Releek , livre ebook
149
pages
Français
Ebooks
2025
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2025
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Publié par
Date de parution
18 avril 2025
EAN13
9782384832323
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
18 avril 2025
EAN13
9782384832323
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Présentation
Dans une France où le Conseil Scientifique a pris le pouvoir, l’imaginaire est devenu un crime. Livres, jeux, films : tout ce qui ne sert pas au réarmement intellectuel et scientifique de la nation est traqué et détruit. L’État surveille, endoctrine, contrôle chaque aspect du quotidien, façonnant une société où la créativité est suspecte et où penser autrement signifie résister.
Milo Bazin, jeune journaliste idéaliste, se retrouve malgré lui plongé dans l’underground d’une résistance clandestine qui lutte pour préserver ce qu’il reste de culture et de liberté. Entre propagande d’État, répression brutale et réseaux de dissidents, il découvre que la véritable bataille ne se joue pas seulement dans l’ombre, mais au cœur même du système.
Un thriller d’anticipation haletant où la fiction devient un acte politique, et où rêver est un défi lancé au pouvoir.
RELEEK
Lilian Peschet
Marcel
L’instituteur fait face à ses élèves. Il a tiré le lourd téléviseur qui repose dans une cage à roulettes et l’a placé devant les pupitres. Les enfants observent l’écran de l’appareil avec une intense curiosité. Peu en ont chez eux. Leurs parents leur ont parfois vanté ces fenêtres diffusant des images, des sons, des programmes pour rêver, comme ils disent. Aujourd’hui, les outils de divertissement sont mobilisés pour transmettre le savoir, tout le savoir et rien que le savoir.
L’enseignant branche le magnétoscope. L’appareil se met à ronronner. Il sort de son étui la cassette sur laquelle une vignette collée précise : Message à caractère informatif à destination des plus jeunes. Veuillez diffuser cette vidéo auprès de vos élèves de cours préparatoire.
Il annonce :
— Les enfants, vous allez écouter ce cours d’Histoire directement prodigué par le Conseil. Je vous invite à tendre l’oreille.
Ils écarquillent de grands yeux lorsque le téléviseur s’illumine.
— Je vous interrogerai à la fin. Soyez bien vigilants !
Les mots soigneusement choisis, construits et répétés par le Conseil s’envolent vers ces cerveaux malléables, rythmés par des images mettant en scène les différentes catastrophes qui ont secoué ce début de siècle : « Le covid, l’inaction climatique, les décisions néolibérales et l’irrationalité des politiques, l’effondrement des services publics, dont le système de santé, la ruine des universités et des instituts de recherche, tout cela a amené le Conseil Scientifique à prendre le pouvoir. »
Une poignée d’hommes âgés apparaît à l’écran. En costume strict, tous plus sérieux les uns que les autres. Ils affichent une mine grave, fermée, comme s’ils accomplissaient un acte ignoble contre leur gré. La voix reprend : « Le Conseil a fondé une nouvelle république basée sur la santé, le savoir et la science. »
— Les trois S ! s’écrient les enfants sous le regard approbateur de leur enseignant.
La vidéo se poursuit : « L’objectif est de redresser le pays pour qu’il puisse faire face aux nombreux défis qui le malmènent : réindustrialisation, résilience, recherche, sobriété, partout, tout le temps. Il est indispensable que chaque moment de la vie d’un citoyen soit tourné vers notre reconstruction intellectuelle, vers notre réarmement scientifique. Dans ce contexte, les œuvres de l’imaginaire… »
L’enseignant met le film sur pause. Les élèves complètent :
— Sont néfastes !
Satisfait, il rappuie : « sont néfastes. Elles ne sont que des pertes de temps, elles ne représentent qu’un gaspillage d’énergie, qu’une improductivité et des distractions abêtissantes. »
À l’écran, des personnes dessinent ou jouent. Les enfants les huent.
Image d’une descente de police dans un atelier. Les enfants voient des résistants s’enfuir. Ils abandonnent derrière eux des livres, des jeux en cours de fabrication, des peintures, des illustrations.
L’instituteur arrête ici la vidéo. Il ajoute :
— Nous devons travailler pour sauver la France. C’est notre devoir.
Les élèves acquiescent. L’enseignant conclut :
— Si jamais vous rencontrez une de ces personnes, un de ces résistants, prévenez immédiatement la police.
Un enfant lève la main.
— Oui Marcel ?
— Ils avaient pas l’air méchants.
— Et pourtant, en s’accrochant à leur égoïsme, les résistants utilisent leur énergie non pour nous sauver, mais pour leur seul plaisir. C’est notre devoir de les remettre sur le droit chemin.
La sonnerie retentit. Les enfants se lèvent et se dirigent d’un pas calme vers la cour de repos. L’instituteur les suit du regard. Il ne leur sourit pas. Il ne les accompagne pas. Il les laisse aller prendre l’air tandis qu’il s’apprête à ranger la télévision. Alors qu’il se retrouve seul, tout en déplaçant le lourd engin, il se met à fredonner un vieux générique de dessin animé, sans voir Marcel qui l’espionne, l’œil mauvais.
PARTIE 1
1
Il est minuit et Milo Bazin avance d’un pas hésitant. Débarqué depuis janvier dernier de sa province, il connaît encore mal les arrondissements parisiens, les rues et leurs noms. Se repérer dans une si grande ville n’a rien d’évident pour lui. Il a préparé son itinéraire, mais il ne souhaitait pas emporter la carte, de peur de devoir la consulter. Il ne veut pas passer pour un touriste. Bien au contraire, son objectif est de se comporter comme n’importe quel habitant de cette capitale. Il espère avancer le front haut, le torse droit, dans cette posture qu’affectionnent tant les Parisiens, à la fois pleine de confiance et de mépris.
Il finit par arriver à l’adresse indiquée. Il fait face à un immeuble typique des années 1930. Persiennes, grandes fenêtres, petites briques et toiture en zinc, il est loin des maisons au style anglo-normand de sa bourgade originelle. Quelques lueurs irrégulières virevoltent et dansent derrière les rideaux. Milo n’ignore pas les problèmes d’approvisionnement électrique et les soucis d’entretien des centrales nucléaires, qui les font d’ailleurs fermer les unes après les autres. Il a lu les avertissements du Conseil, les injonctions à économiser, à ne pas gâcher, à faire autrement, reste que recourir à des bougies dans un immeuble l’inquiète.
Il observe les alentours, jaugeant les risques. Un peu effrayé. Car lui, le jeune Normand propulsé dans la capitale, le presque rien, le pigiste débutant, le futur père qui n’est encore qu’une version inachevée de lui-même, s’apprête à violer la loi. Pour évoluer vers ce lui qu’il ambitionne de devenir, il va tout risquer et prouver à la France entière qu’il est un « putain de bon journaliste ». Et là, c’en sera fini du provincial lourdaud, du blondinet rougeaud, certes grand, mais un peu bedonnant. On lui donnera alors du « Bienvenue monsieur Bazin », « Comme il vous plaira, monsieur », « La soirée vous plaît-elle, monsieur ? », « Une autre coupe de champagne ? », « Un camembert ? Au lait cru évidemment ! ».
Ce dernier échange lui provoque un sourire. Il faudra qu’il le raconte à Luce.
Plus bas dans la rue, le cri d’un chat le ramène à la réalité.
Il scrute l’obscurité quelques instants, prêt à voir surgir un uniforme. La nuit, les flics parcourent la ville. Ils traquent les résistants. Ils les arrêtent pour stopper leurs trafics, pour qu’enfin cessent de proliférer ces maudites œuvres de l’imaginaire. Le simple fait de se trouver ici, à cette heure, est suspect et Milo sait qu’il se met en danger.
La chaussée est mal éclairée, les ampoules irradient un faible halo de lumière pâle et les trottoirs disparaissent dans la pénombre. Milo sent sa cravate lui serrer la gorge, sa chemise lui comprimer la poitrine et sa veste lui entraver les épaules. Il n’est pas encore habitué à ces vêtements sérieux, qui composent l’uniforme du citadin et lui donnent un air plus vieux, plus réfléchi.
Il entend trop son cœur. Il tremble un peu aussi. Il ignore ce qu’il ressent le plus : l’excitation ou la peur ?
Méfiant, il vérifie une nouvelle fois la rue. Seul ce triste lampadaire perce la nuit avec une confiance que le futur journaliste aimerait afficher.
Il regarde l’heure sur sa montre. À quelques stations de métro, Luce et son ventre rond doivent dormir depuis longtemps. S’il est là, c’est pour elle, et le bébé. Il aimerait tellement que leur vie s’améliore…
Allez Milo, c’est pas le moment de se dégonfler.
Il arrive face à la porte et tout en retenant sa respiration, il frappe. Le cliquetis mécanique est immédiat. Le battant s’entrebâille et un demi-visage apparaît :
— Hum ?
L’homme est sans doute armé. Milo avale sa salive avant de lâcher :
— Ayatsuri no majutsu {1} .
— OK.
Le type ouvre suffisamment pour que Milo puisse entrer. Le provincial découvre alors un vigile d’une corpulence bien supérieure à la sienne. Le gardien des lieux porte des vêtements simples, passe-partout.
— Attends.
Sans lui laisser le temps de réagir, un autre gros bras s’approche et le palpe rapidement. Une fois rassuré, ce second bonhomme se contente de prononcer :
— C’est en bas.
Milo fait un signe de tête pour les remercier. Il trouve ces types impressionnants, mais peu professionnels : une fouille aussi sommaire n’a aucune chance d’être utile. Il aurait facilement pu introduire un couteau ou, pourquoi pas, un petit pistolet. Ou alors ils ont jaugé qu’il n’avait pas le profil d’un flic : il lui manque un peu de carrure et beaucoup d’assurance.
L’entrée de l’immeuble donne sur deux escaliers. Le premier grimpe en direction des étages, le second descend vers les caves. Sans plus réfléchir, Milo l’emprunte et finit par se retrouver face à une nouvelle porte. Avant de saisir la poignée, il prend une seconde durant laquelle toutes ses pensées, toutes ses questions et toutes ses hésitations lui reviennent. Une fois le seuil passé, il ne pourra plus faire machine arrière. Il sera coupable de s’être rendu dans une soirée de résistants. Pour cela, il encourra plusieurs années de prison et il devra sans doute se plier à un suivi judiciaire pour surveiller sa réinsertion. Tout ça pour devenir un journaliste reconnu… Il chasse ses doutes et inspire profondément po