L’Empire des Choses

Xavier Dieux

Description

« Absorbable », d’un point de vue juridique, parce que le droit n’est rien d’autre qu’un instrument de réalisation du système politique et économique qui le mobilise à ses fins propres, la régulation algorithmique pose par contre des questions plus fondamentales d’un autre ordre, si elle s’accompagne de la confiscation du pouvoir par une communauté de « sachants », si elle stérilise le débat public, si elle assèche les choix de société en les asservissant à des logiques purement quantitatives et si elle rétrograde la liberté individuelle au rang de valeur subalterne au profit d’un certain « sociétalisme ». À quoi servirait-il de sauver une planète d’où toute liberté de dissidence aurait été bannie ?

Xavier Dieux est avocat au Barreau de Bruxelles, membre de l’Académie royale de Belgique, Directeur de la Classe Technologie et Société, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, ancien Doyen de la Faculté de Droit et membre honoraire de la Commission Bancaire et Financière.

Sujets

• Droit et juridique
• Droit

Informations

• Publié par: Académie royale de Belgique
• Nombre de lectures: 12
• EAN13: 9782803105809
• Langue: Français

Extrait

L’EMP IRE DES CHOSES

X D AVIER IEUX

L’Empire des choses Liberté – Complexité – Responsabilité

Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be

Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0588-5 © 2017, Académie royale de Belgique

Collection L’Académie en poche Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume 89

Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be

Crédits Conception et réalisation : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique

Couverture : Loredana Buscemi, Académie royale de Belgique

Publié en collaboration avec/avec le soutien de

En hommage à Philippe de Woot

Le présent opuscule constitue la reproduction, légèrement adaptée aux impératifs du langage écrit et, sur certains points, complétée, lorsque les développements de l’actualité le nécessitaient, d’une conférence présentée au Collège Belgique le 2 décembre 2015, dans le cadre d’un cycle intitulé « Vers une société sans auteur – La responsabilité dans les sociétés complexes ». Deux mois plus tôt, Philippe de Woot avait introduit par une éblouissante leçon la série des exposés qui allaient suivre. L’entendre était un privilège rare. À la précision de la pensée, alimentée aux sources de l’expérience, de la théorie économique, de la sociologie et de la philosophie morale, s’ajoutaient une élégance dans l’expression et une culture classique qui, par les temps qui courent, relevaient de « l’exception » — le mot prend ici véritablement tout son sens. Nous ignorions ce soir-là que c’était la dernière fois que nous aurions la chance de goûter au plaisir intellectuel que chacune de ses interventions offrait à un auditoire toujours conquis. Les cinq conférenciers s’étaient revus par la suite avec celui qui avait été l’initiateur du cycle, Jean-Pierre Hansen, et sous l’impulsion de Philippe de Woot, toujours le plus enthousiaste d’entre nous, la décision avait été prise de prolonger l’aventure par la publication d’un ouvrage approfondissant la réflexion que nos exposés avaient esquissée. Rendez-vous avait été pris pour la fin de l’été. Après avoir adressé à ses amis — parmi lesquels il m’avait fait l’honneur de me compter après que j’aie rejoint l’Académie en 2009 — un dernier message qui nous a tous bouleversés, Philippe de Woot nous a quittés à l’automne naissant. Il avait eu le temps de mettre au point sa contribution à partir de laquelle nos discussions étaient appelées à se poursuivre et l’ouvrage envisagé, à se concevoir. L’entreprise commune aura ainsi été interrompue ; mais la contribution de Philippe de Woot a pu être publiée, à l’initiative de notre secrétaire perpétuel, Hervé Hasquin, conscient que le temps comptait. Il ne lui a pas fallu longtemps non plus pour nous convaincre de donner à notre projet un autre prolongement, plus modeste, mais animé par la flamme du souvenir. Que le présent opuscule soit donc reçu comme un dernier signe à notre ami. Aux impératifs de l’érudition, qu’un passage de l’oral à l’écrit implique habituellement, j’ai préféré le respect d’un certain « momentum » dicté par l’émotion. Les idées, dont je me réjouissais de débattre avec Philippe de Woot sont là, en l’état dans lequel il en avait entendu l’exposé oral. Il était dans la 1 salle le 2 décembre 2015 et je conserve fidèlement en mémoire l’échange par lequel il avait immédiatement prolongé celui-ci, avec la bienveillance qui constituait une autre marque de son attachante personnalité.

« Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. » Claude Lévi-Strauss (Tristes Tropiques) « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. » Jean Cocteau (Les mariés de la Tour Eiffel) « Je vois ce que l’homme ajoute à la nuit et que la plus douce ne serait qu’horrible sans la passion de notre cœur. » François Mauriac (Nouveaux mémoires intérieurs)

C 1 HAPITRE Anthropocène et « sociétalisme »

S - ’ , , ’ ’ « OMMES NOUS EN TRAIN D ASSISTER À NOTRE CORPS DÉFENDANT À L AVÈNEMENT SOURNOIS D UNE SOCIÉTÉ  », ’ SANS AUTEUR EXPRESSION DÉSIGNANT SOUS LA FORME D UNE MÉTAPHORE UNE SOCIÉTÉ CARACTÉRISÉE PAR UN TSANSPRÉCÉDENTDESTECHNO - SCIENCESET , CORRÉLATIVEMENT , PARSACOMPLEXITÉOU , DÉVELOPPEMEN POUR LE DIRE IMMÉDIATEMENT DANS LA PERSPECTIVE DES QUELQUES QUESTIONS QUI NE SERONT ICI TRAITÉES  ’ , « », QUE D UN POINT DE VUE JURIDIQUE UNE SOCIÉTÉ FONCTIONNANT COMME UN SYSTÈME UNE COLLECTION OU  « », — UNE IMBRICATION DE SYSTÈMES DE PLUS EN PLUS AUTONOMES UNE SOCIÉTÉ QUI PARAÎT ÉCHAPPER  , , ’ , AINSI À LA MAÎTRISE DES HOMMES ET QUI POSE COMME TELLE LA QUESTION D UN EFFACEMENT DE LA LIBERTÉ de la volonté et de la responsabilité individuelles ? 2 D IAGNOSTIC , CONJECTUREOUPARADOXE ? C OMME P HILIPPEDE W OOTL ’ AMONTRÉ , LESYSTÈMETECHNO - CENTRÉDUFONCTIONNEMENTDUQUELNOUSSERIONSDEVENUSLESSP SESSSIUNPRODUITD ECTATEUR T AU E ’ ’ , ’ ’ L INTELLIGENCE ET DE L INVENTIVITÉ HUMAINES DE L ESPRIT D INNOVATION QUI REND POSSIBLE ’ , . N , L IMPOSSIBLE POUR EMPLOYER UNE EXPRESSION QUI LUI ÉTAIT CHÈRE OUS SERIONS MÊME PASSÉS POUR  ’ , ’ ’ , ’ REPRENDRE À NOUVEAU L UN DE SES PROPOS DE L HOLOCÈNE À L ANTHROPOCÈNE CARACTÉRISTIQUE D UNE ÈRE  ’ , NOUVELLE OÙ LE GENRE HUMAIN DISPOSE D UN POUVOIR TECHNIQUE VÉRITABLEMENT CONCURRENT DE VOIRE supérieur à, celui des forces de la nature. N , - - , , OUS DISPOSONS NOUS A T IL RAPPELÉ DE LA CAPACITÉ DE DÉTRUIRE LA PLANÈTE AVEC LA BOMBE  , , , - ATOMIQUE BIEN SÛR ET DEPUIS UN CERTAIN TEMPS DÉJÀ OU PLUS LENTEMENT MAIS PLUS SÛREMENT PEUT , ’ ÊTRE À TRAVERS L UTILISATION DE TECHNIQUES DÉRÉGLANT LE CLIMAT ET LES ÉQUILIBRES NATURELS DONT DÉPEND  ’ , , LA PÉRENNITÉ DE L ESPÈCE ET DE LA PLANÈTE PUISQUE NOUS SOMMES ENTRÉS AUSSI NON SANS IMMODESTIE 3  , ’ . L’ ’ NI SANS TÉMÉRITÉ DANS L ÂGE PLANÉTAIRE INTELLIGENCE HUMAINE S EST CONSTITUÉE UNE CONCURRENTE  ’ « » AVEC L INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET NOUS DEVRIONS ÊTRE BIENTÔT CAPABLES DE NOUS AUGMENTER POUR  , ’ ’ ’ TRIOMPHER DE NOTRE FINITUDE BIOLOGIQUE LAQUELLE A CESSÉ D ÊTRE UNE FATALITÉ POUR N ÊTRE PLUS QU UN 4 problème à résoudre, selon des anticipations qui ont cessé de relever de la science-fiction . L EGENREHUMAIN  — SIL ’ ONOSEENCOREDIREÀUNEÉPOQUEOÙILESTPOLITIQUEMENTCORRECTDE ’ , , ’ — L ÉCLATER EN DEUX OU PLUS POUR N EN PLUS TRAITER QUE DANS UNE PERSPECTIVE CONFLICTUELLE SEMBLE ’ , , N AVOIR JAMAIS ÉTÉ AUSSI MAÎTRE DE SON DESTIN ET DE SON ENVIRONNEMENT AU SENS LE PLUS LARGE ’ ’ . E , - , « QU AUJOURD HUI N CE SENS ET POUR PROLONGER LA MÉTAPHORE ÉVOQUÉE CI DESSUS IL EN RESTE ’ » ’ ’ L AUTEUR ET IL RESTE PAR CONSÉQUENT COMPTABLE DE L UTILISATION DES MOYENS DONT IL S EST DOTÉ POUR dominer le monde. O , « » ( BSERVATION CERTES TRÈS GÉNÉRALE QUI RELÈVE COMME TELLE DU POLITIQUE AU SENS ÉLEVÉ DU TERME ) ETQUENOUSNETRAITERONSDONCPASDAVANTAGEICI , SAUF , ÀTITREINTRODUCTIFENQUELQUESORTE , POURNOTERINCIDEMMENTQUETRAITERDUPROGRÈSTECHNOLOGIQUESOUSL ’ ANGLEDESRESPONSABILITÉSQUI DOIVENTL ’ ACCOMPAGNER , AUPLUSHAUTNIVEAUQUIESTCELUIDES  « CHOIXDESOCIÉTÉ  », NEPOST ULE aucun jugement de valeura priori, négatif ou péjoratif. « L AHAUTEPOLITIQUE , C ’ ESTLEBONSENSAPPLIQUÉAUXGRANDESCHOSES ». A INSIS ’ EXPRIMAITJADIS R M , , ENÉ ARCQ ÉMINENT JURISCONSULTE DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU SIÈCLE PASSÉ À PROPOS DES GRANDS 5  . O — ’ , PROBLÈMES DE SON TEMPS R IL FAUT AUSSI QUE CELA SOIT REDIT AUJOURD HUI EU ÉGARD À LA , , DÉFIANCE SINON LA SUSPICION IDÉOLOGIQUE À LAQUELLE LES DÉCOUVERTES DE LA SCIENCE ET LEURS  — , APPLICATIONS SONT EXPOSÉES LE PROGRÈS TECHNIQUE DANS LES SOCIÉTÉS DANS LESQUELLES IL A PRIS SA  ’ , ’ - - , ’ , E A , SOURCE ET S EST DÉVELOPPÉ C EST À DIRE POUR L ESSENTIEL EN UROPE ET EN MÉRIQUE DU NORD A  , ÉLEVÉ LE NIVEAU DE VIE MOYEN DES POPULATIONS À UN DEGRÉ INÉGALÉ ET CES SOCIÉTÉS SONT AUSSI POUR  ’ , , ’ , NOMBRE D ENTRE ELLES DES SOCIÉTÉS OÙ LE PRINCIPE DE LA LIBRE ENTREPRISE L ÉCONOMIE DE MARCHÉ LA  ’ , , LIBERTÉ D EXPRESSION LA LIBRE PENSÉE ET LA LIBERTÉ DE CULTE AINSI QUE PLUS GÉNÉRALEMENT LE PRINCIPE libéral de la démocratie représentative, ont triomphé. U « » , ’ N SYSTÈME ENVIÉ AU MOINS DE LA PART D UNE FRACTION NOTABLE DE CEUX QUI EN SONT  — ’ — . Q ’ — PRIVÉS L ACTUALITÉ EN ATTESTE SUFFISAMMENT ET ENVIABLE EN EFFET U IL SOIT PARFAIT LES

 - ? — ’ : ’ — AUTRES LE SONT ILS IL S EN FAUT DE BEAUCOUP LES ACCIDENTS DE L HISTOIRE LA CRISE FINANCIÈRE DE 2008 ET , DANSLEPROLONGEMENTDECELLE - CI , LA « RÉVOLTEPARLESURNES » QUIAFRAPPÉPLUSD ’ UNE FOISLESCONSCIENCESEN — 2016 OUTRELESRISQUESDETYPEÉCOLOGIQUEQUE  P HILIPPEDE  W OOTA 6 DÉCRITSSURLELONGTERME , ENTÉMOIGNENTASSEZ . M AISSIELLEENJUSTIFIELAMODÉRATI , ON L ’ OBSERVATIONDECESACCIDENTSNESAURAITLÉGITIMER , POLITIQUEMENT , LACONDAMNATIONDUSYSTÈME , sauf à en falsifier arbitrairement le bilan. P — — ’ - AS PLUS NOUS Y REVIENDRONS LE CONSTAT D UN SUCCÈS SEULEMENT RELATIF NE SAURAIT IL JUSTIFIER  « - » ’ , « NI UNE ÉCO LOGIQUE D EFFICIENCE DE TYPE AUTORITAIRE ET COLLECTIVISTE SAUF À VERSER DANS LE SOCIÉTALISME » QUINESERAIT , TOUTCOMPTEFAIT , QU ’ UN « COMMUNISME » ÀD ’ AUTRESFINS , C ’ EST - À - DIRE  , , - , « » UN NOUVEAU TOTALITARISME NI ASSERVIE À CELUI CI UNE ALGORITHMISATION RADICALE DE LA RÉGULATION , SOCIALE DESTRUCTRICE DES FILTRES DE LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE À LAQUELLE SERAIT PROGRESSIVEMENT  , « », « », SUBSTITUÉE UNE DICTATURE DU RÉSEAU LA NUMÉRISATION AINSI TRANSFORMÉE EN NUMÉRISME ’ ’ ’ , ’ ’ N ÉTANT PLUS ALORS QUE L INSTRUMENT D UN DIKTAT DE MASSE D AUTANT PLUS REDOUTABLE QU IL SE TERRE 7 dans la foule, dilutive des identités et, comme telle, anonyme .

C2 HAPITRE Techno-centrisme, morale et droit(s) positif(s)

E ’ , , ’ NVISAGÉ D UN POINT DE VUE JURIDIQUE ET DE CE POINT DE VUE À L INTÉRIEUR DU SYSTÈME JURIDIQUE TEL 8 ’ , ’ , , ’ QU IL EST PUISQU IL EN EXISTE UN AUSSI OUVERT AUX ÉVOLUTIONS QUE PERMETTENT À L ABRI DES 9  , « » , IDÉOLOGIES DE GRAND SOIR ET DE TABLE RASE LES PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR LESQUELS IL REPOSE ’ ’ « - » , , L AVÈNEMENT D UNE SOCIÉTÉ TECHNO CENTRÉE POSE DES QUESTIONS QUI À VRAI DIRE NE SONT PAS , ’ , INÉDITES SI ELLES SONT RENOUVELÉES OU AMPLIFIÉES PAR LES INNOVATIONS DE L INFORMATIQUE DE l’automation, de la cybernétique, de la dématérialisation et de la « numérisation ». e 10 D ÈSLE XIX SIÈCLE , LA « SCIENCEJURIDIQUE » ETLAPRATIQUEDUDROITSESONTSIGNALÉESENEFFET PAR LA MISE AU POINT DE TECHNIQUES ADAPTÉES AUX BESOINS ET AUX RISQUES PROPRES À LA SOCIÉTÉ USTRIELLE , PARCEQUELAFONCTIONPREMIÈREDUROITESTDEFAIREENSORTEQU ’ AUMOMENTETÀ IND D l’endroit où il lui revient de s’appliquer, le système politique, économique et social fonctionne, et  , , FONCTIONNE DANS UNE PERSPECTIVE DE CONTINUITÉ LAQUELLE SUPPOSE SUR UN AUTRE PLAN QUI EST CELUI DU « » , ’ POLITIQUE AUQUEL NOUS AVONS DÉJÀ FAIT ALLUSION UN MINIMUM D ADHÉSION DE LA PART DU PLUS GRANDNOMBREDES  « HABITANTS  » DUSYSTÈME , C ’ EST - À - DIREDECEUXDONTLESINTÉRÊTS , NONALIGNÉS ,  ’ : « », « », « », SONT SUSCEPTIBLES D ÊTRE AFFECTÉS PAR LUI LES PARTIES PRENANTES LA NATION LE PEUPLE LA « », « » « », ’ COLLECTIVITÉ LA COMMUNAUTÉ OU LA SOCIÉTÉ SELON LE VOCABULAIRE PROPRE À L APPROCHE 11 adoptée . P , AR OÙ LA FONCTION DU DROIT PROPREMENT DIT EN PARTICULIER DU DROIT ÉCONOMIQUE AU SENS LE PLUS large, puisque c’est lui qui retiendra ici notre attention, ne relève pas nécessairement de la morale 12 ou de l’éthique, même lorsqu’il a l’air de s’en mêler . Le droit est un...