Enfin, tout de même
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Description

Un chauffeur sénégalais qui affronte le mur de Berlin, un résistant qui s'acharne à sauver les femmes, un fils d'agriculteur qui ne sait pas du tout qui il est, un imposteur éperdument à la recherche de sa mère, un baron qui ne réussit pas à léguer son château. Etrangeté des hommes ! Une maman rasta éclatée dans un champ de coquelicots, une inspectrice des finances prosélyte de la transgression, une vieille dame mystérieusement liée à un narguilé. Etrangeté des femmes!
Dix récits entrecroisés où ces personnages sont saisis à des moments cruciaux de leur histoire quand il faut choisir ou subir un destin. Son propre destin.
Comment vont-ils traverser les tourments de l'Histoire ? Vont-ils pouvoir adoucir leurs démons intérieurs? Seront-ils capables d'aimer ? Chacun sa voie, chacun sa musique, chacun son ombre. Mais tous, ils arrivent à en rire et certains, même, vont s'envoler très haut dans les airs. Pourquoi pas ? Il faut bien vivre, tout de même. Enfin… tout de même !
Trous dans le mur de BerlinHamidou avait revêtu son costume gris du dimanche et enfilé sa chemise blanche bien repassée. Restait à choisir la cravate et les chaussures.- Dis-moi Fatimata, entre les deux chaussures noires, laquelle sera la mieux, la pointue ou la carrée ?Elle s’y connaissait en harmonie vestimentaire et il était, ce jour-là, très soucieux de son aspect physique car il allait se rendre à un entretien de recrutement. Le ministère des Affaires étrangères avait fait paraître une annonce pour embaucher le personnel de service de la nouvelle ambassade de France bientôt ouverte en République Démocratique Allemande.La France avait, en février 1973, noué des relations diplomatiques avec l’Allemagne de l’Est qui, alors, était placée dans l’orbite de la Russie soviétique. Les affaires politiques étaient bien compliquées mais Hamidou avait compris qu’il se passait quelque chose d’important du côté de l’Allemagne et que c’était peut-être l’occasion pour lui de quitter l’hôtel Crillon où lui était gardien et sa femme cuisinière ; il avait envie de voir du pays.C’était la première fois qu’il se rendait dans un ministère. Le nom de Quai d’Orsay l’impressionnait. Cœur battant, il s’y présenta à 16 heures. Il lui fallut montrer plusieurs fois sa carte d’identité, il la déploya avec application et présenta fièrement la lettre de convocation bleue, blanc, rouge de l’ambassadeur, Bernard de Certeuil. Il traversa plusieurs salons, immenses, dorés, à grands miroirs et tapis orientaux, sur parquets bien cirés. Il marchait comme dans un rêve, touchant à peine le sol, derrière un huissier, livrée noire et chaîne d’argent, qui lui offrait le chemin. On fit s’asseoir M. Hamidou Diouf sur une chaise tapissée de velours rouge et on lui dit d’attendre. A moitié posé sur le rebord, droit comme une colonne, il n’était pas rassuré du tout mais s’efforçait de discipliner son cœur emballé. Un autre huissier vint lui ouvrir une porte capitonnée qui donnait sur un grand bureau, impérial, lui aussi. Un Monsieur, grand et distingué, se leva et, souriant, lui tendit la main à travers le bureau. Hamidou, très impressionné, arrivait à peine à la toucher. Le Monsieur lui facilita la tâche.- Vous répondez à l’annonce du Figaro ? Je pars bientôt pour Berlin-Est et dois amener de France mon chauffeur et ma cuisinière. J’ai lu votre CV et voudrais vous poser quelques questions.Hamidou eut du mal à articuler un Oui qu’il sentait nécessaire. Le Monsieur le mit en confiance. « Vous venez du Sénégal ? Je connais bien ce pays. » C’était une gaffe : Hamidou était nativement français, mais il n’osa pas démentir et laissa le grand Manitou parler de sa carrière à lui. Il se levait de temps à autre pour regarder par la fenêtre et ne manifestait aucune curiosité pour les compétences et les projets d’Hamidou. Il sembla seulement attacher de l’importance au permis de conduire et demanda à Hamidou s’il avait une femme. Désorienté, celui-ci répondit : « Euh, oui ! ». En réalité, ce qu’il fallait comprendre, c’est que le Monsieur souhaitait que la femme de son chauffeur fût cuisinière.Le moment le plus fort de l’entretien se produisit lorsque M. de Certeuil se mit à parler de son père, mort pour la France en 1916, sur le Chemin des dames. Hamidou, tout doucement, évoqua alors son père à lui, tirailleur sénégalais qui avait perdu la vie le 16 avril 1917. Le Monsieur murmura une litanie qui plut à Hamidou  « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle / Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre… » L’ambassadeur, parlant tout seul, s’intéressa ensuite uniquement aux guerres : la 10e division d’infanterie coloniale, la barbarie, le camp de Buchenwald où il avait été déporté en 1944, la nécessité de mettre un terme à la rivalité franco-allemande, la satisfaction pour lui de contribuer à l’apaisement de la « guerre froide » en étant nommé à Berlin-Est.Hamidou avait du mal à suivre mais opinait du bonnet, tout en posant son regard sur les grands lustres en cristal qui n’étaient pas encore allumés. Il s’attendait à enfin quelques questions sur lui et sa femme, lorsque l’ambassadeur, de nouveau, lui tendit la main.- Merci beaucoup de votre visite. Je vous donnerai des nouvelles très prochainement.Hamidou retraversa les grands espaces scintillants, la tête dans les nuages et la confusion dans l’âme. Il n’avait pas compris grand-chose, sauf que sa femme cuisinière et le Chemin des dames pouvaient lui être favorables. Le nom de Berlin, cette sonorité chantante – surtout prononcé à l’allemande « Berline », appuyé sur le « in » – avait une place importante dans son imaginaire. Ce mot évoquait Marlène Dietrich, il avait adoré son récital à l’Olympia : « Qui peut dire où vont les fleurs… du temps qui passe ? / Quand saurons un jour, quand saurons-nous jamais ? ». C’était aussi l’héroïne de Cabaret, un film musical qui venait de sortir et qui les avait tous emballés, lui et ses copains. Et puis, Berlin le tenait en haleine par son statut de « rempart » du monde occidental et par le mystère des mots rebattus par l’actualité : superpuissances, communisme, marxisme, guerre froide, Mur de la honte… Sa culture politique était loin d’être au niveau de sa culture musicale mais tout l’intéressait dans le monde qui l’entourait.Aussi fut-il au comble de l’excitation lorsqu’un bon mois plus tard – il n’y croyait plus –, il fut de nouveau convoqué. Cette fois-ci, il fut reçu, accompagné de Fatimata, par M. de Certeuil et son épouse. Par opposition au quasi monologue de la première fois, ils furent interrogés en long et en large, sur leur expérience, leurs goûts et même leurs loisirs. Cette attitude intrusive était plutôt bon signe, mais Hamidou, paralysé par la peur de déplaire, s’effaçait devant Fatimata qui, très à l’aise – mais pas trop non plus – sauvait la face : le poulet en gelée, le repassage, le service de table, le sport semblaient accrocher l’ambassadrice. Elancée et très musclée, visage fin, cheveux courts, front dégagé avec les oreilles garnies de boucles argent grandes comme des bracelets, Fatimata était séduisante. Les deux candidats à l’embauche formaient un beau couple. Lui était plus âgé, beau regard sous des sourcils bien dessinés et sourire à grandes dents.Il fut beaucoup question de « RDA » et Hamidou comprit, à la fin de l’entretien que c’était exactement la même chose que Allemagne de l’Est et pratiquement la même chose que Berlin-Est, là où M. de Certeuil allait les amener. La question de l’espionnage fut abordée en dernier : la maison où ils résideraient tous les quatre, mise à disposition par le gouvernement est-allemand, serait truffée de micros et il était probable qu’on voudrait leur imposer au moins un domestique est-allemand qui serait certainement un espion de la Stasi. Ce terme de Stasi troubla Hamidou : il se rapprochait de nazis. Et les nazis, il les avait vus à l’œuvre, dans le film Cabaret !Au terme de cet entretien, les deux couples étaient presque mariés : Hamidou se voyait ouvrant la porte de la voiture noire à l’ambassadeur, Bernard de Certeuil l’imaginait coiffé d’une casquette de chauffeur, et Solange, l’ambassadrice, se représentait sans effort Fatimata, en tablier blanc à dentelles servant des petits fours lors des cocktails diplomatiques. Elle avait une carrure d’haltérophile mais du charme, oui un certain charme…Restait un obstacle à franchir : cet attelage n’était pas sans évoquer de lointaines pratiques coloniales et laissait perplexe le cabinet du ministre des Affaires étrangères, très attaché à donner une bonne image de la France. La question de ce recrutement très particulier fut l’objet d’une réunion au sommet d’où il ressortit qu’il était indispensable que l’ambassadeur arrive avec son propre personnel – protection contre les regards indiscrets de la Stasi – mais qu’en trois mois d’annonces dans la presse, seuls des couples de couleur s’étaient présentés. Toutes les précautions avaient été prises relativement aux opinions politiques des candidats : ils n’avaient pas milité au Parti communiste ni à l’extrême gauche et la page 1968 les concernant était blanche. Ils étaient musulmans mais « probablement pas pratiquants », selon la note fournie par les Renseignements généraux. Surtout, ils étaient français depuis deux générations et les faits de guerre du tirailleur de 1917 pesèrent dans la balance. C’est ainsi que les « Doudou » (on les baptisa ainsi) furent recrutés par le Quai d’Orsay.****La première mission d’Hamidou fut de conduire le couple ambassadeur à Berlin-Est, ce qui impliquait de traverser la France et l’Allemagne de l’Ouest jusqu’à la ville de Helmstedt. Il fallait ensuite faire 160 km en Allemagne de l’Est avant d’arriver à Berlin, Berlin-Ouest d’abord, puis Berlin-Est : un itinéraire compliqué, presque 1000 km en tout. Cette responsabilité qu’on pouvait qualifier de géopolitique – à exécuter en une seule longue journée, le lundi 13 septembre 1973 – impressionnait beaucoup Hamidou qui craignait de ne pas être à la hauteur et ne captait pas encore bien le vocabulaire : Allemagne de l’Ouest, de l’Est, rideau de fer, couloir de la RDA, guerre froide. Guerre froide surtout. Comment une guerre pouvait-elle être froide ? Il cacha sa perplexité derrière un large sourire et, casquette bleue et gants blancs, se mit au volant de la DS noire officielle, – notre berline, comme disait M. de Certeuil avec humour –, les hommes devant, les femmes derrière : l’ambassadrice, délicate et discrète, en tailleur lilas et Haminata, volubile et volumineuse en son boubou éclatant de couleurs. Le parfum du Chanel n°5 enveloppait la petite équipée de son charme désuet.Hamidou, ce jour-là, parcourut mille fois plus de kilomètres dans sa tête que dans la voiture. Son imaginaire fut complètement chamboulé par ce que racontaient ses nouveaux patrons et par le contact avec la réalité géographique. Le rideau de fer dont il avait tant entendu parler, il se l’était représenté comme une planche en acier, propre et droite, érigée par les Russes très haut vers le ciel. Or, à Helmstedt, au « checkpoint A », il vit des portails de contrôle et des postes de douane avec des hommes en uniforme, exactement comme il en existait entre la France et l’Espagne. Cette zone militarisée, la voiture la franchit sans encombre, très facilement, grâce aux papiers diplomatiques. C’était donc cela le rideau de fer ! Le fameux couloir qui rejoignait Berlin à travers la RDA, il se l’était figuré comme un long tunnel noir ou, à la rigueur, une immense tranchée. En fait, c’était tout simplement une autoroute, une « Autobahn » ; les Allemands en avaient construit beaucoup sous Hitler.Hamidou avait la tête pleine de questions, avec tous les nouveaux mots qui sortaient, en flots rapides, de la bouche de son nouveau patron (les Rouges, les zones américaine, anglaise, française, russe, les secteurs, les Vopos, la dictature communiste…), mais, tétanisé par la timidité – ou le respect –, il n’osait pas adresser un mot à l’ambassadeur. On lui avait dit de l’appeler « Excellence », mais ce terme, insolite, excessif, n’arrivait pas à sortir de sa bouche. De même, il n’osait pas enlever ses gants blancs que, pourtant, à plusieurs reprises, M. de Certeuil lui avait suggéré de retirer.Sous le ciel gris et lourd d’un début d’automne, la voiture parcourut les vastes campagnes collectivisées de la Saxe, traversa de grandes forêts mal entretenues et côtoya des lacs bien sombres. A part quelques fermes isolées, ils ne virent pas un chat : vraiment ce pays dont on parlait tant n’avait rien de bien effrayant. Cependant une chose les mobilisa tous les quatre : à quelques centaines de mètres derrière eux, plusieurs voitures se succédaient sans les dépasser ; ils étaient suivis ! L’ambassadeur se retournait sans cesse et sortait sa blague baudelairienne, genre radio Londres : « C’est la dame créole aux charmes ignorés ». Ses angoisses trouvaient toujours un exutoire poétique. Derrière, les femmes, incrédules et excitées, inventaient des scénarios policiers ; elles s’entendaient comme larrons en foire, Fatimata, avec sa grosse voix, amusait beaucoup Solange. Ce parcours à travers un pays dont on disait tant de mal fut en somme une vraie rigolade ! Il se termina à l’entrée de Berlin-Ouest, au Checkpoint Bravo (le checkpoint B) par une kyrielle de poèmes récités par M. de Certeuil célébrant le voyage et la conquête : « Et les vents alizés inclinaient leur antenne / Aux bords mystérieux du monde occidental. » Oui, c’était bien cela : « les bords mystérieux du monde occidental… » A Berlin-Ouest, ils retrouvèrent brièvement la splendeur de l’Occident : brillance publicitaire, klaxons, encombrements, foules attablées aux cafés, magasins de luxe, immeubles modernes. Le jour faiblissait, ils se dirigèrent vers Checkpoint Charlie (le checkpoint C). « Heureusement, dit Solange de Certeuil, toujours impertinente, l’alphabet communiste s’arrête au C ».Hamidou sentit que les choses sérieuses commençaient. On arrivait dans le dur. Le MUR, hérissé de piques et de barbelés, immense couteau planté au milieu de la ville, la rue barrée de chicanes et coupée de barrières, les militaires et policiers retenant leur chien-loup renvoyèrent Hamidou à des images de camps de concentration tels qu’il les avait vus à la télévision. Le plus impressionnant fut le grand panneau blanc « Vous sortez du secteur américain », d’autant que Mme de Certeuil fit un commentaire : « Notre dernière halte en pays libre ». A ce mot, libre, une angoisse lui prit la gorge. Et s’ils entraient dans une grande prison ?Dès qu’ils eurent – toujours grâce au sortilège des papiers diplomatiques – franchi la dernière barrière vers Berlin Est, Hamidou fut plongé dans un autre monde, un univers d’après-guerre : terrains vagues avec encore, par endroits, des ruines ; immeubles lépreux ; rues presque désertes – sauf là où des gens, en rang d’oignon, formaient des queues interminables devant des magasins invisibles. Hamidou, pourtant écrasé de fatigue à l’issue de ce parcours à travers la guerre froide, fut immédiatement frappé par ce que l’ambassadeur appelait « la Propagande ». Elle était omniprésente : de grandes pancartes rouges, des drapeaux partout, des statues immenses – Staline avec sa moustache, Lénine avec son crâne rond comme un boulet de canon – et partout des sculptures de héros du travail socialiste guerroyant avec l’air ambiant, bras en avant et genoux pliés. Ils passèrent par la Stalinallee, l’artère emblématique du régime, illustration grandiose de la puissance communiste. C’était une vaste chaussée bordée de façades blanches à hautes fenêtres, complètement déserte. M. de Certeuil – il avait décidément plus d’un tour dans son sac – fit passer la voiture par derrière, là où les ruelles délabrées et malodorantes révélaient la vérité miteuse de cette immense mise en scène.Vers dix heures du soir, le quadrige Certeuil/Doudou s’arrêta à Berlin Est, au 10 Jägerstrasse (rue des Chasseurs), devant la maison de maître attribuée à l’ambassadeur et à sa suite. Elle était gardée par un policier de la RDA posté dans une guérite bleue à l’entrée de l’habitation.

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Informations

Publié par
Date de parution 10 décembre 2016
Nombre de lectures 12
EAN13 9782363159144
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Enfin, tout de même !


Bernadette Roussille

Bernadette Roussille 2018
ISBN:9782363159144
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières

PRINCIPAUX PERSONNAGESET GÉNÉALOGIE
Trous dans le mur de Berlin
L’œil de Fabrice
La vieille dame et le narguilé
Pauvre Blaise
Pierre-qui-sauve-les femmes
Femme guidant le peuple
Un cœur en éclats
Le rire des corbeaux
Le château bleu
Qui suis-je ?
Biographie
PRINCIPAUX PERSONNAGES ET GÉNÉALOGIE
 

 
Trous dans le Mur de Berlin – L’œil de Fabrice La vieille dame et le narguilé
 
Bernard de Certeuil, ambassadeur, neveu de Constance Montignac (1910–1991)
Solange de Certeuil, sa femme (1920–2000)
Fabrice de Péreuil, filleul de Solange de Certeuil
Isabelle de Péreuil, « sœur » de Fabrice
 
 
Pauvre Blaise – Pierre-qui-sauve-les femmes
 
Constance Montignac, née de Certeuil (1890–1985)
Pierre Montignac, son fils, inspecteur général (1917–1989)
Daria Montignac, née Oldenska, sa femme (1906–1949)
Blaise Montignac, fils de Pierre, né en 1949
 
 
Cœur en éclats – Le rire des corbeaux – Le château bleu
 
Gaston de Certeuil, le général/baron, frère cadet de Bernard (1927–2013)
Béatrice de Certeuil, sa femme (1930–2013)
Leurs enfants : Alice, Jean, Agathe (1957–1992 ), Gérald.
Leurs petits-enfants, enfants d’Agathe : Emile, Eva, Elie (1988–2010) , Elise
Joseph/Giuseppe Palladi
Victoire Palladi, femme de Joseph
Les frères de Joseph : Gaetano, Gennaro et Philo Palladi
Guy Palladi, fils de Victoire, né en 1994
 
 
Femme guidant le peuple – Qui suis-je ?
Catherine et Gustave Rhuau, fille et fils du fermier de Rouchgast, ferme de Constance Montignac
Trous dans le mur de Berlin
 

 
Hamidou avait revêtu son costume gris du dimanche et enfilé sa chemise blanche bien repassée. Restait à choisir la cravate et les chaussures.
— Dis-moi Fatimata, entre les deux chaussures noires, laquelle sera la mieux, la pointue ou la carrée ?
Elle s’y connaissait en harmonie vestimentaire et il était, ce jour-là, très soucieux de son aspect physique car il allait se rendre à un entretien de recrutement. Le ministère des Affaires étrangères avait fait paraître une annonce pour embaucher le personnel de service de la nouvelle ambassade de France bientôt ouverte en République Démocratique Allemande.
La France avait, en février 1973, noué des relations diplomatiques avec l’Allemagne de l’Est qui, alors, était placée dans l’orbite de la Russie soviétique. Les affaires politiques étaient bien compliquées mais Hamidou avait compris qu’il se passait quelque chose d’important du côté de l’Allemagne et que c’était peut-être l’occasion pour lui de quitter l’hôtel Crillon où lui était gardien et sa femme cuisinière ; il avait envie de voir du pays.
C’était la première fois qu’il se rendait dans un ministère. Le nom de Quai d’Orsay l’impressionnait. Cœur battant, il s’y présenta à 16 heures. Il lui fallut montrer plusieurs fois sa carte d’identité, il la déploya avec application et présenta fièrement la lettre de convocation bleue, blanc, rouge de l’ambassadeur, Bernard de Certeuil. Il traversa plusieurs salons, immenses, dorés, à grands miroirs et tapis orientaux, sur parquets bien cirés. Il marchait comme dans un rêve, touchant à peine le sol, derrière un huissier, livrée noire et chaîne d’argent, qui lui offrait le chemin. On fit s’asseoir M. Hamidou Diouf sur une chaise tapissée de velours rouge et on lui dit d’attendre. À moitié posé sur le rebord, droit comme une colonne, il n’était pas rassuré du tout mais s’efforçait de discipliner son cœur emballé. Un autre huissier vint lui ouvrir une porte capitonnée qui donnait sur un grand bureau, impérial, lui aussi. Un Monsieur, grand et distingué, se leva et, souriant, lui tendit la main à travers le bureau. Hamidou, très impressionné, arrivait à peine à la toucher. Le Monsieur lui facilita la tâche.
– Vous répondez à l’annonce du Figaro ? Je pars bientôt pour Berlin-Est et dois amener de France mon chauffeur et ma cuisinière. J’ai lu votre CV et voudrais vous poser quelques questions.
Hamidou eut du mal à articuler un Oui qu’il sentait nécessaire. Le Monsieur le mit en confiance. « Vous venez du Sénégal ? Je connais bien ce pays .  » C’était une gaffe : Hamidou était nativement français, mais il n’osa pas démentir et laissa le grand Manitou parler de sa carrière à lui. Il se levait de temps à autre pour regarder par la fenêtre et ne manifestait aucune curiosité pour les compétences et les projets d’Hamidou. Il sembla seulement attacher de l’importance au permis de conduire et demanda à Hamidou s’il avait une femme. Désorienté, celui-ci répondit : « Euh, oui ! ». En réalité, ce qu’il fallait comprendre, c’est que le Monsieur souhaitait que la femme de son chauffeur fût cuisinière.
Le moment le plus fort de l’entretien se produisit lorsque M. de Certeuil se mit à parler de son père, mort pour la France en 1916, sur le Chemin des dames. Hamidou, tout doucement, évoqua alors son père à lui, tirailleur sénégalais qui avait perdu la vie le 16 avril 1917. Le Monsieur murmura une litanie qui plut à Hamidou «  Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle/Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre… » L’ambassadeur, parlant tout seul, s’intéressa ensuite uniquement aux guerres : la 10 e division d’infanterie coloniale, la barbarie, le camp de Buchenwald où il avait été déporté en 1944, la nécessité de mettre un terme à la rivalité franco-allemande, la satisfaction pour lui de contribuer à l’apaisement de la « guerre froide » en étant nommé à Berlin-Est.
Hamidou avait du mal à suivre mais opinait du bonnet, tout en posant son regard sur les grands lustres en cristal qui n’étaient pas encore allumés. Il s’attendait à enfin quelques questions sur lui et sa femme, lorsque l’ambassadeur, de nouveau, lui tendit la main.
– Merci beaucoup de votre visite. Je vous donnerai des nouvelles très prochainement.
Hamidou retraversa les grands espaces scintillants, la tête dans les nuages et la confusion dans l’âme. Il n’avait pas compris grand-chose, sauf que sa femme cuisinière et le Chemin des dames pouvaient lui être favorables.
 
Le nom de Berlin, cette sonorité chantante – surtout prononcé à l’allemande «  Berline  », appuyé sur le «  in  » – avait une place importante dans son imaginaire. Ce mot évoquait Marlène Dietrich, il avait adoré son récital à l’Olympia : «  Qui peut dire où vont les fleurs… du temps qui passe ? /Quand saurons un jour, quand saurons-nous jamais ? » . C’était aussi l’héroïne de Cabaret , un film musical qui venait de sortir et qui les avait tous emballés, lui et ses copains. Et puis, Berlin le tenait en haleine par son statut de « rempart » du monde occidental et par le mystère des mots rebattus par l’actualité : superpuissances, communisme, marxisme, guerre froide, Mur de la honte… Sa culture politique était loin d’être au niveau de sa culture musicale mais tout l’intéressait dans le monde qui l’entourait.
Aussi fut-il au comble de l’excitation lorsqu’un bon mois plus tard   il n’y croyait plus –, il fut de nouveau convoqué. Cette fois-ci, il fut reçu, accompagné de Fatimata, par M. de Certeuil et son épouse. Par opposition au quasi monologue de la première fois, ils furent interrogés en long et en large, sur leur expérience, leurs goûts et même leurs loisirs. Cette attitude intrusive était plutôt bon signe, mais Hamidou, paralysé par la peur de déplaire, s’effaçait devant Fatimata qui, très à l’aise – mais pas trop non plus – sauvait la face : le poulet en gelée, le repassage, le service de table, le sport se

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