Irène Joliot-Curie : Biographie

Louis-Pascal Jacquemond

Description

Irène Joliot-Curie a traversé la première moitié du XXe siècle comme une personnalité triplement symbolique : elle a été à la fois une scientifique nobélisée comme sa mère Marie Curie, l’une des trois femmes ministres du gouvernement Blum de juin 1936 et une militante des droits des femmes qui se revendiquait féministe. Sa vie s’est frottée aux grands événements internationaux, comme les deux guerres mondiales, et aux moments de tension nationale et de crispation internationale qu’ont été la crise de 1929 et la guerre froide après 1945. Elle a aussi contribué à la mutation des sciences, à l’avè-nement de la physique nucléaire et à la création du campus universitaire d’Orsay. Elle a enfin été le témoin de trois moments clés de l’histoire du féminisme : le temps des suffragettes à la Belle Époque, le front sanitaire durant la Grande Guerre et la difficile émancipation qui a suivi, le militantisme antifasciste et procommuniste au moment de la Seconde Guerre mondiale et aux heures tragiques de la guerre froide. À travers le cheminement de cette chercheuse de talent éprise d’égalité et d’équité, c’est aussi l’histoire d’un couple, d’une famille et de tout un milieu intellectuel et politique qui est ici proposée. Le destin hors du commun d’une femme d’exception enfin révélé dans ses facettes multiples. Louis-Pascal Jacquemond est inpecteur d’académie honoraire. Agrégé d’histoire, diplômé en droit et sciences politiques, il enseigne à Sciences Po Paris. Il a participé à l’ouvrage collectif La Place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte. 

Sujets

• Autobiography
• Biography

Informations

• Publié par: Odile Jacob
• Date de parution: 23 janvier 2014
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9782738172457
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

LOUIS-PASCAL JACQUEMOND
Irène Joliot-Curie
© O DILE J ACOB , JANVIER 2014 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-7245-7
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet, je ne m’informe plus du sexe, j’admire. »
Jean de La Bruyère, Les Caractères , chapitre 49, VII : Des femmes.
À Annie mon épouse, Auriane ma fille, David mon fils et Nelly sa compagne, Soline et Malo mes petits-enfants, ma mère, en pensée.
Table
Page de titre
Copyright
Dédicace
Quelles sources ?
Première partie - LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE (1897-1932)
Chapitre 1 - Une fille de savants
La naissance d’Irène : la fille d’un homme et d’une femme célèbres
La naissance d’Ève et la mort du père : des souvenirs et une mémoire
De l’enfance à l’adolescence : Irène entre distance et affection
Tout l’art du grand-père : Eugène Curie éducateur
Chapitre 2 - Une éducation nouvelle
Une éducation de l’esprit : la « coopérative » d’enseignement
Une éducation du corps : les exercices physiques
Entre études et lectures : les passions d’Irène
Chapitre 3 - Dans le sillage de Marie
Affronter les blessures de la vie : Irène devient partenaire
Irène et les « petites Curies » : la mobilisation de guerre
Vivre avec Marie, mère et patronne : Irène s’affranchit
Chapitre 4 - Le couple inattendu Irène et Frédéric
Une discrète éducation sentimentale
La rencontre avec Frédéric : un couple imprévu
La vie à deux : Irène et Fred
Des enfants et une vie familiale
Deuxième partie - LES HEURES HÉROÏQUES (1932-1948)
Chapitre 5 - La science avant tout
Poursuivre les travaux sur les radioéléments : Irène chercheuse
Concevoir la radioactivité artificielle : un duo au travail
Être prix Nobel et diffuser la science et les idées nouvelles
Chapitre 6 - Une féministe militante
Être liée à un réseau d’initiatrices et de comparses en féminisme
Lutter pour l’égalité et contre le sexisme
Défendre les droits des femmes : être suffragiste sans être suffragette
Chapitre 7 - L’engagement politique
Choisir de s’engager pour ses idées
La sous-secrétaire d’État à la Recherche : entre faux-semblants et impuissance
Poursuivre le combat antifasciste
Chapitre 8 - Au service de la recherche
La piste de la fission nucléaire
La traversée de la Seconde Guerre mondiale
Être commissaire à l’énergie atomique
Entre convictions, réalisations et désillusions
Troisième partie - LE TEMPS DES ESPÉRANCES (1948-1956)
Chapitre 9 - Une pacifiste passionnée
Le pacifisme comme seconde nature
La guerre froide et le divorce américain
L’activisme et les illusions
Chapitre 10 - L’amour de la Pologne
Connaître la famille polonaise et la Pologne
Entretenir le souvenir de Marie Sklodowska
Croire en la nouvelle Pologne communiste
Chapitre 11 - Les risques du métier
Le triomphe du déni et le pari du « grand air »
Entre maladie et santé, entre volonté et souffrances
Telle mère, telle fille, tel gendre : le métier jusqu’à la mort
Chapitre 12 - Le destin familial et national
Entre préparation de l’avenir et ultimes projets
Le destin familial : la mère d’Hélène et de Pierre
La naissance d’une icône nationale
Quel portrait pour Irène ?
Principales fonctions et titres d’Irène Joliot-Curie
La famille Joliot-Curie-Langevin
La famille Sklodowski-Boguski-Curie
Voyages, repos et vacances d’Irène Joliot-Curie
Notes
Bibliographie
Index
Avec mes remerciements
AVANT-PROPOS
Quelles sources ?

Irène Joliot-Curie traverse la première moitié du XX e  siècle comme une personnalité triplement symbolique : elle est à la fois une scientifique nobélisée comme le fut sa mère Marie Curie, une des trois femmes ministres (sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique) du gouvernement Blum de juin 1936, une militante des droits des femmes qui se revendique féministe. Sa vie se frotte aux grands événements internationaux comme les deux guerres mondiales. Sa vie intègre les moments de tension nationale et de crispation internationale, grande crise économique de 1929 et guerre froide d’après 1945. Sa vie parcourt la mutation des sciences et l’avènement de la physique nucléaire.
Elle est également le témoin, sinon l’actrice, de trois moments de l’histoire du féminisme au cours de la première moitié du XX e  siècle. Elle est adolescente au temps des suffragettes de la Belle Époque, puis jeune fille mobilisée sur le front sanitaire de la Première Guerre mondiale. Devenue épouse et mère émancipée de l’entre-deux-guerres, elle s’affirme comme scientifique engagée à l’heure du Front populaire. Puis elle devient, malgré un état de santé de plus en plus fragile et préoccupant, une militante pacifiste et procommuniste malmenée par la guerre froide à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
Ce qui est frappant dans l’histoire d’Irène Joliot-Curie, c’est qu’elle combine le parcours brillant d’une scientifique nobélisée avec un engagement politique revendiqué et un féminisme assumé dans le quotidien de son existence. Elle appartient à cette génération des années 1930 qui veut améliorer la connaissance de l’atome et de la radioactivité et qui milite pour une nouvelle société humaniste et universelle. Cependant, le destin d’Irène Curie s’est déroulé sous l’aura tutélaire d’une mère, Marie Curie, mythifiée de son vivant. Malgré toute l’estime qu’Irène suscite, la postérité a davantage donné de place à sa mère et à son mari Frédéric Joliot, image stéréotypée du savant communiste.
Aussi convient-il de retracer d’Irène Curie l’itinéraire d’une chercheuse talentueuse et d’une enseignante rigoureuse, d’une humaniste de conviction et d’une femme qui fait de l’égalité et de l’équité son horizon d’existence. C’est donc un véritable portrait de femme, même s’il s’agit d’une femme d’exception, qu’il convient d’établir. Toutefois, chemin faisant, le récit de cette vie ne se limite pas à une histoire strictement individuelle. En effet, au travers d’Irène Joliot-Curie, c’est toute une partie de l’élite française qui revit. Celle des scientifiques qui font avancer la connaissance de la physique et de la chimie nucléaires ; celle des intellectuels de gauche, attentifs à l’évolution de cette société que meurtrissent la dépression économique, la montée des fascismes et la guerre totale.
À travers son cas, nous observons aussi un mode de vie encore réservé à une élite avant qu’il ne se généralise et se démocratise quelques générations plus tard. Le « phalanstère intellectuel 1  », qu’il soit sur la Montagne Sainte-Geneviève à Paris ou à l’Arcouest en Bretagne, rassemble un cercle limité d’universitaires et de savants, souvent d’origine modeste, que leurs affinités politiques et intellectuelles amènent à inventer de nouvelles sociabilités et des temps de loisirs familiaux. Les photographies, les films d’archives, les reportages de nouveaux hebdomadaires comme Vu, Femmes de France ou Match , rendent publique la vie estivale de ces sommités françaises et commencent à s’intéresser à leurs loisirs d’hiver en montagne. Il s’agit de villégiatures, de congés, de vacances, en famille et avec les amis, où cohabitent les générations : les pionniers, puis leurs enfants et petits-enfants ensuite. L’endogamie matrimoniale accentue encore un peu plus un entre soi sociétal. L’histoire d’Irène Joliot-Curie voyage à la confluence de cette nouvelle culture, même si elle n’en épouse pas tous les traits.
Pour raconter le parcours d’Irène Joliot-Curie, les historiens d’aujourd’hui sont redevables, envers sa famille, de la collection inespérée de sources et d’archives que celle-ci a mise à leur disposition et à celle d’un large public.
En 1967, les héritiers de Marie Curie – sa fille Ève Curie-Labouisse et les enfants d’Irène Joliot-Curie, Hélène Langevin-Joliot et Pierre Joliot – ont fait don à la Bibliothèque nationale de France d’un ensemble de documents scientifiques, de registres et de correspondances. En 1974, l’Institut du radium a complété ce don avec les archives de Marie Curie, demeurées dans son laboratoire. Au total, ces dons de 1967 et 1974 représentent soixante et un volumes reliés, soixante-dix-huit carnets et cahiers, dont les fameux carnets dits « de la découverte » du radium, huit albums, quatre-vingt-dix-neuf diplômes ou distinctions honorifiques et… un sablier, représentation symbolique du gramme de radium offert à Marie Curie par les femmes américaines en 1921. Cet ensemble a été complété en 1986 par le don des cours de Marie Curie dispensés à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres ainsi que par le don des papiers d’un de ses proches collaborateurs, Albert Laborde 2 .
En 1989, puis en 1997, Hélène Langevin-Joliot et Pierre Joliot déposent au Forum des images de la Ville de Paris vingt-huit bobines 9,5 mm et 8 mm noir et blanc et couleur, contenant les films tournés par leurs parents, Irène et Frédéric, entre 1928 et 1958. Cela constitue le Fonds Joliot-Langevin de la cinémathèque de la Ville de Paris, aux Halles. Il s’agit de scènes filmées, la plupart par Frédéric Joliot, un certain nombre par Irène Curie, d’autres par des amis, puis, au fil du temps, par leurs héritiers. Elles rendent compte des temps de loisirs familiaux à l’Arcouest en Bretagne, chaque été, entre baignade, pêche, régate