L affaire Pranzini
252 pages
Français

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Description

Pierre Bouchardon (1870-1950)



"Le jeudi 17 mars 1887, jour de la mi-carême, la femme Toulouse, née Julie Garrier, cuisinière depuis douze ans chez Mme Régine de Montille, descendit, à sept heures du matin, de la chambre qu’elle occupait avec son mari, au cinquième étage, 17 rue Montaigne. Elle s’arrêta au troisième, comme elle en avait l’habitude, afin de prendre son service à l’appartement de sa maîtresse.


Régine de Montille était un nom de guerre. La personne qui s’était anoblie de la sorte se nommait tout simplement Claudine-Marie Regnault. Entrée, depuis plus d’un mois, dans sa quarantième année, elle avait su défendre contre les ravages du temps ses charmes physiques et, l’ancienneté comme au choix, elle occupait un certain rang dans le monde des courtisanes. Oh ! sans qu’elle s’affichât ou se livrât à des démonstrations tapageuses. Elle savait même garder une réserve de bon goût, sortait peu et ne recevait guère, tout au moins jusqu’à une époque récente, que les visites de ses amis attitrés. Elle était au surplus d’habitudes bourgeoises et tenait le livre de caisse de sa comptabilité d’amour avec beaucoup d’ordre.


Son personnel domestique comprenait, outre la cuisinière, une femme de chambre, Anne, dite Annette, Gremeret, qui la servait avec un dévouement aveugle depuis quatorze ans, et pour laquelle elle n’avait pas de secrets."



Le 17 mars1887, rue Montaigne à Paris, Julie Toulouse, cuisinière, découvre les cadavres massacrés de sa patronne Mme Regnault, une courtisane plus connue sous le nom de Régine de Montille, d'Anne Gremeret la femme de chambre, et de Marie-Louise Gremeret, la fille de cette dernière âgée de 9 ans...

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374639598
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’affaire Pranzini


Pierre Bouchardon


Septembre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-959-8
Couverture : Pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 957
À H ENRI D UVERNOIS
P. B.

« Ces hommes, si cruels par la nécessité de supprimer des témoignages, car ils n’assassinent que pour se défaire de preuves ; ces colosses d’adresse, d’habileté, chez qui l’action de la main, la rapidité du coup d’œil, les sens sont exercés comme chez les sauvages, ne deviennent des héros de malfaisance que sur le théâtre de leurs exploits. Non seulement, le crime commis, leurs embarras commencent, car ils sont aussi hébétés par la nécessité de cacher les produits de leur vol qu’ils étaient oppressés par la misère ; mais encore ils sont affaiblis comme la femme qui vient d’accoucher. Energiques à effrayer dans leurs conceptions, ils sont comme des enfants après la réussite. C’est, en un mot, le naturel des bêtes sauvages, faciles à tuer quand elles sont repues. »
(B ALZAC . – La dernière incarnation de Vautrin.)

I
Un sommeil qui se prolonge

Le jeudi 17 mars 1887, jour de la mi-carême, la femme Toulouse, née Julie Garrier, cuisinière depuis douze ans chez Mme Régine de Montille, descendit, à sept heures du matin, de la chambre qu’elle occupait avec son mari, au cinquième étage, 17 rue Montaigne. Elle s’arrêta au troisième, comme elle en avait l’habitude, afin de prendre son service à l’appartement de sa maîtresse.
Régine de Montille était un nom de guerre. La personne qui s’était anoblie de la sorte se nommait tout simplement Claudine-Marie Regnault. Entrée, depuis plus d’un mois, dans sa quarantième année, elle avait su défendre contre les ravages du temps ses charmes physiques et, l’ancienneté comme au choix, elle occupait un certain rang dans le monde des courtisanes. Oh ! sans qu’elle s’affichât ou se livrât à des démonstrations tapageuses. Elle savait même garder une réserve de bon goût, sortait peu et ne recevait guère, tout au moins jusqu’à une époque récente, que les visites de ses amis attitrés. Elle était au surplus d’habitudes bourgeoises et tenait le livre de caisse de sa comptabilité d’amour avec beaucoup d’ordre.
Son personnel domestique comprenait, outre la cuisinière, une femme de chambre, Anne, dite Annette, Gremeret, qui la servait avec un dévouement aveugle depuis quatorze ans, et pour laquelle elle n’avait pas de secrets. Un peu plus jeune que Marie Regnault, Annette avait fait, dans sa petite enfance, une chute terrible dont elle avait gardé une déviation de la colonne vertébrale. Malgré sa tournure de fée Carabosse, elle avait trouvé à qui plaire, et, le 24 août 1875, elle avait donné le jour, à Maisons-Laffitte, à une petite-fille, Marie-Louise, née de ses relations avec le domestique anglais d’un médecin du voisinage.
Cette enfant, élevée chez la pseudo Mme de Montille, partageait le lit de sa mère, dans une chambre de l’appartement. Elle possédait une nature charmante, et, à l’école communale du 154 de la rue Montaigne, qu’elle fréquentait depuis quatre ans déjà, on l’appréciait comme une excellente élève, remplie de mérite. Elle devait, dans quelques mois, faire sa première communion.
Marie Regnault avait voulu être sa marraine et elle lui portait un intérêt si vif, que, par testament du 9 février 1887, elle venait de l’instituer sa légataire universelle...

Quand elle eut gagné, par l’escalier de service, le palier du troisième étage, la femme Toulouse frappa avec un bâton au mur de la chambre d’Annette Gremeret. Elle savait qu’à ce signal quotidien, la petite Marie-Louise venait retirer la chaîne de sûreté qui défendait la porte. Mais, ce matin-là, à son extrême surprise, personne ne donna signe de vie. Elle frappa plus fort, appela. Toujours même silence ! Alors, tirant ses clefs de sa poche, elle ouvrit la serrure et le verrou. Elle ne fut pas avancée davantage, car la chaîne tendue ne lui permit pas de pénétrer. Par l’étroite fente, elle regarda et ne vit rien, elle écouta et n’entendit rien. Un peu effrayée, elle n’insista pas et voulut espérer que les habitants du logis dormaient encore d’un profond sommeil.
Elle remonta à sa chambre. Mais comme, à huit heures et quart, la situation ne s’était pas modifiée, elle s’en fut jeter l’alarme chez le concierge.
Celui-ci, qui se nommait Zacharie Lacarrère, prit aussitôt par le grand escalier et carillonna si fort à la porte de Mme de Montille qu’il cassa la sonnette. Cette fois, l’inquiétant silence ne fut troublé que par les hurlements de détresse de Dick et de Lili, les deux chiens de la femme galante.
Que pensez-vous que fit alors le concierge ? Qu’il courut prévenir la police ? Nullement. Il regagna sa loge, où il tint salon avec sa femme et la cuisinière Toulouse. Les langues allèrent leur train plusieurs heures durant. On papota, on fit des hypothèses, on se monta l’imagination, on évoqua des propos d’Annette Gremeret qui n’était pas là pour les confirmer ou les contredire. Ce furent des commérages sans fin : le roman chez la portière ou le thé de Mme Gibou.
Zacharie était, dans toute la force du terme, un pauvre homme, aussi débile d’esprit que facile à suggestionner. Il se rappelait que, la veille au soir, un peu après onze heures, au moment où il se disposait à éteindre le gaz devant la porte de sa loge, quelqu’un avait sonné de la rue et, une fois entré, lui avait jeté au passage, avant de prendre le grand escalier : Mme Montille ! Autant qu’il en avait pu juger, ce visiteur nocturne était plutôt grand et d’assez forte corpulence ; il était coiffé d’un haut de forme, portait moustaches et avait relevé le col de son pardessus.
La femme Lacarrère, un peu souffrante, avait couché, cette nuit-là, dans un logement dont elle avait la disposition au quatrième étage. Elle n’avait donc pu faire aucune remarque personnelle, mais, dans les jours précédents, elle avait vu, à deux ou trois reprises, quelqu’un monter chez Marie Regnault. Qui ? un individu malingre, de petite taille, la lèvre recouverte d’une moustache noire, le teint bilieux, la figure déplaisante.
Moustache mise à part, les deux signalements ne s’accordaient guère. La concierge et la cuisinière ne s’en employèrent pas moins à persuader Zacharie qu’il s’agissait d’une seule et même personne.
– N’en doutez pas, monsieur Lacarrère, insista la femme Toulouse, ce ne peut être que le gringalet, comme l’appelle Annette. Je sais qu’il a passé la nuit avec Madame, il y a environ une semaine, et qu’il est revenu depuis. Je l’ai vu monter, un jour que j’étais dans votre loge. C’est un petit qui a la figure d’un singe et, quoiqu’il soit mieux vêtu que vous et moi, il ne me revient pas. Aussi vrai que je vous parle, Annette m’a dit : « Quelle drôle de tête il a ! Il me fait peur. Avec les gens que Madame se met à recevoir depuis un mois, elle nous fera assassiner, avant qu’il soit longtemps ! ».
Sur un ton timide, Zacharie eut beau protester que le monsieur, pour lequel il avait tiré le cordon le 17 mars, n’avait rien d’un gringalet , les deux bavardes le convainquirent bel et bien qu’il avait vu un gringalet. Elles le persuadèrent même, quoiqu’il se défendît d’en avoir pu distinguer la couleur, que la moustache dont il avait parlé était noire.
Il fut donc admis, comme une proposition passée en force de loi, qu’un gringalet , ou plus exactement que le gringalet était monté, au cours de la nuit, chez Mme de Montille.
En tout cas, que le visiteur eût été petit et malingre comme le voulaient à toute force les femmes Lacarrère et Toulouse, ou bien grand et fort comme l’avait vu le concierge, un point demeurait hors de doute : l’hôte de Marie Regnault n’était pas redescendu, à moins qu’il n’eût quitté les lieux à l’heure matinale, où, la porte cochère se trouvant ouverte, il n’avait pas eu besoin de demander le cordon. Cette nuit-là, en effet, Zacharie n’avait plus ouvert qu’à deux heures moins le quart, et c’était à quelqu’un de la maison : Auguste Delhumeau, cuisinier au service de M. Henri de Lacretelle, député de la Saône-et-Loire.
À onze heures du matin seulement, se terminèrent les palabres de la loge. La femme Toulouse et le concierge décidèrent alors de se rendre auprès du commissaire de police du quartier du Roule, M. Théodore Créneau, afin de l’aviser de leurs inquiétudes au sujet de l’inexplicable silence des locataires du troisième.
Le magistrat se transporta aussitôt à l’appartement de Mme de Montille, et son premier soin fut d’envoyer quérir un serrurier. La grand’porte n’était fermée qu’au pène et la clef se trouvait engagée dans la serrure, du côté de l’intérieur. On ouvrit, mais le premier qui entra faillit reculer d’épouvante.
II
Le charnier
 
L’appartement du loyer coquet de trois mille cinq cents francs – nous sommes, ne l’oublions pas, en 1887 – ne comportait que locaux spacieux.
Il commençait par une vaste antichambre, sur laquelle s’ouvrait le salon, encadré, à gauche, par la salle à manger, à droite par le cabinet de toilette, et les fenêtres de ces trois pièces donnaient sur la rue Montaigne.
Les chambres de Marie Regnault et d’Annette Gremeret avaient vue sur la cour de l’immeuble. On accédait à la seconde, qui faisait vis-à-vis à la salle à manger, par un couloir à gauche de l’antichambre. La première communiquait avec le cabinet de toilette, et, pour s’y rendre, on prenait le couloir à droite.
Les deux chambres à coucher avaient également issue sur le carré de l’étage, mais, de ce côté-là, leurs portes se trouvaient condamnées depuis longtemps.
Le commissaire Créneau n’était plus un novice, ses fonctions l’avaient maintes fois appelé à constater des crimes de sang, mais, jamais encore, il n’avait contemplé un tel carnage.
Barrant l’entrée de sa chambre, Annette Gremeret était étendue sur le dos, une plaie hideuse à la gorge. Elle avait été frappée de deux coups terribles : le premier, qui avait coupé les carotides et entaillé la quatrième vertèbre ; le second, à la nuque, qui avait tranché la moelle épinière. Son

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