La douche à la naphtaline
50 pages
Français

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Description

C’est souvent à la mort de nos parents que notre enfance nous revient à la mémoire avec plus de force, chargée de nostalgie et souvent enjolivée, parfois magnifiée, comme transformée et transcendée. Surgissent alors les moments qui fleurent bon le chocolat râpé sur une tartine de beurre, en écoutant les derniers tubes des yéyés. Doux instants mais aussi ténébreuses angoisses lorsque l’enfance se perd dans la rudesse de l’adolescence. Les tourments du corps qui n’est plus vraiment le nôtre. La pension et le cœur sec des autres. Le désir de disparaître. Pour toujours. À jamais ?...

Informations

Publié par
Date de parution 31 octobre 2012
Nombre de lectures 5
EAN13 9782312005447
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Douche à la naphtaline
Christian-Yves Palvadeau
La douche à la naphtaline

Roman







Les éditions du net 70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau. »
Charles Baudelaire, in Les Fleurs du mal (1857)




« Tant que l’on s’oppose aux autres, on s’enrichit à leur contact. Quand il n’y a plus d’obstacles, l’on ne connaît plus que soi-même. Et que vaut un homme seul ? Il a vite mangé son pain et finit par se ronger les ongles. »
Gérald Messadié, in Ramsès II l’Immortel –
Le Diable flamboyant (2010)







J e suis un homme seul. J’ai mangé mon pain blanc depuis belle lurette. Je me suis rongé les ongles toute ma vie. Je ne suis qu’une merde…





© Les Éditions du Net, 2012 ISBN : 978-2-312-00544-7
















S e suicider n’est pas chose aisée. Ce n’est pas une simple affaire, vous savez. Il y a toute une mise en scène bien huilée, bien rôdée, longtemps cogitée, concoctée et macérée quelque part au fond du cerveau. Un exemple entre nous : par quel moyen ? La corde, l’ouverture de veines, la défenestration, le bain électrique, les médicaments, que sais-je ? On remue cela dans la tête, à mesure que l’état dépressif se fait plus aigu, que l’idée de mourir absorbe toute pensée du matin au soir.
L e jour où j’ai tenté de mettre fin à mon existence, tout a foiré lamentablement. Pourtant j’avais bien préparé mon coup. Une boîte entière de somnifères. Du whisky à gogo et de la vodka : quatre à cinq grands verres. J’avais la bouche et l’œsophage en feu. Je me suis vite senti mal à l’aise et j’ai rejoins ma chambre en titubant. Je me suis allongé sur mon lit et je me suis endormi, persuadé que je n’allais plus me réveiller. Je me suis raté de peu, mais raté quand même. La lettre pour ma sœur que j’avais posée sur la commode n’a jamais été lue. Personne ne l’a vue, ni ma sœur, ni les pompiers qui avaient été appelés. En fait j’avais commis un certain nombre d’erreurs. No suicide ce jour-là.


M a chère Marie-Jo
Je sais que je vais te faire beaucoup de peine mais ma vie est devenue trop difficile. J’ai décidé d’y mettre fin et avec elle ma souffrance intérieure que je traîne depuis tant d’années. Je pars heureux car je vais retrouver Papa et Maman : je les embrasserai très fort pour toi.
Je pense aussi à mon Thomas. Lui et toi disposerez de mes biens comme il vous conviendra. N’en laissez pas trop au notaire et à l’Etat. Ne vous faîtes pas arnaquer par les brocanteurs car de nombreuses choses ont une réelle valeur.
J’espère que tu me pardonneras mon geste. Toi seule me comprendras.
Pense de temps en temps à ton petit frère que tu ne tiendras plus par la main, comme tu aimais à le faire quand on était gamins.
Je t’embrasse très fort, ma petite sœur.
Ton frère Christian


L ’idée de me supprimer est une vieille affaire chez moi. Cela remonte à mon adolescence et j’en parlerai assez longuement. De sorte que mon enfance, je l’ai toujours perçue comme un Eden, la seule période de ma vie durant laquelle j’ai été vraiment heureux. J’étais un petit garçon sage, aimé, un peu timoré et assez peureux, jouant souvent seul mais ne dédaignant pas les copains, m’amusant avec rien et tout, aimant la nature et les jeux en plein air mais très moyennement l’école, bricolant des petits morceaux de bois pour en faire des meubles de poupée, des boîtes à crayons ou des coffres à bijoux, collectionnant tout : des porte-clés, des timbres, des pièces de monnaie, des fèves, des bouchons, des boîtes d’allumettes, des soldats, des petites voitures, des cartes postales, des sucres enveloppés, des coquillages, des cailloux, des insectes, des dents d’animaux, des livres, des revues, etc.
T out d’abord, il y a cette image quasi fantastique, lumière blafarde et orangée dans une froide nuit de fin d’hiver, un 5 mars exactement. Ma sœur m’attendait sous un réverbère dans le parc vide et lugubre de la clinique Saint-Grégoire à Tours, où venait de mourir mon père. Je me suis approché d’elle, blanche, livide, les yeux rougis par les larmes. Je me suis jeté dans ses bras et nous avons pleuré. La mort d’un parent n’est jamais anecdotique. C’est tout un pan de notre vie, de notre enfance, de nos jeunes années qui défile en accéléré et se coupe définitivement du présent. Papa venait de décéder à 74 ans des suites d’une tumeur cancéreuse fulgurante de la gorge. Vu ses antécédents, il semblait difficile qu’il puisse surmonter cette ultime épreuve même si l’on gardait encore un espoir ― ténu il est vrai ―, on pensait souvent à sa disparition possible et on la redoutait car mon père était en sursis, un rescapé après deux infarctus, un cancer de la prostate et de graves problèmes au niveau de la gorge.
C ette nuit du lundi 5 mars 2001 fut sa dernière. Nous étions là, dans ce parc bordé de vieux platanes et nous nous sommes dirigés vers l’une des entrées de service qu’on nous avait indiquée. Nous avons sonné et rapidement un médecin est venu nous ouvrir, visage de papier mâché. Peu de mots ont été échangés. Nous l’avons suivi dans de longs et interminables couloirs. Seul le bruit de nos pas et celui de la chaufferie emplissaient l’espace sonore. Ce vrombissement de la chaudière m’a tout de suite fait penser au film « Elephant Man » lorsque le gardien de nuit crapuleux fait sa ronde : on n’entend aucune musique, seule cette spectrale litanie de la chaufferie et de bruits métalliques qui accentuent le côté inquiétant et surnaturelle de la scène. J’étais nauséeux, j’avais l’estomac noué, la respiration courte. Le chemin fut assez long pour arriver jusqu’au service des soins intensifs où se trouvait Papa. Une fois dans la salle, deux infirmières nous ont accueillis l’air maussade et triste, de circonstance. L’une d’entre elles nous a expliqué comment était décédé notre père. Le cœur s’était emballé, il n’arrivait plus à respirer et il est mort étouffé. C’est ce qu’il redoutait le plus : mourir d’étouffement, ne plus pouvoir respirer. Il avait constamment sa Ventoline dans sa poche et s’en servait régulièrement. J’ai posé la question de savoir s’il avait souffert. La réponse fut assez sibylline. Non, on ne pense pas, il est parti très vite. Pas de quoi nous rassurer. Mais je pense que les quelques secondes qu’il a vécues à ce moment-là ont dû être terribles et affreusement longues. Etouffement. Certitude de la mort qui arrive, qui tenaille, qui enserre ― Pauvre Papa, rien ne lui aura été épargné mais il avait bon gré mal gré subsisté cinq années à la mort de ma mère. Il avait vécu dix ans de plus qu’elle. Ce fut malgré tout une gageure, un sursis inespéré, pour lui comme pour nous.
M on père avait toujours un regard triste, avec ses beaux yeux verts sans sourcils, à cause de la chimio qu’il avait subie. Ses rides et ses joues un peu creusées accentuaient la mélancolie qui émanait de son visage. Depuis la mort de Maman, il souriait peu, ne riait jamais et semblait traîner sa tristesse comme un fardeau. Les dernières photos prises de lui illustrent bien son état d’esprit. Il semblait un peu étranger au monde extérieur. Seules ses apparitions au club des Ainés de C… pour jouer à la belote ou au rami, ou encore les sorties chaque vendredi après-midi, jusqu’au supermarché, coupaient la monotonie de son existence.



U ne autre personne était apparue dans sa vie : la femme de ménage ou aide à domicile, une fois par semaine. Charmante, compétente, cultivée, discrète, c’était la personne idéale pour Papa. En deux heures, elle lui faisait le plus gros du ménage, sans ménager sa peine. Parfois, il m’arrivait de venir chez mon père alors qu’elle était là, chiffon, aspirateur ou serpillère à la main. Je lui proposais un petit café qu’elle ne refusait jamais. En y regardant bien, elle était assez bavarde et parlait volontiers de sa jeunesse parisienne, de théâtre, de comédiens, d’auteurs qu’elle aimait bien. C’était une personne intéressante qui avait dû se contenter du métier d’aide ménagère, à défaut d’autre chose après un divorce difficile et traumatisant qui l’avait laissée sans un sou. Elle portait toujours un parfum de Guerlain : Shalimar – la coquetterie l’emportait su

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