La Visite , livre ebook
226
pages
Français
Ebooks
2015
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La Visite
Bruno Latapy
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Visite
Couverture : photographie d’une sculpture créée par Paola Palmero.
« Ma santé fut menacée. La terreur venait.
Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes.
J’étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie patrie de l’ombre et des tourbillons. »
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer , « Délires II, Faim ».
« Mais le bonheur, où est-il ?
C’est une souris qui s’efface, une voix qui se fait entendre en cessant, un rapt,
Un transport précaire, et le ravissement de notre découverte est mêlé à nos sanglots. […]
Notre détresse au moins est à nous, elle ne nous sera pas enlevée,
Au malade condamné, à l’amant trahi, à la veuve qui voit mourir entre ses bras son fils, au poète écrasé sous les pieds
Ne retire pas le droit de se plaindre ! »
Paul Claudel, La Ville , Acte III – Cœuvre.
« […] to those who feel rather than to those who think – to the dreamers and those who put faith in dreams as in the only realities – offer this book of Truths […] . To these present the composition as an Art-Product alone, – let us say as a Romance ; or, if be not urging too lofty a claim, as a Poem . »
Edgar Poe, Eureka – A Prose Poem , préface.
En hommage à Paul Claudel, à sa sœur Camille.
En mémoire de ma sœur Marine.
Remerciements
À Jean-Claude Brisville (1922-2014), qui montra le chemin, l’embellit de jolis bosquets, qu’admire toujours le promeneur.
À Jacques Cassar (1923-1981) qui, familier de l’œuvre de l’un, s’intéressa à l’histoire de l’autre – le premier.
Avant-propos
Vivre en connaissance de la détresse morale d’un proche, - scellée par l’infirmité, une leucémie ou une hépatite exécutoires, l’assommoir des drogues, des jeux du corps et du hasard, ou, dans le cas présent, par la maladie mentale, – tel est le thème.
On peut oublier ce malheureux, ou lui consacrer son existence, toujours rester à son côté.
Souvent, c’est entre deux – entre intentions et attentions.
On pense à lui, on lui écrit, téléphone, on donne de son temps, de son argent.
On fait une visite.
Ce thème est abordé ici comme une suite de tableaux imaginaires, imprégnés du souvenir de la relation d’un frère et d’une sœur célèbres, et traités sur un ton burlesque – en dépit de la situation dramatique.
Peut-être à la manière du poète de ce couple – on peut rêver !
Note importante concernant les citations :
Le texte emprunte plusieurs passages à l’œuvre de Paul Claudel. Ils sont répertoriés, avec la mention de leur source, à la fin de cette édition.
Les citations d’autres auteurs suivent la même règle.
Propriété intellectuelle des œuvres de Camille Claudel et d’Auguste Rodin :
L’Agence photographique du musée Rodin dit :
« Il faudrait choisir les œuvres que [l’on] souhait[e] projeter.
Camille Claudel est tombée dans le domaine public depuis le 1 er janvier 2014, mais il faut quand même continuer à avertir les héritiers pour le droit moral. [On peut] contacte[r] l’ADAGP qui gérait les droits d’auteur pour eux.
Pour les œuvres de Rodin, […] nous adresse[r] [la] demande. Les photos en basse définition pour une projection sont vendues 8 euros hors taxe. »
Cadre :
Un asile public d’aliénés, au début des années 1940.
Décor :
Salon bureau, avec, au fond à droite, une porte donnant sur un couloir, à droite une autre porte, celle de la chambre d’Hyacinthe.
Le mur du fond du salon bureau est plan et blanc, assez grand pour permettre la projection de l’image fixe d’une sculpture.
À gauche, une porte-fenêtre donnant sur un jardin.
Au milieu, une grande table-bureau, des chaises ou fauteuils, un divan.
Les directions sont indiquées du point de vue du spectateur.
Personnages :
- Angèle, femme de ménage à l’institution (Ici, elle a le parler de la campagne d’autrefois. On peut aussi imaginer une femme africaine, avec son accent chantant, – en respectant l’esprit du texte.)
- Sœur Sascha, infirmière à l’institution.
- Hyacinthe, pensionnaire de l’institution, sœur de l’ambassadeur.
- Le docteur Adonis, médecin de l’institution.
- Athanase, l’ambassadeur.
- Roger, son chauffeur.
- Émile, sculpteur.
Remarques sur les acteurs :
- Hyacinthe est une femme de taille moyenne, solide, belle plus que jolie, aux cheveux châtains. Elle doit avoir les yeux bleus. Elle boite légèrement.
La comédienne devra pouvoir se transformer de trente ans (apparition à l’acte – scène 3) à soixante ans (reste de la pièce).
- Athanase est petit, rond et lourd ; il porte un costume trois-pièces. Il a, de préférence, de grands yeux bleus.
Il est direct, pragmatique, mais pas brutal.
- Émile a une grosse tête, un nez massif, est barbu. Il est petit et râblé. Il a une voix douce.
- Sœur Sascha est grande et mince.
Acte I
On arrive… de loin.
Scène 1
La femme de ménage passe la serpillière sur scène dans le prolongement du couloir. Venant du couloir, on entend des rires, des voix ricanantes, éraillées ; on entend aussi le poème suivant :
« Voulez-vous manger des cesses
Voulez-vous manger du flan ?
Quand irons-nous à Liesse,
Quand irons-nous à Laon ? » (1)
Chaque fois que la porte du couloir est ouverte, avant qu’elle ne soit refermée, on perçoit ces rires, etc., et les paroles d’un poème (celui-là ou un autre – voir plus bas), dites ou chantées à plusieurs, symbolisant l’état d’esprit des patients de l’institution ; les intonations pourront varier, « chantantes et voluptueuses », ou « âpres et sourdes », comme dit Rivarol.
Quand un poème n’est plus spécifiquement indiqué, rien n’empêche, dans ces circonstances, de reprendre un des précédents.
La femme de ménage ferme la porte du couloir.
Bruits de chute d’objets dans la chambre.
Sort de celle-ci, sœur Sascha.
sœur Sascha
Ah ! Angèle… bonjour ! Déjà au travail…
Angèle
Faut ben… Que ça y soit propre, qu’on m’a dit ! Bonjour, sœur Sascha.
sœur Sascha
On attend de la visite, aujourd’hui.
Angèle
Comment ça vat’y par là-d’dans ?
sœur Sascha
Pas plus mal qu’hier, qu’avant-hier, qu’il y a un an…
Angèle
J’entendions du vacarme à l’instant !
sœur Sascha
Pas grand-chose : un pot de confiture, qui paraissait louche… Elle fait sa toilette maintenant, gentiment. Elle veut être belle !
Angèle
Gâcher la nourriture – j’aimons pas ben. C’est pour les riches, ça… Et puis après, qu’est-ce qui nettoie ? Tout son dîner, qu’j’ai dû y ramasser l’aut’jour.
La sœur s’assied.
sœur Sascha
Elle n’est pas riche, Angèle. Et d’esprit, elle est très pauvre, il faut prier pour elle.
Angèle
Vous et vot’Bon Dieu… Il y a longtemps que j’le vois pu, çui-là !
sœur Sascha
Lui te voit…
Angèle
Ben, pardi…
sœur Sascha
Il voit que tu fais du bien en travaillant ici.
Angèle
C’est la paye qui fait du bien – et moi, j’gaspillons rien…
sœur Sascha
Parce qu’ l t’a mis la tête bien en place sur les épaules… Quand est-ce que tu m’accompagnes à la messe du matin ?
Angèle
Ça compt’y dans mes heures ?
sœur Sascha
Ça compte pour Lui.
On entend encore dans la chambre des bruits d’objets heurtés. Les deux femmes s’interrompent.
Angèle
Qu’est-ce qui se trafique encore ?
La sœur se lève et entrouvre la porte de la chambre.
sœur Sascha
Mademoiselle Hyacinthe, tout va bien ?
Hyacinthe
Mon chapeau, on m’a pris mon chapeau !
Sœur Sascha
Mais non… Où l’aviez-vous mis ?
Hyacinthe
Sous mon lit. On me l’a volé !
sœur Sascha
J’aperçois un carton rond en haut de l’armoire… Là !
On entend le bruit d’objets qui tombent.
Hyacinthe
Qui l’a caché dans cette boîte ? C’est insensé, non ?
sœur Sascha
Tout s’arrange… Vous êtes très élégante !
Hyacinthe
Vraiment ? On vient de si loin… Vous croyez que je vais plaire ?
sœur Sascha
Vous avez belle allure, je vous assure !
Hyacinthe
Attendez ! On m’a pris mon parapluie… Il n’est plus là.
sœur Sascha
Mademoiselle, êtes-vous certaine d’en avoir besoin ?
Hyacinthe
Je n’irai pas si je n’ai pas mon parapluie. Une femme bien mise porte à son bras un parapluie ! Il est venu le voler, le rastaquouère. Sûr !
sœur Sascha
N’est-ce pas un parapluie qui est appuyé contre le radiateur ?
Hyacinthe
Ah ! vous avez raison… Il a eu peur et l’a remis en douce…
La sœur referme la porte. Angèle s’est assise, son balai entre les jambes.
sœur Sascha
Il gèle dans cette chambre…
Angèle
Pour sûr, y a le chauffage qu’est en panne… Ça fuyait de partout dans le couloir, y s’ont dû y fermer.
sœur Sascha
Elle a pu se débarbouiller un peu.
Angèle
Qu’est-ce qu’elle croit, c’te pauvre vieille ? Qu’elle va séduire un homme ?
sœur Sascha
Elle attend une visite. Elle n’en a jamais. Soyez bonne, Angèle…
Angèle
Oh ! moi, je l’aimions bien. Est pas méchante. Une galette, qu’elle m’a payée, l’aut’jour… C’est de j’ter le rata sur le carreau, que j’reproche.
Survient le docteur Adonis, médecin à l’institution. Il porte un costume, sous une blouse blanche ouverte sur le devant ; curiosité : il a deux cravates, l’une et l’autre élégamment nouées à leur place.
Le temps qu’il ouvre et referme la porte du couloir, on entend :
« Celui qui m’entendrait chanter,
Penserait que je suis joyeux !
Je suis comme le petit oiseau
Qui chante lorsqu’il se meurt. » (2)
Ou :
« Voulez-vous manger des cesses
Voulez-vous manger du flan ?