Ce qui est à toi est à moi : Contre Airbnb, Uber et autres avatars de l «économie du partage»
144 pages
Français

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Ce qui est à toi est à moi : Contre Airbnb, Uber et autres avatars de l'«économie du partage» , livre ebook

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Description

On ne cesse d’entendre leurs noms. Uber, Airbnb, Lyft et tant d’autres jeunes pousses devenues grandes seraient en passe de redéfinir le capitalisme.
Pourtant, si l’on gratte le vernis d’innovation, cette vague de sociétés high-tech, pour la plupart américaines, est financée par des fonds de capital-risque sur un mode on ne peut plus traditionnel. Et derrière des promesses alléchantes dignes des mouvements sociaux les plus vertueux se dissimule une réalité bien plus glauque : l’économie du partage est en train de faire pénétrer dans des domaines auparavant protégés de nos vies un marché toujours plus avide et déréglementé.
Tom Slee offre ici une synthèse lucide et documentée des enjeux liés à ce qu’on appelle l’économie du partage ou collaborative. Tranchant comme un rasoir, Ce qui est à toi est à moi montre que parce que ce modèle offre à quelques-uns la possibilité de gagner des fortunes aux dépens des collectivités, il est rien moins que délétère sur le plan social, urbain et économique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782895966999
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Lux Éditeur, 2016
www.luxediteur.com
© Tom Slee, 2015.
Cette édition est publiée avec l’accord de OR Books LLC, New York.
Titre original: What’s Yours Is Mine: Against the Sharing Economy
Conception graphique de la couverture: David Drummond
Dépôt légal: 3 e trimestre 2016
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (epub): 978-2-89596-699-9
ISBN (papier): 978-2-89596-234-2
Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition, ainsi que du Programme national de traduction pour l’édition du livre, une initiative de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018: éducation, immigration, communautés , pour nos activités de traduction.

Pour ma mère, Audrey Slee

Les membres de la haute société trouvent vulgaire de parler de nourriture.
Le fait est: ils ont déjà le ventre plein.
Bertolt B RECHT , D’après un manuel de guerre allemand
Ce qui est à toi est à moi,
Ce qui est à moi m’appartient.
Proverbe traditionnel du Yorkshire
Chapitre 1
L’économie du partage
O N APPELLE «économie du partage [*] » ce nouveau genre de commerce utilisant internet pour mettre en relation clients et fournisseurs de services, et dont le but est d’organiser, dans le monde physique, des échanges tels que la location d’appartements à court terme, le covoiturage et la prestation de tâches ménagères. Airbnb et Uber occupent le premier plan de ce secteur. Ces deux entreprises se targuent de fragiliser les industries traditionnelles du transport et du tourisme, ce que semble confirmer leur expansion pour le moins impressionnante. Ces deux leaders sont suivis par une myriade d’entreprises désireuses de les rejoindre au sommet de l’univers de l’économie du partage.
Cette dernière est décrite par les uns comme un nouveau type de commerce, par les autres comme un mouvement social. Dans l’univers numérique, les deux concepts se mêlent souvent. La Silicon Valley compte parmi ses membres certains des gens les plus riches de la planète. Pourtant, si l’on en croit leurs dires, l’argent ne serait pas leur unique intérêt: ils contribueraient à construire un monde meilleur. Internet améliorerait le monde, non seulement en nous offrant des gadgets plus perfectionnés et en démultipliant les informations auxquelles nous avons accès, mais en remodelant radicalement la société. Nous disposerions désormais de la technologie nécessaire pour résoudre des problèmes dont l’humanité souffre depuis des siècles; l’informatique remplacerait règles et institutions obsolètes.
L’enthousiasme suscité par l’économie du partage a débuté il y a quelques années, mais c’est en 2013 et en 2014 que le phénomène a réellement pénétré l’ensemble de la société. Pour plusieurs, et notamment pour moi, ses promesses étaient alléchantes. L’idée est de partir des échanges informels – offrir du covoiturage à un ami, emprunter une perceuse, faire quelques courses pour un voisin – pour, grâce au pouvoir de liaison d’internet, les décupler de sorte que les individus dépendent finalement plus les uns des autres que de sociétés lointaines et anonymes. Comment résister? Chaque échange permet à l’un de gagner un peu d’argent et à l’autre de gagner un peu de temps. En nous engageant dans le mouvement, nous contribuons à édifier une communauté au lieu de nous confiner dans un rôle de consommateur passif et bassement matérialiste. Nous fondons une nouvelle ère d’ouverture dans laquelle nous trouverons partout une main tendue et secourable.
L’économie du partage promet d’aider des individus précédemment démunis à devenir des «micro-entrepreneurs» et à exercer ainsi davantage de contrôle sur leurs vies. Grâce à la flexibilité de ce nouveau mode de travail, nous serons désormais autonomes, libres de nos mouvements, et nous aurons nos propres activités sur les sites web des sociétés de l’économie du partage – hôtes sur Airbnb, chauffeurs sur Lyft ou BlaBlaCar, bricoleurs sur Handy ou investisseurs altruistes prêtant de l’argent par le biais de Lending Club. Ce mouvement semble menacer les puissants de ce monde, les grandes chaînes hôtelières, par exemple, les chaînes de restauration rapide et les banques. Sa vision égalitaire est basée sur les échanges entre pairs plutôt qu’entre organisations hiérarchiques, favorisés par le pouvoir rassembleur d’internet. L’économie du partage promet d’«amener les Américains [et les autres] à se faire mutuellement confiance [1] ».
L’économie du partage promet également d’être une alternative durable, au sens d’écologique, au commerce de masse, en nous aidant à faire un meilleur usage de ressources sous-utilisées – pourquoi tout le monde aurait-il une perceuse électrique dormant sur une étagère quand nous pouvons en partager une? Nous pourrions acheter moins et réduire ainsi notre empreinte sur la planète – peut-être utiliser Uber au lieu d’acheter une voiture? À la propriété, nous pouvons préférer l’accès, et rompre avec un consumérisme dans lequel nous sommes nombreux à nous sentir piégés. Nous pouvons devenir moins matérialistes et donner un sens à nos vies en préférant l’expérience à la possession.
C’était la promesse qu’on nous faisait.
La réalité est malheureusement tout autre et beaucoup plus glauque: l’économie du partage est en train de faire pénétrer dans des domaines auparavant protégés de nos vies un marché avide et déréglementé. Les entreprises qui mènent le jeu sont désormais elles aussi des géants corporatifs, qui jouent un rôle de plus en plus intrusif dans les échanges qu’elles facilitent pour s’enrichir et entretenir leur image de marque. Au fur et à mesure qu’elle se développe, l’économie du partage remodèle les villes sans égard pour ce qui les rend vivables. Au lieu d’insuffler une nouvelle ouverture et une confiance mutuelle à nos interactions, elle suscite une forme inédite de surveillance, et les travailleurs du secteur tertiaire vivent dans la crainte constante d’être espionnés et balancés. Les dirigeants font de beaux discours sur leur communauté d’utilisateurs, mais la réalité est beaucoup plus âpre quand on songe au contrôle centralisé exercé sur eux. Les places de marché de l’économie du partage génèrent de nouvelles formes de consommation de plus en plus sauvages. En outre, ce qu’on appelle aujourd’hui «arrondir les fins de mois» évoque le travail des femmes il y a 40 ans, quand les emplois qu’elles occupaient n’étaient pas considérés comme de «vrais» emplois méritant un salaire décent, et qu’il n’était donc pas nécessaire de les traiter et de les rétribuer comme les hommes. Au lieu d’aider les gens à prendre leurs vies en main, plusieurs entreprises de l’économie du partage privent leurs travailleurs d’avantages sociaux et de protections obtenus après des décennies de lutte acharnée, en créant des formes plus risquées, plus précaires, de travail mal rémunéré. Tout cela pour enrichir leurs investisseurs et leurs dirigeants, et offrir des emplois de qualité à leurs développeurs et leurs experts en marketing.
* *     *
L’expression «économie du partage» exprime elle-même une contradiction. Le mot «partage» évoque une interaction sociale non commerciale entre pairs, un échange où l’argent n’entre pas en jeu, motivé à tout le moins par la générosité, le désir de donner ou d’aider. Quant à l’«économie», elle suggère une transaction commerciale, un échange intéressé d’argent contre un bien ou un service. De grands débats ont entouré l’expression «économie du partage»: on se demandait si elle convenait pour décrire cette nouvelle forme de commerce. Un tas d’autres appellations ont été proposées – économie collaborative, sociale, solidaire, participative ou, de plus en plus, «économie à la demande».
Si l’évolution du mouvement a indubitablement amené le mot «partage» au-delà des limites du raisonnable, reste qu’il faut nommer le phénomène. L’expression ne survivra peut-être pas plus d’un an, mais c’est celle qui est utilisée aujourd’hui, en 2016. Je l’emploierai donc, en évitant toutefois de répéter les mots «présumée» ou «alléguée» et de lasser le lecteur par l’emploi trop fréquent des guillemets [2] .
C’est vrai, les définitions ne nous amènent pas bien loin quand on traite d’

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