esprit de multiples formes, toutes issues d’un imaginaire bâti à travers les siècles. L’essen ce divine, inexplicable, intouchable de la malédiction tend à la rapprocher du sacré, ou du moins de notre conception de ce qui est surnaturel. Les mythes grecs illustrent régulièrement ces dieux cruels et égoïstes, prompts à punir les humains. Zeus, roi du panthéon, doit souvent infliger de telles damnations, à l’image de la mission confiée à Pandore d’affliger de terribles maladies apportées aux hommes par la vieillesse, afin de les châtier de se vouloir l’égal des dieux. Cette légende est intéressante, car elle présente la vieillesse comme des représailles appliquées à l’humanité entière, fondatrice de ce que nous sommes. Cette notion de punition est centrale dans la constructio n de la malédiction à travers le temps, héritage d’une culture chrétienne où le châtiment divin est au cœur des œuvres clés qui forgent la foi. Des personnages peuplant l’imaginaire sont soupçonnés de jeter de tels maléfices : sorcières, shamans… Il y a une forte connotation négative qui se raccro che à l’idée même du jeteur de sorts, car deux images s’opposent : celle du bon magicien, qui soigne, aide et que l’on loue ; à l’inverse, celle du magicien haineux, fourbe, lanceur de maléfice, qui doit être défait ou subir les pires exactions (pendaisons, etc.). Ce jugement moral va plus loin, dans le sens où si les victimes sont comprises quand elles maudissent leurs bourreaux, le jeteur de sort « professionnel » éveille méfiance et violence. Son accointance avec le diable ou toute divinité maléfique s’impose alors comme une évidence. On peut donc théoriser la bonne malédicti on, qui a une valeur morale positive, et la mauvaise, source de malheur, selon la personne qui en prononce l’incantation. Ce biais a un intérêt quand l’on revient sur le mythe de la sorcellerie. Deux jeteurs de sorts s’y assimilent, le bon magicien et le (la) méchant(e) sorcier(e). Des cultures ont séparé les gentils et les méchants dans une ambivalence rassurante. D’autres, comme la religion et le culte vaudou, ont une image plus brouillée. À la fois croyance et support de pratiques magiques, elle donne auHoungan, le prêtre vaudou, des compétences à la fois de conseiller spirituel, de médecin et de sorcier. L’aspect ritualiste du culte, lié à des actes sanglants, est contrebalancé par la connaissance des herbes, l’utilisation des pharmacopées et divers bienfaits supposés. Ce jeteur de sorts gris peut être à la fo is le maudisseur, comme le commissionné à l’exécution de la malédiction. Dans les faits, il est difficile de les classifier comme des êtres tout blanc ou tout noir.
L’autre vecteur de maléfice est bien entendu l’objet, merveilleux ou ordinaire, toujours chargé d’une histoire. Le point qui diffère dans ce type de vecteur maléfique est d’abord que la chose est inanimée. Ensuite, la source du malheur n’est que r arement explicitée ou clairement pointée du doigt, il n’y a pas de jeteur de sorts désigné. Les exemples sont légion, à l’image de la malédiction du tombeau de Toutankhamon, dont les archéologues découvreurs sont morts les uns après les autres. Plus récemment, des objets font encore l’objet d’une telle construction mythique. La maléd iction du diamant Hope fait partie de ces artefacts, encore aujourd’hui considérés comme maudits, au point que des documentaires très 9 sérieux ont été réalisés sur le sujet . Par ce biais, l’aveu est évident : l’infortune sert de palliatif à l’absence d’explications, au mystère, sans relever de forces magiques ou extérieures différentes du destin.
L’homme, une malédiction pour l’homme
La malédiction peut avoir tous les attributs, avoir un impact social ou devenir celle de 10 l’écrivain . Ce métier fait partie, avec celui d’archéologue, des emplois maudits les plus exposés selon la tradition. Parce qu’un auteur gagne la reconnaissance après la mort, voit ses textes refusés, doit vivre dans le dénuement, ou décéder dans d’atroces souffr ances, il est connu comme ayant été frappé inexplicablement par le sort. En France, des créateurs comme Baudelaire ou Mallarmé répondent à cette image théorisée notamment par Verlaine et son recueil depoètes maudits. Ce topos se retrouve aussi beaucoup dans la littérature sociale du XIXe-début XXe. Là encore, le malheur des personnages de Balzac, Zola, et leurs comparses naturalistes, est présenté comme une horrible malédiction, que la société et le monde mo derne jetteraient aux gens selon leur statut, leur chance ou malchance supposée, leur genre également. Se dessine de plus en plus, à l’aune de l’émergence du capitalisme, ce virage sur le lien entre malédiction et réalité proche, qui ne devrait rien à des forces extérieures, mais serait le produit de la société. Ce modèle va encore gagner en force avec les deux guerres mondiales, où l’homme semble être le plus important fléau que l’humanité doive craindre. Ce rapprochement entre la réalité sociale et la malédiction a inspiré les auteurs de l’imaginaire au regard notamment de l’actualité contemporaine. Arthur C. Clarke a publié en 1953 une nouvelle baptiséealédictionLa M , qui se déroule après une attaque nucléaire de grande ampleur. La guerre froide, puis l’horloge de l’Apocalypse de nos jours, ont influencé des textes comme celui-ci, où l’homme se prépare à jeter sur lui-même le sort ult ime qui causera sa destruction. Clarke évoque justement ce mauvais présage, qu’il prolonge d’une malédiction bien réelle, celle-là, figurant dans l’épitaphe de la tombe de William Shakespeare : Mon ami, pour l’amour du Sauveur, abstiens-toi De creuser la poussière déposée sur moi. Béni soit l’homme qui épargnera ces pierres Mais maudit soit celui violant mon ossuaire. En littérature, l’altérité d’un personnage va souvent de pair avec sa malédiction. C’est le regard d’un homme sur un autre qui suffit à le voir damné, sous le coup d’un courroux aussi bien divin que banalement issu d’un jugement. Marcel Proust présente l’homosexualité de Monsieur de Charlus comme une malédiction dansÀ la recherche du temps perdu. Le mythe du juif errant, dans sa construction auprès d’un public populaire, rappelle que l’on lie les juifs à toute une série de catastrophes qui en ferait « une race maudite », image qui restera fermement ancrée dans l’imaginaire collectif jusqu’au milieu du XXe siècle. Cette équation différence = malédiction n’est pas réservée aux temps modernes. Des exemples 11 concrets se rencontrent dans la littérature médiévale par exemple. Le Lai de Guigemar de Marie de France montre une biche blanche poursuivie et morte llement blessée par un chasseur. La caractéristique physique est déjà bien mise en avant dans le récit. Il prend un tour merveilleux, car cette différence va s’accompagner d’une prise de parole, l’animal maudissant son assassin Guigemar. L’objectif est ici la vengeance envers le geste com mis, le meurtre, contre un individu ou une catégorie spéciale.
Au final, maudire une personne ou un groupe vient d ’abord de la volonté de nuire, cette inextinguible soif de faire souffrir son prochain, qu’on ne le comprenne pas ou qu’on veuille se venger de lui. Quelle que soit la source, elle renvoie au cœur de l’humanité, au plus profond de ses origines, les raisons de sa création. Mettre des paroles sur une sentence, invoquer un autre qu’il soit magique, divin ou ésotérique, fait porter la responsabilité à un tiers de ses propres pulsions. Ainsi, l’homme tente de s’exonérer de ses devoirs. La culpabilité, le besoin de justice, ou celui de croire en une force supérieure, tous ces sentiments qui sont au cœur des quêtes de l’histoire se retrou vent dans les récits tournant autour des malédictions, depuis que nous sommes en mesure de poser des mots sur nos peurs, nos frustrations, nos envies. Il convient d’en découvrir, à travers les pages qui suivent, de nouveaux exemples. Kevin Kiffer Annotations : 1 : Warren Alan, « The Curse », dans S.T. Joshi (dir.), Icons of Horror and the Supernatural : An Encyclopedia of Our Worst Nightmares, vol. 1, Westport (Connecticut) / Londres, Greenwood Press, 2007, p. 129-159. Alan Warren est un auteur, qui a publié divers travaux sur les écrits de Roald Dahl ou encore Richard Matheson. Retour au texte 2 : LeTrésor de la Langue Française, s.v.« malédiction ». Retour au texte 3 : La Bible, la Genèse (3 h 13 — 3 h 14). Retour au texte 4 : À l’image des malédictions funéraires grecques gravées sur des stèles, voir par exemple : Robert Louis, Malédictions funéraires grecques. In :Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 122ᵉ année, N. 2, 1978. pp. 241-289. Retour au texte 5 : Iwao Seiichi, Iyanaga Teizō, Ishii Susumu, Yoshida Shōichirō, Fujimura Jun’ichirō, Fujimura Michio, Yoshikawa Itsuji, Akiyama Terukazu, Iyanaga Shōkichi, Matsubara Hideichi. 153. Juso. In : Dictionnaire historique du Japon, volume 10, 1984. Lettre J. pp. 80-81. Retour au texte 6 : Bonnard Jean-Baptiste, « Au nom du père : la m alédiction paternelle en Grèce ancienne », Cahiers « M ondes anciens »014, consulté le 12ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 14 février 2  [En août 2017. http://mondesanciens.revues.org/1239 Retour au texte 7 : Pour une analyse plus poussée : Cosquin Emmanue l, Contes populaires lorrains recueillis o dans un village du Barrois à Montiers-sur-Saulx (Meuse). In :Romania17, 1876. pp. 82-, tome 5 n 107. Retour au texte 8 : Lovecraft Howard Phillips,Les contrées du rêve– Traduction de David Camus, Éditions J’ai Lu, 2012, 368 pages. Retour au texte 9 :Mystery of the Hope Diamond, Smithsonian Institute, 2010. Retour au texte 10 : Dubois Jacques, « Malédiction sociale et bénédiction romanesque »,Romantisme, vol. 136, o n . 2, 2007, pp. 81-94. www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ROM_136_0081 Retour au texte 11 : De France Marie, « Guigemar »,Lais Bretons(XIIe-XIIIe siècles). Retour au texte
LORSQUESECONSUMELALUNEDEL’OURSE de Manon Bousquet Depuis le promontoire rocheux au-dessus de la grotte, Artio contemple sa vallée en flammes. La fumée tourbillonne en contrebas, au milieu des nuages, dans une brume noirâtre ; elle bloque toute vision, mais la déesse devine les mouvements des troupes barbares. Elle gorge ses poumons de la puanteur âpre, s’efforce de gonfler sa rage. À ses pieds, devant le sanctuaire troglodyte, ses prêtresses s’affolent, lui demandent ce qu’elle voit. Artio ne sait quoi leur répondre pour les apaiser. Depuis longtemps déjà, elles devraient se trouver à l’abri loin d’ici. Quand les barbares à la croix auront rasé la forêt, ils viendront. Artio soupire. Elle cherche un vain réconfort au contact du croissant d’argent sur son front, se masse les tempes. Le froissement du vent dans la ramure de son chêne la console un instant. Le centenaire ondule impassible aux événements des hommes, rendu indolent par le soleil de cette belle journée. Artio, elle, ne possède pas le loisir de se laisser aller à la chaleur de l’astre de flammes, et puis elle a toujours préféré la lune. « Vous devriez rentrer chez vous, chez vos sœurs. R éfugiez-vous dans la vallée voisine et feignez de prier leur dieu. » Si certaines obéissent, plus nombreuses sont celles à rester sans un mot. La déesse apprécie l’hommage malgré le goût amer dans sa bouche. D’un geste, elle leur ordonne de préparer arcs et flèches. L’honneur d’apporter les armes d’argent revient à la plus jeune de ses suivantes, à peine âgée de onze printemps. Le contact du métal rassure la déesse. S’il n’y avait qu’elle, elle fuirait dans les bois, mais la plupart des prêtresses encore au sanctuaire n’ont d’autre refuge. Elles ne survivraient ni à la rigueur de l’hiver ni à la rage des envahisseu rs. Quant à les changer en ourses, Artio y a pensé : elle l’a fait par le passé, par jeu, par rituel, uniquement avec les plus expérimentées. Il est si facile de se dissoudre dans l’esprit des bêtes… Protéger leur s corps comme leurs âmes fait partie de ses attributions. Au fond, Artio sait déjà qu’elle ne peut les sauver. Elle contemple sa clairière à flanc de montagne où les femmes s’activent. Depuis leur plus jeune âge, elles lui ont consacré leur virginité. Si le divin Cernunnos vient parfois les taquiner, jamais il ne franchit l’interdiction d’Artio. Il la craint trop. Nombre de ses cerfs ont perdu la vie sous les flèches de la déesse ou sous ses crocs pour avoir folâtré trop près des ourses. Les prêtresses ont préparé la guède et la chaux ; elles ne tardent pas à s’enduire le visage du bleu du combat avant de se raidir les cheveux. La délicate odeur crayeuse sur ses tempes fait frémir la peau de la déesse ; les poils de ses bras se hériss ent. Entre ses doigts, l’empennage en plumes de hibou a la douceur d’une amante. Le premier homme à passer le couvert des arbres meu rt aussitôt, sa broigne transpercée d’une flèche d’argent. Ses camarades bondissent dans la c lairière, tranchant brandi. Artio émet un grognement animal sous l’offense. Déjà, un nouveau trait lunaire se plante dans la chair blasphématrice. Il en faudra deux autres avant que ses tirs ne soient suivis par ceux des prêtresses. Immobiles derrière leur arc, seuls leurs bras dansent entre carquois et corde, pourtant, comme si elles se préparaient à charger, elles poussent des cris de rage à glacer le sang. Leurs salves mortelles semblent en porter l’écho aux guerriers. Devant la furie hiératique des chasseresses, ils se hâtent de chercher refuge entre les chênes, mais en ressortent sitôt en beuglant à leur tour. Les flèches se fichent dans le bois des rondaches, les haches de jet ensemencent l’herbe du sanctuaire. La panique gagne les prêtresses. Elles lâchent leurs armes, fuient vers la grotte. « Non ! » hurle Artio, car elle les sent déjà prises au piège. Depuis son perchoir, impuissante, elle continue de harceler les barbares, mais ceux-ci s’engouffrent dans le temple troglodyte ; ils rient à gorge déployée en balançant leurs francisques. Les larmes coulent sur les joues de la déesse. Sa propre chair ressent les assauts subis par ses fidèles, se tord, la brûle, la glace. Des hommes escaladent les parois qui mènent à elle. Artio jette arc et carquois. Ses adversaires sourient, persuadés de sa reddition. Ce sont des ignorants. La déesse ferme les yeux, oublie leurs rires et les cris des femmes. Autour d’elle, la forêt chante sa rage impuissante. Guidée par la truie blanche, la harde de Cernunnos fuit vers la vallée voisine ; leurs sabots déchirent l’humus encore frais de la dernière pluie. Les divinités sylvestres se tordent de douleur dans les flammes, la sève capiteuse crépite dans la fumée. Incapables d’abandonner leurs arbres chéris, les esprits se consument avec eux.
Le pas des hommes couche l’herbe devant eux. À des lieues du sanctuaire, les protégés d’Artio relèvent la truffe. Le vent apporte des cendres dans leur fourrure mordorée. Il est temps de fuir. Mais pour la déesse, l’occasion est perdue : elle doit se battre. D’un geste rageur, elle arrache carquois et ceinture, se débarrasse de sa tunique. La force de l’ours gonfle son cœur, sa mâchoire s’allonge, se garnit de crocs. Ses cheveux chaulés couvrent son corps en une toison plus noire que la nuit, hérissée de blanc. À la place de ses doigts se dressent des griffes aiguës, prêtes à déchiqueter la gorge des importuns. L’air vicié par la puanteur des mâles emplit ses poumons. Si elle distingue leurs silhouettes, Artio regrette de ne pas discerner leurs visages décomposés par la peur. Sans plus hésiter, elle bondit sur le plus proche, soudain mi nuscule devant sa stature immense. Ses dents arrachent la chair, ses griffes lacèrent le cuir d’un autre guerrier jusqu’au torse. Peu importent les haches dans sa fourrure, elle ne craint pas l’acier des mortels. Bientôt, Artio n’entend plus aucun souffle autour d’elle, sinon celui de la montagne. Le brasier continue de rugir, mais déjà il appartient à la montagne, tel un feu estival, et chante en chœur avec les torrents et les oiseaux. D’un bond, Artio se dresse face à la grotte où les barbares se déversent dans leurs captives. Elle rassemble son énergie, laisse la magie hérisser son poil, parcourir ses veines, puis la lance à l’assaut du sanctuaire. Son pouvoir trou ve les prêtresses et investit leur peau, leurs muscles, tout leur être. Son rugissement éveille l’écho de la caverne ; il tremble dans les roches qui dégringolent sur les têtes ébahies des hommes. Elle sait que son corps démesuré occulte presque le soleil, elle en joue. Elle continue de hurler en avançant vers eux. Ils tombent un à un sous ses coups et sous ceux des prêtresses métamorphosées en ourses. Rendues folles par la transformation et la douleur, elles se jettent sur le tranchant des armes. Leurs morts et leurs viols se logent dans l’âme de la déesse, autant de piques pour l’enrager. Si le m étal des hommes ne la blessera jamais, chaque parcelle de croyance à l’agonie l’ampute d’une partie de son âme. Les épaules d’Artio heurtent les parois de pierre. Sans même voir les guerriers, elle se gorge de leur terreur abjecte. Ils puent la sueur, l’urine et le foutre. Leurs dents claquent, leurs haches glissent de leurs mains. Pas assez rapides. Ses pattes balaient l’espace devant elle, ses crocs achèvent le travail. Viennent le silence, la fragrance des cadavres frais et la perspective d’un banquet. Artio s’extrait de son sanctuaire souillé d’un pas lourd, suivie d’à peine deux ourses, la doyenne et une apprentie, qui n’a plus rien d’humain sous sa fourrure. Au devant d’elle, une rangée de barbares lui bloque le chemin de la vallée où se sont réfugiés les anciens dieux. Privée du support de la foi, la lassitude s’empare d’elle face au nombre. Elle doit se sauver, sauver ses deux dernières fidèles, car d’autres arrivent, leur pestilence flotte dans le vent. Toutefois, elle n’oublie pas ses devoirs d’hôtesse. Avec un sourire carnassier, elle marmonne une antique malédiction avant de s’enfuir dans les bois, suivie par l’aînée des prêtresses. La plus jeune, affolée par les cris et les supplications des barbares, panique, ne sait où fuir. Les flèches ennemies pleuvent. Depuis sa cachette, Artio peine à se réjouir de la défaite des hommes. Leurs corps tombent au sol en se tortillant, puis se relèvent avec des rugissements de souffrance. Leurs visages s’allongent en museaux, leurs peaux blêmes se couvrent d’un poil rude et brun. Sous leurs vêtements, leurs muscles enflent jusqu’à faire craquer les coutures. Lorsque la métamorphose s’achève, même leur fumet pâlot s’est changé en musc puissant. « Vous étiez venus tuer la déesse ursine et ses compagnons poilus ? Eh bien ! que vos camarades continuent donc la chasse à l’ours ! leur crie-t-elle dans le langage des bêtes. D’ailleurs, n’entends-je pas vos chiens ? Fuyez si vous le pouvez ! » Elle-même suit son conseil et déguerpit vers les ha uteurs de la montagne. Malgré ses fanfaronnades, une fois hors de vue, Artio continue son chemin la tête basse. Ce sort était habituellement réservé aux princes, aux rois, non aux criminels. De royal, elle vient d’abaisser l’ours à brutal. Son sanctuaire est désormais impur, ses l oyales prêtresses, décimées. Seule la doyenne arpente encore la terre à ses côtés, hagarde. La déesse ne se contentera pas de cette maigre vengeance. En attendant, elle soignera leurs blessures, chassera du gibier – si l’incendie n’a pas fait fuir tous les grands mammifères – et se reposera. La nuit résonne de l’écho des cors et des aboiement s des chiens. Blottie dans une faille peu profonde, Artio se délecte des beuglements des barbares changés en ours. Leurs amis ont sans doute trouvé le charnier du temple, identifié l’animal responsable du massacre et mènent maintenant une importante battue. Elle lèche le sang entre ses griffes et marmonne : « Déchiquetez-vous, entretuez-vous jusqu’à ce qu’il ne reste de vous que des chiens errants ! »
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