Voyage en Crète et en Grèce méridionale
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Voyage en Crète et en Grèce méridionale , livre ebook

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Description

Les vacances en Grèce ! Bien sûr, on y va pour se délasser, puisque les vacances servent en priorité à s’alléger le cœur, à reprendre sa respiration. Raison pour laquelle existent les grands hôtels de Rhodes, Corfou, Kalamata ou Réthymnon, avec leurs excellentes formules qui vous invitent, dès votre arrivée, à laisser tous vos soucis au vestiaire. Quoi de mieux qu’un bon cocktail à siroter tout en barbotant dans l’eau d’une piscine plus bleue que bleue, sous un ciel bleu pétaradant, avec devant vous la mer bleue et des palmiers verts ? Quoi de mieux, en effet ? Si vous étiez à Marbella ou à Ibiza, la réponse serait : « presque rien » et ce serait une grande vérité, car ce presque rien se concentrerait sur des fêtes suprêmes qui vous entraîneraient, la nuit venue, dans des ivresses cosmiques au bout de la musique. Mais en Grèce, la réponse sera : « presque tout », eh oui, car, pour compenser la cruelle absence de Djs intergalactiques, et malgré le grand pouvoir du « all inclusive » sur mes volontés ébahies, il y a les temples, le bouzouki, le retzina, les tavernes, les statues, les olives et les salades, le soleil dingue, les musées magnifiques, le café grec, les îles partout, le vin jaune, le gyros, l’écriture sur les panneaux, la langue qui chante quelque chose de tellement différent de ce que vous êtes, et qui pourtant est dans votre héritage puisque la moitié de vos mots sont en grec : tout ça en même temps ! Plus la musique. Alors... les petits voyages que je vous propose sont, il faut bien le dire, assez érudits. Ils sont un peu sur le modèle des voyages du dix-neuvième siècle où l’on allait à Rome, à Athènes pour s’affiner l’âme et le goût. Pas de problème, ici aussi on s’affine l’âme et le goût. Sans pour autant tomber dans l’esthétisme pontifiant, et tout en appréciant les parasols. Donc... courage, sortez de l’hôtel et des circuits ; il sera toujours temps de s’y laisser ré entraîner ; plongez-vous d’abord dans l’humanité qui va et vient, affairée, autour de vous. Perdez-vous dans la langue, dans les rues inconnues ; toutes sortes de surprises multicolores vous y attendent. Par exemple : la première gérante de restaurant que je rencontrai s’appelait... « Déméter ? Ai-je bien entendu ? Is your name really Déméter ? — No, Dmetreria — Demeteria ? Like the godness, that’s so great, tout à fait crowning ! — Noôô ! Look at my lips : Dem-i-tre-ya — C’est bien ce que je dis : Déméter ; rhah THE ULTIMATE NAME !!— Mais NOOO bougre d’âne : DMITRIA, comme Dmitri mais en féminin, regardez c’est marqué là, bulot !! » et elle pointa du doigt en bas à droite sur la carte du menu : Dmitria la patronne. Vexée, fulminante, sourcilleuse et humiliante. Atterrissage brutal de monsieur Berger depuis les hauteurs de la mythologie classique jusque dans le slavisme quotidien d’une personne originaire des Balkans. Et en plus elle parlait français. Tout comme parlait français mon tout premier vagabond grec que je rencontrai sous un laurier, un matin tôt, au bord de la mer : allongé sur un lit d’algues sèches, ancien garçon de café à Paris, mendiant à la plage. Prénom : Achille.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 14
EAN13 9782924550595
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

VOYAGES EN CRÈTE ET EN GRÈCE MÉRIDIONALE - volume 1 -
A. E. BERGER
© ÉLP éditeur, 2021 www.elpediteur.com elpediteur@gmail.com ISBN :978-2-924550-59-5 Image de la couverture : A.E. Berger À Sitía en septembre (CC BY-SA)
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ÉLP éditeur est une maison d’édition 100% numérique fondée au printemps 2010. Immatriculée au Québec (Canada), ÉLP a toutefois une vocation tr ansatlantique: ses auteurs comme les membres de son comité éditorial proviennent de toute la Francophonie. Pour toute question ou commentaire concernant cet ouvrage, n’hésitez pas à écrire à : ecrirelirepenser@gmail.com
Voyages en Crète et en Grèce méridionale
Première partie : introduction Carte de Crète et Grèce méridionale Le monde grec Tableau chronologique Seconde partie : les voyages Les chiens de Messénie Théâtre, amphithéâtre La petite fontaine vénitienne Un staurogramme Epidavros Le palmier Gournia, ville de Crète Les quatre mortiers de Nauplie Briareos l’Hécatonchire Minos Tsunami Interlude I Le destin La bataille de Pylos Combat naval Navarin Archaia Messíni Níkos Kazantzákis Interlude II Strélla Erotókritos et Aretoúsa Le voyage au Cap Ténare Le naturalisme minoen Arès dans le Magne Le palais mycénien de Pylos Milatos
Et après ? Orientation bibliographique À propos de l’auteur
Crète et Grèce méridionale Sont indiquées quelques-unes des principales places du monde grec méridional, ainsi que des stations secondaires qui ont fait l’objet d’une étude ou d’un commentaire dans le présent ouvrage.
Voyages en Crète et en Grèce méridionale - 1
Le monde grec
Pour les touristes qui abordent cette région, le monde grec est un ensemble haut en couleurs, relevé de goût, musical, délassant, chaud, et d’une élégance ancienne qui propose son étrangeté toujours mélangée à de la joie, les grillades de mouton à l’ombre du bateau et les cocktails au bar de l’hôtel encadrant très agréablement les expéditions aux ruines ou les visites dans les musées.
La Grèce présente cette particularité de n’être pas qu’un pays mais, malgré sa taille réduite, un ensemble de petits mondes très différents entre eux (Péloponnèse, archipels de la mer Égée, cités côtières d’Asie mineure, montagnes balkaniques etc.), reliés cependant par le ciment très puissant d’une histoire vécue en commun depuis des millénaires. Pendant longtemps, la région regroupa des États qui tous reconnaissaient la domination religieuse de Delphes, territoire du principal oracle où chaque cité, chaque capitaine venait chercher un destin, recevait des ordres, déposait des offrandes, repartait avec une prophétie.Delphes,c’est le cœur battant de tous les Grecs des temps anciens, leur centre moral indiscutable, et très disputé ; du reste on trouve, dans son sanctuaire d’Apollon, le plus célèbre omphalos du monde antique. Delphes est le centre du monde tout court.
Delphes :Αδελφός - αδελφή, adElphós - adElphí: frère - sœur (du même ventre).
La région qui nous occupe sort du mutisme avec de l’art statuaire d’abord, avec des écritures ensuite, puis avec de l’histoire et de la littérature. Aujourd’hui, l’esprit humain y tourne à plein régime.
Ce qui un jour sera la Grèce émerge des ténèbres à l’Âge du bronze (circa -3000). Avant cette date, presque tout de l’activité humaine est en-dessous de l’horizon, indétectable à quelques artefacts près : débris d’habitats du Moustérien récent de -40.000, grottes occupées sans interruption pendant plus de seize millénaires (les cités de Beijing ou de Jéricho font bien jeunettes à côté), apparition d’une statuette par-ci, par-là. On passe des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs, on découvre le bronze, et alors seulement s’ébranle l’histoire.
À cette époque, l’Égypte est déjà un bel empire. Sous l’impulsion du Roi Scorpion et de ses successeurs, les groupes néolithiques qui s’étageaient le long du Nil s’étaient fédérés en deux puissantes régions qui, une fois réunies sous une seule domination, donnèrent cette civilisation unique au monde où l’on découvrait jusqu’où pouvait aller la gentillesse et la piété du service aux morts ainsi que l’observation de l’harmonie à travers des réalisations aussi gigantesques qu’une pyramide pour ce qui est de l’architecture, ou la règle de Maât dans le domaine de l’esprit. Je ne dirai rien ici de ce qu’ont fait les prêtres pour ligoter les pharaons, ni de ce qu’ont fait les pharaons pour dominer les prêtres : le cœur humain est partout le même et souille jusqu’aux plus pures idées. Et cela ne nous concerne pas.
Les Cyclades :
Pendant ce temps, dans le sud de la mer Égée, les îles Cyclades sortent de l’obscurité en partageant autour d’elles un ensemble d’objets et de valeurs qui suggèrent à l’archéologue Chrístos Tsoúntas (1898) qu’il y a là une culture commune, maritime et marchande, dont les traces les plus visibles sont ces jolies statuettes de marbre poli, d’un aspect furieusement moderne, qu’on retrouve à l’ouest jusqu’au-delà du seuil de Gibraltar, et au nord jusqu’aux abords du Danube. La Crète pré-minoenne est elle aussi influencée par cet art cycladique.
La Crète minoenne :
Dans la région, les premiers documents écrits proviennent de cette grande île. Minos, dont la renommée a fait le tour du monde, a donné, pour le meilleur et pour le pire, son nom à une des plus fabuleuses civilisations de la Méditerranée orientale : la thalassocratie crétoise, que l’on connaît sous l’appellation de civilisation « minoenne ».
Apparue au cours du vingt-huitième siècle avant notre ère, elle s’est éteinte ou transformée pendant le treizième siècle. Mais déjà vers -1400, le palais de Knossos, au moment où il fut détruit, était géré par une dynastie parlant non plus minoen mais achéen. La fin a donc été lente, et peut-être douloureuse si l’on considère l’étalement chronologique de la chute des divers palais ; les Minoens ont eu le temps de se voir sombrer.
Sur une carte, la civilisation minoenne se caractérise premièrement par le développement de sa zone d’influence géopolitique, qui va de la côte orientale de la Sicile jusqu’aux marges égéennes de l’Asie Mineure ; deuxièmement par son importance économique : l’Attique aussi bien que la Basse-Égypte sont des espaces où s’écoulent les produits minoens, et donc un peu de la culture de ce peuple singulier.
Sur le plan technique, la civilisation minoenne, tout comme sa voisine égyptienne, naît dans le Néolithique, et passe au cours du vingt-septième siècle à l’Âge du cuivre, ce métal étant probablement importé deChypre,et le savoir artisan qui lui correspond venant très certainement de la côte anatolienne.
Κύπρος, le nom de Chypre, est le mot grec pour le cuivre.
Politiquement, il semble que cette civilisation se soit organisée autour de grands palais, dont dépendaient d’immenses domaines et des quasi-cités – étant entendu qu’une « cité » dans le monde antique n’est vraiment pas grosse du tout quand on la compare à un village actuel, ou à une zone d’activités : par exemple sur le continent, la fameuse citadelle de Mycènes, qui a pourtant donné son nom à une civilisation entière et qui est aussi un objet incontournable de la littérature antique, est à peine plus grande que le petit bourg de Μυκήνες (Mykínes) qui se pelotonne au pied de la célèbre colline.
Le palais, qui matérialise, dans l’architecture, l’administration du territoire, suit quelques constantes : tracé labyrinthique, utilisation de la pierre de taille, seuils monolithes, décorations murales sur enduits. Les fonctionnaires du palais utilisent pour communiquer un système d’écriture gravée sur tablette d’argile molle : le linéaire A, encore incompris. Comme partout dans le monde pré-antique, ce système nous a été conservé grâce aux incendies, qui ont cuit les tablettes, les rendant inutilisables. En archéologie, pour se faire une idée de la façon dont le peuple que vous étudiez fonctionnait, vous avez deux pistes principales : les tombes et les poubelles. Les tablettes cuites, c’est dans les poubelles.
Sur le plan militaire, cette civilisation, encore plus que celle des pharaons, se distingue par la part minuscule des ouvrages défensifs terrestres. Si l’Égypte tient tête aux ennemis d’abord grâce à ses déserts et à des brigades d’intervention bien équipées, bien entraînées et très mobiles, les Minoens se reposent entièrement sur une marine qui leur assure la suprématie en toute circonstance, et la sécurité absolue sur toutes leurs côtes, à tel point que si en Égypte on trouve encore quelques forteresses aux endroits stratégiques, il n’y a pas la moindre caserne détectable en Crète. Peut-être quand même y avait-il des gardioles, ou postes de guet, comme ce petit hameau perché dans une situation malcommode à mi-pente près du cañon de Xa, d’où l’on surveille le golfe de Mirabello au nord, la cité de Gournia au nord-ouest, l’autre cité de Vasiliki à l’ouest, et au sud toute la côte autour de Ierápetra. Mais enfin, à ces exceptions près (dont rien n’indique d’ailleurs qu’elles servaient à guetter la mer, car après tout, les palais minoens sont, entre eux, en féroce compétition économique et territoriale), la côte et les ports sont ouverts ; ce qui implique, ne soyons pas naïfs, l’existence d’une défense au large : celle constituée par des navires nombreux et dangereux.
Nous verrons du reste que les Minoens ont sécurisé la mer Égée afin d’y favoriser le commerce, que gênait une intense piraterie, souvent athénienne semble-t-il.
Pour ce qui est de la religion minoenne, c’est très mystérieux. Il n’y a pas de texte explicatif puisque le linéaire A n’a pas encore été traduit. Tout au plus avons-nous quelques soupçons d’une religion basée sur la nature, sur le printemps et la résurrection ; il y a une déesse-mère, comme il s’en trouve partout où les Néolithiques et leurs ancêtres ont laissé des statuettes, il y a un dieu-taureau lié au cycle de la vie (rien de plus couillu qu’un taureau, mais rien de plus dépendant de l’herbe qui renaît grâce au retour du soleil), il y a un « jeune dieu » chasseur, un peu sauvage, accompagné d’un lion parfois.
La civilisation mycénienne :
« Les arts circulent dans le monde, comme le sang dans le corps humain… » La réflexion est du tsar Pierre le Grand, dans un discours prononcé à Saint-Pétersbourg à l’automne 1714. Ce qu’il entendait par ce mot, les « arts », ce ne sont pas seulement les œuvres, dont certaines nous parlent et nous sont comme des oracles, mais aussi les arts appliqués et toutes les techniques.
Répandus à travers la Grèce continentale, depuis la Thessalie au nord jusqu’aux pointes du Péloponnèse et en Crète au sud, et jusqu’à Troie et Rhodes à l’est (pour ne citer que les plus grands sites), ceux que l’on a appelé les Mycéniens ont beaucoup emprunté de leurs voisins minoens (dont ils étaient ethnologiquement très proches), à commencer par l’organisation des territoires en un maillage de palais, dont les bâtiments s’inspiraient des modèles crétois. Ils en différaient cependant par quelques traits : le cœur du palais n’avait pas la même disposition, certaines pièces étaient dévolues à des fonctions non mises en avant chez les Minoens, et les dimensions des espaces étaient moins contraintes par la nécessité, en Crète, de construire des labyrinthes (dont nous comprendrons la fonction en visitant la vieille ville de Gournia dans le golfe de Mirabello).
Sur le continent, le danger ne vient pas de la mer. Les Mycéniens ne se protégeaient pas des étrangers par une flotte puissante, mais de leurs très proches voisins en érigeant parfois des citadelles aux murs épais, aux blocs souvent énormes, dont Tirynthe et surtout Mycènes offrent des exemples impressionnants.
Les élites qui dominaient ces territoires toujours un peu ennemis les uns des autres empruntèrent aussi aux Minoens leurs techniques de communication et d’archivage par écriture sur tablette : c’est le linéaire B, qui a, lui, été traduit assez vite car la langue qu’il exprime est ancêtre du grec ancien, que l’on sait lire.
En Crète, cette écriture apparaît à Knossos quelques décennies avant la chute de ce palais. C’est un marqueur de l’occupation mycénienne (de 1650 à 1100 avant notre ère) qui transcrit une langue inconnue jusqu’alors, celle de peuples apparus dans la région vers les seizième ou dix-septième siècles, et qui parlaient donc une forme archaïque de grec. L’apparition du linéaire B à Knossos signifie simplement que ces gens avaient investi l’île de Crète, soit par la guerre soit par des implantations. Impressionnés par le mode de vie local, ils l’ont, autant que possible, transposé dans leurs propres constructions politiques et administratives partout où ils s’étaient installés (Dimini, Lefkandi, Delphes, Araxos, Pylos, Sparte etc.)
Les envahis ont donc fécondé leurs envahisseurs ; mais l’acculturation n’est jamais complète, et on distingue les Mycéniens des Minoens non seulement par la langue des tablettes, mais aussi par les arts décoratifs (poterie, bijouterie, apparat) qui, pour les archéologues, sont l’expression la plus immédiate d’une culture.
Puisqu’on en parle : l’aire d’expansion culturelle des Mycéniens recoupe celle des Minoens mais la déborde au sud et à l’est : on trouve des tessons mycéniens jusqu’à la grande capitale Ouaset sur le Nil (en grec, Héliopolis, ou Thèbes, aujourd’hui Louksor), ju squ’à Uruk-les-clos, la cité du héros mésopotamien Gilgameš, et même jusqu’en Elam, en plein territoire iranien.
Les dieux, là-dedans, sont tous d’importation. Venus de l’est et du nord-est dans les bagages du peuple mycénien, ils se répandent et connaissent un succès considérable. Cependant, nous ne sommes pas, comme en Égypte, dans un univers homogène où les anciens totems des premières tribus fédérées, objets politiques par leur rôle d’enseignes, de bannières, de marqueurs territoriaux, sont devenus des objets de cultes officiels avec constitution lente de tout un appareil mythologique adapté à l’organisation du royaume, sans léser ni vexer personne. Un dieu ibis ou une déesse hippopotame ne pourraient exister en Grèce, où ne surgissent que des dieux incarnant des pans autonomes et souvent très délimités de l’activité émotionnelle ou technique des humains : dieu de la médecine, dieu du soleil, déesse de l’amour, dieu crétin de la guerre, déesse fine de la stratégie et des grandes victoires. Dieux non point autochtones comme une déesse lionne, mais investis d’un rôle à la portée universelle.
Dans le monde mycénien, nul dieu du cru n’est détectable. Les divinités de ce peuple, venues souvent de loin, jamais nées sur place, ne sont pas des chèvres ou des cigales, des serpents, des papillons ; ce sont des personnalisations. Apollon et Artémis viennent d’Anatolie, où leurs plus grands sanctuaires seront à Didymes et Éphèse. Héphaïstos, Héra, Zeus, Dionysos existent déjà ; ils incarnent la puissance, la folie, toutes sortes de concepts comme la démesure ou la jalousie, la famille.
L’Égypte, de son côté, sera très vite friande de ce genre d’intégration et de montée en grade : Apis ne sera plus seulement un dieu taureau préhistorique mais le fils du créateur universel Ptah, ce qui fait de ce bovidé un genre de Jésus lié au cosmos et à la résurrection, dans lequel on peut deviner une teinture de religion minoenne ; Thot, qu’il soit ibis ou babouin, deviendra le dieu de la science et de la sagesse ; la lionne sauvage Bastet finira en une chatte citadine ou campagnarde ; le prédateur faucon Horus sera le symbole du pharaon qui voit tout, surveille tout et fond sur les ennemis etc. etc.
La guerre menée par les peuples grecs contre la cité de Troie prend place à la fin de la période.
Les siècles obscurs (XIIe-VIIIesiècles) :
L’organisation mycénienne tombera. Ce qu’on a appelé la « chute des palais » peut avoir résulté d’un assemblage de diverses causes, parmi lesquelles il y a l’épuisement économique, la révolte des peuples soumis, les voisins trop enragés, et aussi les séismes qui détruisent tout et qui sont suivis d’incendies incontrôlables nés chaque fois qu’un feu s’est retrouvé précipité sur ce qu’il ne devait surtout pas brûler – mais l’on a jamais trouvé trace d’une invasion générale qui aurait tout ravagé.
Le monde mycénien s’effondre. Entre le douzième et le huitième siècle, plus rien ne fonctionne. Des familles nouvelles prennent le pouvoir, ou se lancent dans de grandes vengeances ; des peuples errent, mercenaires, comme peut-être les Doriens qu’on retrouve partout, rebondissant çà et là, à la suite de descendants du prince Héraclès en quête d’un nouveau destin.
Les siècles obscurs, ouDark AgEs, c’est la transition mal archivée et un peu mystérieuse entre le système palatial et l’apparition des cités, sur fond de migrations et de destructions peu interprétables. Les principaux futurs mythes à s’abreuver aux sources légendaires de l’époque sont celui d’Héraclès, que nous rencontrerons car il impacte considérablement la zone géographique qui fait l’objet du présent ouvrage, et celui du siège de Troie, qui déborde au nord-est mais dont les traces vont exploser dans la littérature générale de la région. Il y a aussi Thésée et le Minotaure, constitué en même temps que le surgissement d’Athènes en tant que ville avec laquelle il faut compter ; mais ce mythe-là s’appuie sur un narratif plus ancien, qui probablement se rapporte à une prise en charge mycénienne du territoire de Knossos en Crète.
En archéologie, l’époque commence par délivrer un artisanat qu’on juge dégénéré. Une poterie « submycénienne » s’inspire du style des ancêtres, mais n’en possède ni l’élégance, ni la force, ni la qualité : poterie de pacotille pour populations appauvries, qui nous illustre assez bien l’adage selon lequel la beauté mais aussi la qualité ne naissent que lorsque les conditions économiques permettent de se soucier d’autre chose que de survie.
En écriture, le linéaire B disparaît sauf à Chypre. En Crète ne subsiste plus qu’un système de transcription du parler local à base de signes qui n’ont plus rien à voir, graphiquement, avec le linéaire A : on parle d’un langage « étéocrétois » dont on retrouve quelques fragments, parfois bilingues (l’autre écriture étant grecque), mais dont le sens échappe – peut-être est-ce du minoen.
Puis apparaît un renouveau ; c’est la période dite « géométrique », caractérisée par des motifs tout à fait différents de ceux rencontrés dans les objets mycéniens ou minoens, aux influences plus orientales : voici maintenant des triangles, des damiers, des arcs de cercle, et les fameuses « grecques » au succès jamais démenti puisqu’on les utilise encore, de siècle en siècle, jusqu’aux abords de notre millénaire, sur des ourlets par exemple.
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