Le Journal d un sorcier de campagne
133 pages
Français

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Le Journal d'un sorcier de campagne , livre ebook

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Description

Au village Marcel Robin est dit sorcier. Robin le Bouc, son sobriquet, lui colle à la peau. Sa réputation entretient sa mauvaise humeur, renforce sa marginalité, conforte son image sulfureuse de jeteur de sorts. Conscient du pouvoir qu'on lui accorde il n'hésite pas à en jouer. Libéré du poids de la vie, il lâche enfin la bonde à ses souvenirs. Il raconte sa vie de paysan instruit, et la dureté de ses relations aux autres villageois dans une société verrouillée par le poids de paroles qui se transmettent et n'en finissent pas de peser. Un récit à la première personne qui pénètre au coeur de ce personnage révolté au caractère trempé et au verbe énergique. Voici une chronique rurale décapante qui dépeint de l'intérieur l'univers mental de paysans confrontés aux maladies du bétail, aux calamités du ciel, tout simplement aux aléas de la vie. On l'a rejeté en le désignant comme sorcier. Mais peut être Robin le Bouc n'est-il que plus clairvoyant que les autres sur la réalité des coups du sort qui bouleversent deux familles ? Mort un 1er avril, le présumé sorcier garde toute sa lucidité et avant sa mise en terre, il s'offre le luxe d'une expression libre et truculente.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 décembre 2013
Nombre de lectures 57
EAN13 9782365752367
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marieke Aucante
 
 
Journal d’un sorcier de campagne
 
 
Roman
 
 

 
 
AVANT TEXTE
 
Entre 1980 et 1990, j’ai mené une vaste enquête de terrain entre Sologne, Berry et Val de Loire sur les questions de sorcellerie et de démonomanie. Une investigation si approfondie qu’un jour, une des personnes rencontrées qui avait maille à partir avec le mauvais sort vint me donner l’adresse d’un désenvoûteur pensant que, moi aussi, j’en avais besoin, au vu une série d’évènements qui traversaient ma vie. J’ai fréquenté des ensorcelés, des désenvouteurs, des sorciers désignés, des incrédules, des prêtres et parmi eux des exorcistes.
Cette matière pesante, j’avais besoin de la partager, de la mettre à distance de moi. Il était inconcevable de m’en tirer en publiant une enquête journalistique qui n’aurait reposé sur aucun fait avéré, mais qui aurait fait part d’une représentation d’un système dans lequel moi aussi je pouvais être incluse.
Il ne m’était pas possible d’écrire un essai distancié, abritée derrière je ne sais quelle science dite humaine. La littérature devenait ma bouée de sauvetage. En m’affranchissant des témoignages et des personnes je pouvais créer mes personnages dans un monde sorcier familier et cohérent. En prenant la place d’un présumé sorcier je m’autorisais à écrire, à la première personne, le récit d’une crise de sorcellerie ordinaire.
En écrivant ce texte j’étais en communion avec Jeanne Favret-Saada, l’ethnologue qui avait décortiqué le phénomène dans le bocage. « Les mots, la mort, les sorts  ». Les mots sont des armes, les silences pèsent parfois lourd.
Quand Christophe Matho m’a demandé de rééditer « Le loup des brumes  » publié par Seghers en 1987 et épuisé depuis longtemps, j’ai redécouvert mon texte comme s’il appartenait à quelqu’un d’autre, je l’ai revisité et je l’ai retravaillé.
J’ai réalisé à quel point le phénomène est encore aujourd’hui d’actualité. Il ne se démode pas. Omniprésent dans les campagnes, il se déplace vers les villes où se concentre la misère du monde, fait son nid dans les banlieues avec des touches d’exotisme. Trouver une explication à des morts prématurées, à ces maladies invalidantes qui semblent frapper aveuglément, révéler un bouc émissaire pour tous ces malheurs qui ne viennent pas que du ciel et doivent impérativement avoir des causes terrestres. Problèmes de couple, histoires d’héritage, querelles entre voisins, engendrent méfiance et repli sur soi, stimulent l’individualisme forcené et l’ignorance de l’autre qui caractérisent aujourd’hui notre société en déroute.
« Journal d’un sorcier de campagne  » est le tableau, brossé à petites touches réali stes d’un monde encore en connexion avec ses racines juste avant l’explosion numérique. Toutes les anecdotes, ces morceaux de vie des gens sont authentiques mais personne ne pourra revendiquer de s’y reconnaître puisque il s’agit d’une création, un roman vérité.
 
 
LES ANGES DANS NOS CAMPAGNES
 
 
I
 
Robin le Bouc c’est moi. Je n’ai jamais aimé ce surnom mais je m’y suis fait, comme on s’habitue aux pustules qui vous poussent parfois sur la peau les années bissextiles, ces verrues qui vous restent sur l’épaule ou au coin du nez et qu’on ne veut pas voir quand on se regarde dans la glace.
Pour l’heure, je voyage au-dessus de mon corps raide qui ne vaut pas plus cher qu’un pet de lapin. Je pourrais être un voilier qui cingle toutes voiles dehors sur un cumulus d’été. Finies les douloureuses contraintes du temps. Je vais à demain en traversant hier et en cherchant l’aujourd’hui.
La façon dont ils parlent de moi m’agace prodigieusement. Je n’ai pas l’habitude de faire les frais de la conversation ou, du moins, on m’en épargnait le spectacle. Même ma Claudette y va de son couplet :
– Il est mort d’un seul coup, on peut dire qu’il n’a pas souffert. Il menait nos vaches au pré. La première fois de l’année qu’il les sortait et pouf, il est tombé de tout son long, près d’une bouse fraîche. C’était fini. Il est mort sans s’en apercevoir, une belle mort en somme.
Tu parles ! À cinquante ans et quelques poussières, la belle mort n’existe pas. Ça donne à réfléchir sur les balivernes qu’on peut débiter de son vivant.
Rupture d’anévrisme, tel est le diagnostic de Charles-Armand Dessaintloup, mon médecin, Dessaintloup-ça-se-touche, comme je le nomme depuis le jour où j’ai compris sa peur d’être pris pour un autre au point de se présenter en spécifiant : Dessaintloup, en un seul mot. C’est un homme qui ne paie pas de mine. Pâle comme un linge, quelques taches brunes sur la peau qui dégénéreront un jour en un vilain cancer, toujours un peu voûté et les genoux fléchis comme s’il épousait en toutes circonstances les formes du siège de la Mercedes dans laquelle chaque dimanche, après la messe, il promène une progéniture abondante et pâlichonne de musée en abbaye, de châteaux en églises du XI e   siècle saccagées à la Révolution et restaurées par des sauvages qui ont enfoui les fresques de la nef d’origine sous des couches de plâtre. Ma tête à couper qu’il n’a fait des études de médecine que pour engranger des sous. Qu’on ne vienne pas me dire que ce pèlerin a la vocation !
Claudette mène les opérations en vraie maîtresse de maison. Elle se précipite sur le téléphone, raccroche dans le même mouvement. Le numéro du cabinet du docteur est inscrit en gros caractères – nous sommes un peu presbytes tous les deux – sur une feuille volante qui traîne dans le tiroir du buffet où je range scrupuleusement mes factures et les bulletins de la Mutualité agricole. Elle supplie Dessaintloup de venir au plus vite à la ferme du Galop.
Dans un premier temps, elle avait entendu les vaches meugler en chœur et puis, jetant un coup d’œil par-dessus le grillage du jardin, elle s’était étonnée du peu de chemin que nos bêtes avaient parcouru de l’étable au pré. Elle avait pu se dire qu’elles ne s’étaient pas mises au pli, vu qu’elles sortaient au vert pour la première fois depuis six mois et qu’elles avaient bien le droit de se dégourdir les pattes avant de rejoindre le pré le plus sain, celui que borde la haie de ronces.
Claudette connaît bien nos vaches et, quand elle les entend mugir en tournicotant, elle sait que ce ne sont pas des attitudes normales. Rien n’est plus simple et plus logique que le comportement d’une vache. Il suffit d’observer, c’est sans surprise, une vache ne ment pas.
J’ai entendu hurler Marcel !
N’obtenant pas de réponse, ma Claudette accourut et me trouva étalé dans l’herbe nouvellement poussée. Elle me cria dans l’oreille, me tira par les manches trop courtes du pull-over usagé qu’elle avait retricoté avec des laines de récupération, souleva ma paupière droite et recula épouvantée. Son hésitation ne fut pas longue. Laissant la barrière grande ouverte, elle courut à la maison pour demander le médecin.
Par politesse, Charles-Armand demanda à Claudette si elle préférait quérir un voisin pour me transporter dans mon lit ou si elle se sentait le courage de l’aider.
Apeurée à l’idée d’annoncer l’événement, ma Claudette saisit immédiatement les chevilles de mon corps inerte.
– Tenez l’autre bout ! lança-t-elle fermement.
Interloqué par tant d’assurance, il m’agrippa derrière les épaules et en route.
Dix fois ils se sont arrêtés pour reprendre leur souffle. Le pire moment fut celui où ils s’interrogèrent sur la façon dont ils allaient me hisser dans mon lit. Je n’avais jamais remarqué son impressionnante hauteur. Le médecin a pris son élan et il m’a expédié sur les couvertures en soulevant un nuage de vieille poussière.
Stimulé par l’attention que lui portait Claudette, le toubib s’est mis à expliquer les pires fadaises que j’ai jamais entendues : la rupture d’anévrisme est un vaisseau qui vous pète dans le cerveau à n’importe quel mom

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