Métro Cadet
58 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Métro Cadet , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
58 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

L’auteur nous emmène dans un monde étrange à mi chemin entre rêve et réalité, où son personnage complexe est confronté aux caprices de l’espace et du temps, à ses souvenirs et à ses angoisses.

Informations

Publié par
Date de parution 27 mai 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312010724
Langue Français

Extrait

Métro Cadet

Jean-Marie Gandois
Métro Cadet
Roman
















LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
D U MÊME AUTEUR


Nouvelles

Le Monde sucré de Kersti , Yvelinédition, 2006
Adagio Affettuoso , Yvelinédition, 2009




























© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01072-4
Chapitre I
Jonas allait avoir trente-sept ans.
Nous étions le jeudi 19 septembre 1991 au matin. Et c’était le jour de son anniversaire. Curieusement, cet évènement répétitif le plongeait dans une profonde et incompréhensible angoisse. Pourtant voilà bien quelque chose qui, pour la plupart de ses contemporains, était plutôt une occasion de se réjouir, de faire la fête avec des amis ou sa famille, de boire un petit coup avec les collègues de bureau, de se faire gâter de cadeaux. Pour d’autres moins conventionnels, c’était au pire une banalité.
Au fur et à mesure que Jonas avançait en âge, la course du temps était devenue pour lui une véritable obsession. Cette espèce de force incontrôlable qui le poussait chaque jour un peu plus en avant, toujours dans la même direction, sans pouvoir revenir en arrière ne serait-ce qu’une seconde, ce pesant déterminisme, occupait ce matin-là toutes ses pensées. Ce n’était pas tellement la peur de vieillir, ni celle de la mort qui le préoccupait tant, mais plutôt une espèce de sentiment d’inachevé, de ne pas avoir fait tout ce qu’il avait voulu faire jusque là. C’était son anniversaire et, une fois de plus, il allait ressentir tout le poids de sa solitude. Il y avait bien deux ou trois copains, anciens camarades d’école, ses collègues de travail, sa sœur Blandine qui, bien qu’émigrée au Canada, mariée et mère de trois enfants, ne l’oubliait jamais. Mais ce n’était pas suffisant. En effet, il souffrait d’être toujours célibataire : pas de petite amie attitrée avec laquelle il pourrait construire quelque chose de durable ; pas même le plus petit espoir d’en envisager la possibilité. Rien. Voilà bien six mois qu’il se retrouvait seul dans son petit appartement. Sans aller jusqu’à se considérer comme une victime de quelque destin malicieux, il accusait parfois le coup et jalousait quelque peu les autres. Il se doutait bien que, de toute façon, c’était probablement en grande partie de sa faute.
Un à-coup brutal du métro fit sortir Jonas de ses pensées délétères et il leva les yeux. À cette heure matinale où les gens partent au travail, chacun était plongé dans un journal ou dans un livre ou encore somnolait au gré des cahots et des grincements. C’était une heure de pointe et une bonne partie des voyageurs était entassée debout. À part deux ou trois personnes discutant de leur travail, tous somnolaient plus ou moins ou semblaient rêvasser. Le métro s’arrêta. Une partie des voyageurs sortit tandis que d’autres entrèrent. À faible distance de Jonas, une certaine animation attira son regard. Il s’agissait de deux jeunes « machos » qui cherchaient à attirer l’attention d’une jolie jeune fille, avec des propos suggestifs, voire plutôt grossiers, accompagnés de borborygmes incompréhensibles et de rires gras : « Ouah ! Putain, t’as vu comme elle est bonne ? » Cette scène grotesque fit démarrer son intellect au quart de tour. Instantanément toute une foule incontrôlée d’images, de pensées, de phrases emphatiques et théâtrales se précipitait à sa conscience : « Connards ! Animaux ! Chiens ! … Traverser une femme comme un chien traverse la rue, juste pour aller de l’autre côté ». C’était son goût morbide pour l’emphase. Ou bien l’image fantasmagorique suggérée par les mots : « traverser une femme ». Sans doute quelque chose qu’il avait lu dans un livre et qui avait impressionné sa mémoire comme un tampon sur une feuille de papier. Jonas avait une espèce de dégoût naturel pour ce genre d’individus qui considéraient les femmes comme de simples objets de désir sexuel. « Une paire de couilles avec deux bras et deux jambes autour », disait-il souvent. Sans doute ce sentiment incontrôlé avait-il été amplifié par le fait que lui-même était bien incapable d’adresser la parole à une jeune fille inconnue, alors qu’eux…. Et puis, pensait-il, à deux, c’était tellement facile et tellement lâche. Aussi, ce matin-là, dans le métro, un sentiment de haine pour ces deux garçons hirsutes à la dégaine sale et vulgaire ne faisait qu’accroître son désarroi. Et il ne pouvait s’empêcher d’en rajouter, avec encore de nouvelles images dramatisées sous l’emprise de sa colère : « Des mecs qui se servent de leur sexe comme d’un soc de charrue. Qui labourent le ventre des femmes juste pour du plaisir. Juste pour montrer qu’ils sont les plus forts. » Pourtant, en toute honnêteté et en dehors de ce contexte bien particulier à la fois de métro et d’anniversaire refoulé, qui lui ôtait tout raisonnement, il savait bien que c’était beaucoup plus compliqué. D’ailleurs, ne s’était-il pas surpris lui-même en flagrant « délit » de « bandance » ou d’émotion purement sexuelle devant un beau cul bien balancé, une jupe trop courte laissant apercevoir un bout de culotte ou encore une poitrine provocante, sensation qu’il tentait aussitôt de réprimer par une sorte de honte incontrôlée. Il avait conscience que lui-même n’était en aucune façon une référence ni en vertu, ni, heureusement, en vice. Que l’amour, avec un petit ou un grand « A », était un domaine bien complexe sinon mystérieux, dramatisé d’un côté par des siècles de judéo-christianisme véhiculant nombre d’interdits, compliqué par la pulsion biologique qui pousse chaque homme à vouloir laisser sa graine dans le ventre du plus grand nombre de femmes, dramatisé à nouveau dans l’autre sens par la vague « psy » des années 90 qui, insidieusement, infiltrait ses lois mécanistes dans toutes les couches sociales, réduisant le concept même de l’amour à une simple réaction chimique et considérant les hommes comme une variante peu éloignée des rats… Les choses de l’amour étaient un domaine dans lequel il menait un combat entre une timidité maladive, des pulsions sexuelles aberrantes, des inhibitions qui le clouaient au sol comme une statue, des désirs cachés et parfois pervers, et aussi, pourtant, une véritable admiration pour la beauté des femmes, la douceur de leurs formes, leur façon d’être, de marcher, ainsi qu’une sorte de romantisme exacerbé.
Les femmes ! Il y avait certainement trop de choses qu’il ne comprenait pas au sujet des femmes. Autant pouvait-il être ému du geste simple d’une jeune femme se maquillant ou s’attachant les cheveux à l’aide d’un crayon, autant détestait-il l’attitude d’une autre minaudant devant les avances vulgaires du premier fanfaron venu. Trop d’incohérences. Trop d’illogismes. Il essayait de se faire une idée du monde, l’observait, en tirait des conclusions, mais parfois rien ne collait. Non, rien ne collait. C’était trop compliqué. Trop sournois. Comme cette scène de drague qu’il observait. Pourtant il avait le sentiment que la vérité devait être plus simple que cela.
Nouvel arrêt du métro. Nouveau départ. Chuintement des portes qui s’ouvrent, se ferment. Des gens qui descendent. D’autres qui montent en bousculant ceux qui descendent. Des gens qui se croisent sans même se regarder. Jonas rajusta sa cravate grise et remonta ses lunettes. Il vérifia aussi que sa petite serviette de cuir marron était bien droite à ses pieds. Il observait ces incessantes allées et venues de personnes qui s’ignorent, semblant se comporter comme des fourmis, absentes, tristes, parfois méchantes. Des gens qui avancent dans la vie par sauts de puce, comme des robots « tchip-tchip-tchip », sans se soucier des autres. Il pensait que s’il tombait raide mort au milieu de la foule, personne ne le remarquerait. À moins que ce ne fût peut-être qu’une apparence et que si l’on pouvait ouvrir une petite fenêtre dans chaque tête, on y découvrirait peut-être une véritable machinerie de pensées, d’images, de douleurs, de soucis, d’angoisses, de souvenirs heureux ou malheureux. En fait chacun semblait replié à l’intérieur, enroulé dans sa tête, bien protégé par un mur invisible, donnant à la masse cet aspect robotique, parfois dangereux. Comment des êtres si proches physiquement pouvaient-ils s’ignorer à ce point, sans même se saluer ni se sourire ? Etait-ce cela ce qu’on appelle une « société » ? Jonas se posait la question tout en sachant que lui-même ne relevait pas le nive

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents