Prima donna : Opéra et inconscient
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Description

Je chante, je meurs. Je meurs en chantant. Je chante à en mourir. Voilà tout l’opéra. Il est né il y a quatre siècles, à cet instant de l’Orfeo de Monteverdi (1607) où se prononce cette phrase : É morta ! Son histoire est celle d’un deuil impossible. Faire revenir la Prima Donna, retrouver la voix perdue, franchir le Léthé séparant le langage de la musique. Chaque opéra illustre ce mythe et ce chagrin. Tout comme le jeu d’Orphée arrache la morte aimée à la captivité des Enfers, l’opéra, en élevant son chant des mots et des morts, transporte ses personnages au-delà de leur destin. Fatale maladie, il s’adresse au plus obscur, au plus tendre, au plus sinistre de nous-mêmes. Il éveille l’enfant méchant, excite le despote terrorisé, émeut le délaissé anéanti. Il chante la douleur de désirer.  Michel Schneider a écrit sur la musique : Glenn Gould, piano solo, La Tombée du jour, Schumann, Musiques de nuit et sur la psychanalyse : Blessures de mémoire, Voleurs de mots. Il a été de 1988 à 1991 directeur de la musique au ministère de la Culture et a publié La Comédie de la culture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2001
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738168191
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, FÉVRIER 2001
15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6819-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À la mémoire de Maria Callas
« Tout d’un coup m’est arrivée sa pauvre voix brisée, meurtrie, à jamais une autre que celle que j’avais toujours connue, pleine de fêlures et de fissures ; et c’est en en recueillant dans le récepteur les morceaux saignants et brisés que j’ai eu pour la première fois la sensation atroce de ce qui s’était à jamais brisé en elle. »
Marcel Proust.
Lettre à Antoine Bibesco, 1902.
La forme fatale

Je chante, je meurs. Je meurs en chantant. Je chante à en mourir. Voilà tout l’opéra. Son sublime et son ridicule. Son invraisemblance et sa vérité. L’opéra est l’art au superlatif. Tout y est extrême. « Si le genre lyrique est mauvais, c’est le plus mauvais de tous les genres. S’il est bon, c’est le meilleur », disait Diderot. L’opéra est l’art le plus sublime. Le plus bête aussi. Saint-Evremond traite sévèrement le genre : « Si vous voulez savoir ce qu’est un Opéra , je vous dirai que c’est un travail bizarre de poésie et de musique où le poète et le musicien, également gênés l’un par l’autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant ouvrage. Une sottise chargée de musique, de danses, de machines, de décorations, est une sottise magnifique, mais toujours sottise 1 . » L’attaque est moins banale qu’elle paraît. L’auteur, qui adresse en 1677 au duc de Buckingham une lettre intitulée Sur les opéras , n’oppose pas la bêtise à l’intelligence comme les sens à l’esprit, mais le plaisir limité aux sens au plaisir plus profond que l’esprit seul accorde. « Où l’esprit a si peu à faire, c’est une nécessité que les sens viennent à languir 2 . »
L’opéra, pour ses détracteurs ? Du théâtre, mais illégitime. De la musique, mais impure. D’où vient, en vérité, ce sentiment où souvent il nous laisse de pauvreté psychique et de désastre esthétique ? De la musique, ou plutôt de ce qu’elle s’ajoute sans nécessité à l’action dramatique ? Ou bien de celle-ci, qui vient gâcher une musique qui parlait assez d’elle-même ? Pourquoi ce sentiment d’être en pleine fausseté psychologique nous envahit-il si souvent en écoutant un opéra ? Est-ce parce que, devant la musique, « la parole a honte 3  » ? Et d’où vient ce ridicule ? De la sottise des livrets ? Il y en a peu de bons, certains de grands, mais ce ne sont pas eux qui font les plus beaux opéras. Pour la plupart, on conviendra que « rien au monde n’est plus stupide, plus dénué de sens qu’un idiome d’opéra 4  », comme le pensait Théophile Gautier. Ce n’est souvent qu’un assemblage de dieux et de bergers, de héros et d’enchanteurs, de princes et de fantômes, de furies et de démons, de Nornes et de sorcières. Le vrai, et même le vraisemblable n’y ont pas cours. Est-ce être grincheux, que de s’étonner qu’au dernier acte de Rigoletto , le spadassin et le bouffon se promettent à tue-tête d’occire secrètement le duc de Mantoue qui, à quelques pas, en pourpoint à crevés, glousse son amour dans une nuit d’encre ? Est-ce se montrer taciturne, que de reprocher à l’Escamillo de Carmen ses inutiles et sentencieuses tautologies : « J’ai tout dit et je n’ai plus ici qu’à vous faire mon adieu » ?
La première gêne tient sans doute au fait que les personnages parlent au lieu de chanter. « Quand un opéra est-il réussi ? se demandait le metteur en scène Vsevolod Meyerhold. Lorsqu’il est écrit et représenté de façon telle qu’à aucun moment, l’auditeur-spectateur ne se demande pourquoi les acteurs chantent au lieu de parler. » Il est vrai qu’en certaines actions, il ne viendrait à l’idée de personne normalement constitué de chanter. « Peut-on s’imaginer qu’un maître appelle son valet, ou qu’il lui donne une commission, en chantant ; qu’un ami fasse, en chantant, une confidence à son ami ; qu’on délibère, en chantant, dans un conseil ; qu’on exprime avec du chant les ordres qu’on donne, et que mélodieusement on tue les hommes à coups d’épée et de javelot, dans un combat 5  ? » disait encore Saint-Evremond. Théophile Gautier reprend la même attaque : « Quoi de moins naturel que de voir un conspirateur recommander le silence en chantant à tue-tête, une femme affligée exprimer son désespoir en faisant des cabrioles 6  ? »
Mais alors, pourquoi devrait-on trouver moins d’artifice à voir chanter les vœux, les sacrifices, le service des dieux, les passions tendres et douloureuses, pour l’expression desquelles l’opéra trouve grâce aux yeux de ces deux critiques sans pitié ? Et pourquoi le théâtre serait-il moins frappé de ridicule psychologique ou d’illégitimité esthétique, où les acteurs, certes ne chantent pas, mais hurlent et déclament pour le troisième balcon des phrases que leur interlocuteur entendrait fort bien si elles étaient dites à voix basse ? Assez finement, Théophile Gautier retourne en qualité ce défaut de naturel : « Le charme principal de l’opéra, charme dont on ne se rend pas compte, et qui le fait demeurer debout entre les ruines des autres théâtres, c’est que nulle part la convention n’est aussi forcée. » En effet, loin de l’avoir condamné à disparaître, peut-être est-ce son caractère de convention pure qui a assuré à l’opéra sa survie. Puisqu’il ne parle vraiment d’aucun temps historique, ne représente aucune classe sociale, il se resserre autour du noyau de vérité psychique qui les transcende. Aussi inactuel aujourd’hui qu’hier, il atteint l’actuel par l’art et l’artifice.
Les manquements à la réalité historique, à la plausibilité sociale, à la vraisemblance psychologique, à la cohérence narrative, ne sont sans doute pas le plus gênant dans l’opéra et ne lui sont pas propres. C’est à des manquements à l’art qu’il succombe trop souvent. L’exaspération passionnelle des formes, l’étirement des temps, donnent souvent l’impression que ça ne tient pas . Non que ça ne tienne pas en face du réel, selon des rapports internes de ressemblance ou de vérisimilitude, mais que l’œuvre, ce réel autre, se défait d’elle-même, ne tient pas par des rapports internes de nécessité.
Les sentiments représentés ? Ce sont les passions les plus convenues, la crainte plus que la peur, la pitié davantage que la compassion, la souffrance mieux que la douleur. « La parole, écrit Flaubert, est un laminoir qui allonge toujours les sentiments. » L’opéra, plus encore, qui n’est souvent que poncifs clamés et vrai dictionnaire des sentiments faux : « Ils étaient tous sur la même ligne à gesticuler ; et la colère, la vengeance, la jalousie, la terreur, la miséricorde et la stupéfaction s’exhalaient à la fois de leurs bouches entrouvertes. » Affects grossiers et mimiques outrées, ainsi le sextuor du deuxième acte de Lucia di Lammermoor apparaît-il aux yeux du romancier, si ce n’est de son Emma, qui aime à se déchirer de cette pointe émoussée 7 . L’opéra agite, excite, trouble, charme, mais où sont la science des sentiments, la profondeur dans les choses difficiles, les faux mouvements du cœur, les maîtres secrets de l’intérieur ? Ils se taisent. Souvent, on n’admire même pas la voix et ses qualités, mais une incroyable longueur d’haleine pour les tenues ; on se délecte non du timbre et du phrasé mais de la surprenante facilité de seriner dans les passages périlleux et vains. Vocalises, roulades, trilles, ce n’est plus une voix qui chante, mais un oiseau qui s’égosille.
Surprendrais-je, si je disais que le chant ne me paraît jamais aussi chant que lorsqu’un instrument le porte, et non la voix humaine ? En musique, le mot voix a deux sens : il désigne les divers types de voix utilisées dans le chant (soprano, mezzo, alto, castrato, contre-ténor, ténor, baryton, basse), et les lignes individuelles (monodie) ou multiples (contrepoint) dans l’écriture d’une partition. Dans l’opéra, il arrive trop souvent que le culte des premières nuise à la beauté des secondes. La voix dit : regardez comme je chante. L’opéra est une forme narcissique, un genre tautologique. Il est toujours le miroir de l’opéra. Un violoncelle, un piano, parce qu’ils sont déjà des substituts où est inscrite l’absence de l’objet (la voix), me chantent plus haut, plus fort et de plus près que la voix. La vraie voix, mieux que dans le bel canto , se trouve dans tel sotto voce d’une sonate de Beethoven, tel parlando du piano schumannien, ou dans le murmure presque indistinct des pièces pour viole de gambe de Marin Marais. Et à la Norma de Bellini, je préfère les Réminiscences sur « Norma » pour piano seul qu’en tira Liszt. Parce que le lointain s’y marque, et que le corps alors semble se détourner et se perdre. Lorsqu’il n’y a pas de mots pour investir, remplir la musique, pas de poésie pour altérer la ligne des sons, pas de voix pour sublimer les mots, alors la voix, oui, la voix , se fait mieux entendre. La voix, non de l’homme ou de la femme qui chante, mais la voix de la musique, une voix qui, de rester sans mots, dit d’autant mieux la peine de vivre ou la joie d’être au monde.
Et pourtant, il me faut avouer que l’opéra m’a donné les plus profondes, les plus intenses, les plus graves expériences de beauté. Cela tient sans doute à sa folie, qui n’est que l’envers de sa « bêtise ». La passion de l’opéra est celle d’un toxique. L’opéra, c’est la musique rendue malade et folle, c’est le texte fait cri

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