Une erreur d'écriture , livre ebook
209
pages
Français
Ebooks
2019
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Une erreur d’écriture
Jane Goyrand
Une erreur d’écriture
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06794-0
Partie 1
« Quand on a la foi, on peut se passer de la vérité. »
Friedrich Nietzsche
1
Le soleil se perd sans bruit à l’horizon. À travers l’ombrage délicat et finement troué des micocouliers, le ciel se dessine flamboyant au couchant, présageant de l’arrivée prochaine du mistral. Parfait , un peu d’air atténuera la sensation de chaleur étouffante de ce début Août !
Une odeur d’herbe fraîchement tondue chatouille mes narines, s’alliant agréablement à l’ambiance tranquille du crépuscule. Je ralentis le pas pour mieux m’imprégner de la douceur du soir et abandonner le rythme trépidant de la journée bien remplie. Lulu m’a sauvée une fois de plus dans l’après-midi, remédiant à l’incident malmenant mon emploi du temps particulièrement serré. Au milieu de la pelouse, le tracteur a subitement refusé de continuer sa ronde, alors même que l’arrivée des prochains vacanciers était fixée pour l’heure suivante ! Inquiète de ce contre-temps fâcheux, je suis allée frapper à la maison d’en face, comme toujours en de pareilles circonstances. La camionnette de Lulu somnolait, paresseuse, sous l’auvent du garage, témoignant de la présence rapprochée de son conducteur. Une chance assurée ! Comme souvent, il s’affairait devant son établi renfermant mille trésors tant enviés des bricoleurs les plus avertis.
« Alors Jane, qu’avez-vous cassé ? » me dit-il en m’accueillant, un large sourire aux lèvres.
Et dans les minutes suivantes, la machine ronronnait à nouveau finalisant la coupe du gazon dans les délais prévus. Quel bonheur de pouvoir compter sur mes chers voisins, depuis tant d’années !
La propriété que j’entretiens seule depuis mon divorce qui remonte maintenant à plus de vingt ans, est exigeante. Je devrais plutôt dire que mon besoin insatiable d’ordre et d’impeccabilité rend cette occupation quelque peu tyrannique. Mais mon bien-être se nourrit et se fortifie dans un environnement soigné. Œuvrer à la tâche pour ce faire, ne me coûte absolument pas. Mais certains peuvent s’agacer de mon activité souvent débordante, je veux bien l’admettre.
Sur le terrain, deux bâtisses entourées de verdure, se surveillent l’une l’autre depuis des générations. J’occupe la première et ai réhabilité la seconde, une vieille remise habillée de pierre, en habitation confortable pour la destiner à la location saisonnière. Les week-ends de rotation des estivants, comme ce fut le cas aujourd’hui, sont bien chargés. Après les au revoir aux premiers, les lieux doivent être remis en parfait état de propreté, les lits défaits puis refaits à neuf, les vitres nettoyées, le linge lavé, le jardin et la piscine révisés avant d’accueillir, à l’heure convenue, les visiteurs suivants. Le travail à la cadence rapide doit être judicieusement organisé. Ne pas traîner et éviter des aller et retour inutiles entre les deux constructions guident mes initiatives.
Enfin , cette année, tout me paraît si simple. Laura n’est pas là et je la sais en parfaite sécurité. L’esprit serein, j’enchaîne les différentes opérations sans crainte de devoir les interrompre brusquement.
Cette activité, outre le complément de revenus qu’elle génère, suscite de belles rencontres. Des familles habitant des régions moins lumineuses, viennent faire le plein de soleil avant l’arrivée de l’automne. Nul doute, le climat méditerranéen séduit et recharge les batteries humaines ! La bonne humeur, l’amabilité et la satisfaction des vacanciers, toujours de mise jusqu’à présent, m’encouragent à persévérer dans cette entreprise.
Le mois précédent, le profil de mes visiteurs, nullement en congé, a échappé à la règle habituelle. Ils venaient prendre une part active au festival d’Avignon en présentant une pièce de théâtre. Je connaissais les grandes lignes du parcours de l’artiste que j’attendais. Elle avait notamment réalisé un film tiré d’un roman très cher à mon cœur. L’histoire sentimentale qu’il retrace, pourrait en effet s’être inspirée très largement de la mienne. À sa lecture, j’avais pensé que l’auteur, sans me connaître, avait puisé son texte dans mes propres pensées. Accueillir celle qui avait retenu ce récit pour le mettre à l’écran, provoquait chez moi une certaine émotion. Et lors de notre premier échange, l’étrange sentiment de proximité que je ressentais, grandit encore. En effet, sa dernière création traitait de la maladie mentale. Étonnée de cette nouvelle coïncidence, je l’écoutais me décrire, avec enthousiasme, sa mise en scène, drôle mais non moins profonde, visant à confronter les regards des soignants à ceux des patients et à analyser les rapports de pouvoir. Bref, tout un domaine où bien malgré moi, je suis plongée depuis plus de seize ans ! Quelques jours plus tard, invitée à la générale de la pièce, j’avais découvert les saynètes qui s’enchaînaient allègrement. Certaines avaient résonné en moi de façon toute particulière et mon cœur avait chaviré lorsqu’un des acteurs, incarnant un hospitalisé, était apparu équipé d’un casque de protection…
Oui, certains hasards sont curieux voire troublants. La vie m’apparaît comme une grande magicienne qui concocte ses potions à sa guise pour, tour à tour, nous étonner, nous bouleverser, nous galvaniser, nous malmener, nous réjouir, nous éprouver. Elle n’en fait qu’à sa tête et les défis qu’elle nous lance, se moquent de nos envies ou de nos réticences. Elle me l’a durement prouvé en m’imposant sans ménagement ce que j’avais repoussé d’un large revers de manche, bien des années ans plus tôt !
Jeune étudiante en médecine, j’avais de toutes les spécialités, écarté d’emblée la psychiatrie et la neurologie qui visent le plus souvent à équilibrer des états de santé sans jamais les guérir totalement. Les psychiatres m’apparaissaient, par ailleurs, souvent énigmatiques, je les comprenais mal, voire même pas du tout. Avide de résultats concrets , ces deux spécialités, souvent intriquées, ne me motivaient nullement. Mon envie d’action immédiate et de prompte efficacité m’avait conduite tout naturellement, à la fin de mon cursus universitaire, dans un service d’urgences où je m’étais épanouie durant plusieurs années, avant de devoir le quitter pour suivre le père de mes garçons.
Mais la vie n’avait pas dit son dernier mot et allait en décider tout autrement, m’obligeant à attraper à bras-le-corps les maladies du système nerveux, ces maladies qui déroutent et effraient tant. Et le procédé employé était plutôt rude et bien assuré ! En effet, si j’avais pu fuir certains patients, je ne pouvais en aucun cas, ignorer ma propre fille.
Profitant de la belle lumière du soir, je m’attarde autour des massifs fleuris, en arrachant de-ci, de-là, une mauvaise herbe au passage. La filtration de la piscine vient de s’interrompre, laissant la surface du bassin totalement immobile. Les cigales, épuisées d’un concert diurne ininterrompu, goûtent un repos bien mérité. Tout est résolument calme. Pourquoi ne pas profiter de cette douceur ? J’attrape un des transats repliés dans l’abri jardin et m’installe face à l’eau. Je ne peux éviter un moment de surprise : ce droit au repos est tellement nouveau pour moi, la liberté d’agir à ma guise m’ayant été interdite pendant tant d’années ! Ce véritable bouleversement intérieur se rappelle à moi à ces occasions. J’imagine que celui qui a connu la faim, éprouve un sentiment semblable à chacun de ses repas. Je repense à ma grand-mère qui gardait l’eau de rinçage de la vaisselle pour laver les sols. Le gaspillage de ce bien précieux lui faisait horreur. Elle n’avait pas connu, dans ses jeunes années, le confort de l’eau courante. Il est des choses, des vécus qui ne s’oublient pas…
Jetant un œil satisfait sur l’ordre des choses qui m’entourent, je me sens bien. Mon chez-moi est mon allié, depuis toujours. Comment aurais-je fait avec Laura, si la maison avait