J'irai chanter du Brahms dans un supermarché

Jestère

Description

Qui suis-je si je plie, si je mords la poussière,

Si je renie ma foi à l’approche des lions ?

Quel rêve me fera marcher la tête fière,

Et quelle est la couleur portée sur mon blason ?

Manager accompli, vendeur hors pair, fin stratège, Théodore Duchamp est sur le point de décrocher un poste prestigieux.

Pourtant, en ce jour qui devait être la consécration de sa carrière, la vie vient ébranler ses certitudes. Il plonge dans le désespoir et se découvre des rêves qu’il ne soupçonnait pas...

Sujets

• Littérature
• Théâtre
• Paradigme
• Spectacle vivant

Informations

• Publié par: Nombre7 Editions
• Date de parution: 29 septembre 2022
• Nombre de lectures: 2
• EAN13: 9782383512172
• Langue: Français

Extrait

J ’ irai chanter du Brahms dans un supermarché
 
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Jestère
J ’ irai chanter du Brahms dans un supermarché



Avertissement : toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé, dans les couloirs feutrés de nos entreprises comme dans les alcôves des consciences individuelles, serait bien évidemment fortuite.
[Théodore Duchamp entre en scène. Il est au téléphone.]
Mais non !... Mais non, Roger ! Mais c’est quoi, ce bordel ?
Ce gros bordel, avec un grand B majuscule ?
Ah, non ! non, pas Bourdeuil ! Oui, je l’ai lu, ton mail !
C’est quoi ces arguments, enfin ? c’est ridicule !
 
On voulait l’inviter à dîner ! C’est bien clair,
Enfin pourtant, Roger ! c’est pas sorcier quand même !
Dans un grand restaurant ! On s’est dit ça hier,
En réunion, Roger ! Il est où, le problème ?
 
Pour dorloter ce cher Directeur des Achats,
On lui offre un festin royal ! sans anicroche !
On lui sort le grand jeu ! Pour nous le mettre en poche
J’allais le chouchouter comme un petit pacha,
 
M’enivrer avec lui, et que ses yeux pétillent,
Et qu’il s’épanche en moi comme en un confident,
Et puis que « par hasard », il rencontre une fille,
Qu’elle lui fasse un peu le coup d’Eve et d’Adam !
 
Mais non ! apparemment, mieux vaut un tête-à-tête
À midi, sans façons, au mastroquet du coin,
Pour venir gentiment tailler une bavette
Dans un grand brouhaha, entouré de témoins !
 
Et donc il a dit quoi ? Ah ! tiens donc ! il décline
Notre invitation ! Comme c’est surprenant !
Comment peut-on ne pas se lécher les babines
À la pensée d’un rendez-vous si passionnant !
Quoi, Bourdeuil ? Quoi, Bourdeuil ? C’est quoi qu’il nous grommelle,
Avec sa lèvre flasque et son regard chafouin,
Bourdeuil ? … Quoi ?… Pas moral ?... Mais de quoi je me mêle,
Enfin ! C’est pas permis d’être lourd à ce point !
Et moi, je suis censé garder l’œil sur la cible,
Et gagner des marchés, et faire entrer l’argent,
Alors qu’on va donner le pouvoir aux nuisibles,
Aux nuls, aux ronds-de-cuir, aux esprits indigents ?
Bourdeuil ! c’est lui qui vient nous faire la morale ?
L’empêcheur de tourner en rond, le Rottweiler,
Le roquet, le scorpion, le crapaud, le crotale,
L’inspecteur des travaux finis, le contrôleur !
En voilà un qui justifie bien son salaire !
Contrôleur de gestion ! vraiment, le beau métier !
Contrôleur de gestion ! voyez la belle affaire !
Critiquer, pinailler et ne rien assumer !
Bourdeuil par-ci, Bourdeuil par-là ! j’en ai ma claque !
J’étais très clair, pourtant ! J’étais très clair, Roger !
On m’a court-circuité ! on veut me déloger,
On veut me… Pardon, quoi ? Ah, c’est moi qui me braque ?
C’est moi ? Mais mon cochon, j’ai dix ans de maison,
Et il suffit qu’un jour un nuisible débarque
Pour tout bloquer ! …
Bon. Tu sais quoi ? Tu as raison !
Bourdeuil, on ferait bien d’écouter ses remarques !
C’est suspect d’inviter un client au restau !
Ça peut l’influencer, qui sait ! À Dieu ne plaise !
On va convoquer Schmidt à un rendez-vous, tôt,
Dans un bureau étroit, le mettre mal à l’aise,
 
Et lui faire amener un déca refroidi
Par un assistant pâle et gai comme un polype,
Qui laissera sortir son ventre rebondi
En lâchant bruyamment un pet pour le principe !
 
Ça lui fera passer toute envie de rêver,
Au cher prospect ! Si malgré ça il nous achète
Quoi que ce soit, chapeau ! c’est qu’il est motivé !
Pas de faveurs, pas de cadeaux, pas de courbettes,
 
Pas d’appât, pas d’appeau, de piège ou d’hameçon,
Pas de discours, pas d’illusion, pas de promesse,
Rien qui puisse éveiller le plus petit soupçon
D’éducation, d’humanité, de gentillesse,
 
Non ! rien de tout cela ! question de dignité !
Soyons comme l’agneau pur et incorruptible,
Laissons nos concurrents abdiquer leur fierté,
Et se plier à tout pour atteindre leur cible !
 
Et ces égards que nous refusons aux clients,
Ayons-les pour nos chefs et pour les gens qui comptent,
Les contrôleurs, les consultants, les intrigants,
Ceux qui ne foutent rien et qui n’ont pas de honte !
 
Bourdeuil c’est l’avenir, il faut s’y préparer !
Pour ceux qui ont encore un idéal en tête,
Pour...