La Der des ders , livre ebook
136
pages
Français
Ebooks
2014
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe et accède à tout notre catalogue !
Découvre YouScribe et accède à tout notre catalogue !
136
pages
Français
Ebooks
2014
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
La Der des ders
Alain Roué
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Der des ders
À la mémoire de l’ensemble des victimes de cette immense boucherie, honteusement appelée « Grande Guerre », et plus particulièrement à celle des quatre-vingt-quatre soldats bretons partageant mon nom.
À celle de Jean Marie, Louis Pierre, Yves, Joseph, Noël, Goulven, Urbain, Laurent, Maurice, Jean… venant de Tréflez, Plounévez Lochrist, Cléder, Goulven, Plouider, Tréflaouénan, Ploudaniel… tombés loin de leur Bretagne natale à Verdun, à Chaulme, à Servon, à Forbach, à Amiens, en Champagne, dans la Meuse… ou disparus au front.
À celle de mes grands-oncles flamands… Jules, tombé le 27 mai 1915 sur le front de l’Artois et Léon, tombé en mars 1916 dans l’enfer de Verdun.
Avant-propos
Des cloches qui tintent à toute volée un samedi après-midi d’été, ça vous annonce en général une noce et de jeunes épousés qui sortent de l’église ou de la mairie sous les applaudissements de leurs familles et sous les grains de riz jetés par leurs amis. Mais ce samedi-là, c’est le tocsin qu’elles ont sonné dans le ciel des villages et des villes de France, ces putains de cloches.
C’était pourtant un samedi ensoleillé, un samedi de ciel bleu au cours duquel un peu partout dans les campagnes, on se préoccupait bien davantage de la moisson en cours ou à venir que des dernières nouvelles venues de Prusse ou d’ailleurs.
Il faut dire que les nouvelles à l’époque n’étaient pas « internetisées » comme aujourd’hui et qu’elles arrivaient beaucoup moins vite aux oreilles des citoyens. Ainsi en ce premier jour du mois d’août de l’année 1914, la plupart des Français ignoraient encore que la veille au soir à Paris, un « Villain » avait sans doute brûlé les derniers espoirs de sauver la paix, d’un lâche coup de feu tiré dans le dos d’un dénommé Jean Jaurès au travers de la vitrine du « Café du Croissant ».
Le 28 juin, à peine un mois plus tôt, c’est un autre coup de feu qui, en prenant la vie à l’archiduc héritier de l’Empire austro-hongrois, avait servi de prétexte aux partisans germaniques d’un conflit expansionniste pour prendre l’ascendant sur la frange pacifiste de la population des empires allemands et autrichiens.
En France la cause de la paix étant morte avec Jaurès, les revanchards pouvaient battre le pavé. La cause était entendue, les bellicistes des deux camps venaient de triompher, ne restait plus aux populations qu’à payer le prix du sang de leurs délires.
Les deux coups de feu de Paris et de Sarajevo pouvaient désormais être suivis de milliers d’autres car, selon la formule consacrée, la guerre était déclarée.
À l’été 2014, cela fera tout juste un siècle que fut donné par les états prétendument civilisés, le coup d’envoi de la première grande boucherie du vingtième siècle. Cela fera pile poil un siècle que des centaines de milliers de petits gars de chez nous et d’en face sont partis confiants la fleur au fusil pour la grande foire à la mitraille.
Des deux côtés du Rhin, on leur avait tenu le même discours menteur à ces pauvres gamins car, pour manipuler leurs sujets, République ou Empire jouent admirablement la même partition sur le même violon, un traditionnel petit couplet sur la monstruosité de ceux d’en face avant de reprendre à tue-tête l’éternel refrain de la patrie en danger.
À partir de là, la messe est dite et la plupart des mobilisés se laissent plutôt de bon gré repeindre en soldats. Puisque la cause est juste et qu’ils sont certains de la gagner vite fait cette foutue guerre, pourquoi ne pas lui faire plaisir à la mère patrie.
Reste à chausser les brodequins, à suivre la musique qui marche au pas, à faire confiance à l’état-major, et à ceux d’en face on va leur apprendre à vivre, ou plutôt à mourir ! Comme une crêpe, on va la retourner l’armée du Kaiser, et avant même que l’on ait eu le temps de faire chauffer la poêle !
Alors, malheur à ceux qui ne sont pas tombés dans le panneau « patriochard », malheur à ces salopards qui au nom de la défense de la paix ne se rangeraient pas en bon ordre derrière la bannière sanglante des va-t-en-guerre. Trahison, désertion, peloton d’exécution, diable il ne faut pas davantage plaisanter de nos jours avec la patrie qu’il ne fallait le faire en d’autres temps avec le bon Dieu. En mettant à terre l’Ancien Régime, la République a banni la notion de blasphème pour s’empresser de la remplacer aussitôt par le crime aux sanctions tout aussi abjectes et impitoyables de « lèse-patrie ».
Le problème, c’est que le coup de la victoire remportée les doigts dans le nez, on leur a fait le même aux gars d’en face ! Ne vous cassez pas les gars, on sera tous rentrés à la maison pour Noël, qu’on leur a fait croire des deux côtés du Rhin à ceux qui montaient en ligne.
Noël à la maison, tu parles, Charles ! Et pourquoi pas pour les vendanges aussi tant qu’ils y étaient ! Les grands hommes de l’Empire d’en face comme ceux de la République de chez nous, ils n’allaient pas le leur dire aux pauvres troufions que le réveillon 1914 et les réveillons suivants, ils ne les passeraient pas sous le sapin avec leur femme et leurs gosses.
Ils se gardaient bien aussi de les prévenir que le prochain sapin qu’ils rencontreraient, il pourrait bien avoir la forme de planches. Des planches clouées entre elles façon caisse à savon, conception spéciale pour armées en campagne, sacs en planches pour dépouilles mortelles de soldats victimes du grand hachoir de la cause et de l’intérêt supérieur des nations.
Et encore, avec la caisse en sapin, il n’y avait pas lieu de se plaindre, on était même dans le genre obsèques de première classe, presque la version service de luxe. Parce qu’ils n’ont pas tous eu la chance de les avoir leurs planches de sapin, les poilus morts pour la France ! Pour les autres, c’était le grand pourrissoir à ciel ouvert, pas toujours dans l’herbe tendre et pas toujours avec seulement un trou rouge au côté droit, parce que depuis 70, elle avait fait des foutus progrès la mitraille ! Maintenant, elle vous « puzzelisait » un gus comme un rien aux quatre coins du canton.
Bien sûr, les petits gars, ils n’étaient pas plus cons que ça en voyant que le carnage durait depuis des années, ils ont fini par se dire qu’on les avait quand même bien un peu pris pour des pommes. « Marre de cette connerie de guerre, on veut retrouver nos gosses, crosses en l’air ! » Pas d’histoires, douze balles dans la peau pour l’exemple, elle ne plaisante pas la République ! Les autres, pour les calmer, on leur a servi un nouveau bobard : « cette fois on en bavait un bon coup, mais c’était pour le bonheur et la tranquillité définitive de nos enfants, qui eux ne connaîtraient jamais ça, puisque c’était certain cette guerre-là, ce serait la dernière. »
Bonne pâte et puis préférant quand même avaler une couleuvre que de se prendre douze balles dans le cuir, ils ont bien voulu faire semblant d’y croire au coup de la « der des ders », nos pioupious. Mais n’empêche que globalement, la patrie, la grandeur nationale et tout ce qui allait avec, ils commençaient à en avoir franchement ras le calot. Parce qu’ils voyaient bien que pendant qu’ils se faisaient transformer en pomme d’arrosoir pour les trois couleurs du drapeau, d’autres à l’arrière, la patrie, ils la défendaient à coups de fourchette dans les restaurants parisiens, ou en triquant aux terrasses des bistrots de la capitale.
Parce que dans ces cas-là, c’est toujours un peu la même histoire, il y a ceux qui sont devant et puis, il y a ceux qui sont derrière, à l’abri ! Les hommes politiques qui décident les guerres ne sont pas souvent en première ligne. Côté français, on voulait jouer la revanche de 70, il voulait se le récupérer son bout de Lorraine natale le père Poincaré ! Le seul problème, c’est que pendant le match ce n’est pas lui qui essayait d’arrêter les tirs prussiens sur le terrain, lui comme Guillaume dans la tribune d’en face, ils comptaient les points.
Et puis un jour, on a décidé que ça avait assez duré, alors on a réuni l’Empire et la République dans un wagon, on a signé un torchon de billet et hop, armistice qu’ils ont dit ! Laissez-les vivre, ceux qui restent ! Heureusement entre nous, que des mecs des quatre coins du monde étaient finalement venus nous aider à la terminer cette foutue guerre, parce s’il avait fallu compter que sur nos culottes de peau made in France de l’état-major, on y serait peut-être encore au fond de nos tranchées.
Au final, il paraîtrait que Raymond aurait même battu Guillaume, le score final on ne le sait pas trop, plus d’un million de cadavres de chaque côté ! Mais, il l’a récupéré sa Lorraine le Raymond et puis l’Alsace avec ! De quoi fêter la victoire, peinard sur les bords de la Seine, loin de l’odeur nauséabonde des centaines de milliers de morts et de blessés, et de recommencer la fête tous les 11 novembre.
Dans le fond si les ricains nous avaient laissés nous embourber dans nos tranchées, la guerre se serait peut-être avérée tellement interminable que cela nous aurait éventuellement évité la suivante ! Parce que bien sûr, la der des ders, c’était du pipeau et à peine plus de vingt berges après, on remettait ça.
Presque cent piges après le premier coup de canon, loin de moi l’idée de refaire l’histoire. Dans cette horreur pour moi, seuls les hommes comptent, pas les gradés, pas les généraux, les maréchaux, ou les politiques dont les livres d’histoire bien aseptisés de la République nous ont rebattu les oreilles tout au