L arbre et le paysage
168 pages
Français

L'arbre et le paysage , livre ebook

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168 pages
Français

Description

"Si on avait ouvert mon père, dit l'auteur, on aurait trouvé le Rouergue : des monts d'Aubrac à la dépression industrielle de Decazeville, de la vallée du Lot à la campagne traditionnelle de Villefranche-de-Rouergue". Ce récit est une conversation entre le père et le fils : tout le XXe siècle déroule son tapis de guerre et de paix, de rêve et de souffrance, de politique et de vie quotidienne.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 12
EAN13 9782296469624
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'ARBRE ET LE PAYSAGE Litinéraire dun postier rouergat 19071981
© LÿHarmattan, 2011 5-7, rue de lÿEcole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 9782296564626 EAN : 9782296564626
Pierre Pelou
L'ARBRE ET LE PAYSAGE Litinéraire dun postier rouergat 19071981
LHarmattan
Du même auteur
L'Europe de l'information ESFÉditeur, 1990
Florilèges italiens L'Âge d'Homme, 2010
Au petit jour naît la petite aube, la microaube puis c'est le soleil bien à plat sur sa tartine il finit par s'étaler, on le bat avec le blanc des nuages et la farine des fumées de la nuit et le soir meurt, la toute petite crêpe, la crépuscule
Raymond Queneau
Prélude rouergat
«Si on ouvrait les gens, disait Agnès Varda, on trouverait des paysages ». Si on avait ouvert mon pè; des montsre, on aurait trouvé le Rouergue dAubrac à la dépression industrielle de Decazeville, de la vallée du Lot à la campagne traditionnelle de VillefranchedeRouergue. Ce sont les vaches dAubrac à la robe abricot, les yeux maquillés dun marron abstrait. Ce sont les couteaux, alors en manche de corne ou divoire, avec la mouche pour signe, le tirebouchon pour compagnon, le poinçon pour outil. On raconte que, près desmazucs, les vachers perçaient le ventre des vaches pour évacuer les gaz que lherbe grasse avait produits en fermentant. Cest la mine de charbon de larc decazevillois que protégeait Paul Ramadier et exaltait Jean Jaurès, les batailles entre socialistes et communistes, le syndicalisme triomphant. Cest la déclinaison lente du Lot, ses courbes apaisées dont le parcours hésite entre le jardin et cet arbre qui fait lidentité de lAveyron, le châtaignier. Cest la campagne riche dont lagriculture garde laccent du pays, rocailleux et chantant, à la limite du compréhensible urbain. Jamais mon père ne parlait de lui, sauf dans des évocations partielles. Il fallait deviner ses pensées, apprivoiser son regard, lire son attitude dans les gestes quotidiens. La sobriété du propos, le silence des mots, lui servait de devise. Parfois, des éclats de voix surgissaient tels des obélisques de clarté soit pour«engueuler » ma mère soit pour renseigner son patois auprès dautochtones qui se le remémoraient avec difficulté et surprise. Il vivait par la mémoire de ses premiers pas dans la campagne de Pomaret, là où le four à pain donnait la base du manger, les volailles la fête du goûter, le cochon demeurant le sommet dune gastronomie régionale raffinée. SansMarcillac, point de salut. Ce vin, qui fleure les coteaux escarpés et le soleil du Midi, le ravissait par sa robe chaude et ample, sa légèreté sans affect, la marque dun lieu restreint et connu de ses seuls habitants. Appartenir à un espace, un terrain, un village, de la colline à la vallée, de la maison au champ, cétait sidentifier. Nul besoin de papier pour exister. Être reconnu par ses voisins le justifiait. Son nom en patois signifie le bogue de la châtaigne, lepelou. Cette enveloppe verte et piquante, qui souvre avec la délicatesse de la souffrance, le réfère à larbre et au fruit. Le châtaignier est larbre de lAveyron comme il est larbre de la famille, nourricier et identitaire. Parfois violent, il voisine
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avec le coup de poing ou lacastagne. Souvent déclinée, la châtaigne flirte avec la mer. Cest la châtaigne de mer, loursin. Avec la châtaigne deau, qui est le fruit de la macre, cest la plante des étangs à feuilles flottantes et aux fleurs blanches. Lepeloudu Rouergue a des parentés inavouées entre la terre, létang et la mer, une transgression géographique qui appelle au voyage. Quand nous mangions des châtaignes sur la table de la cuisine, mon père captait les meilleures par le regard et le toucher. Javais toujours les plus mauvaises jusquà ce quil men révèle le code : le marron franc et foncé, le fruit le plus ferme à la main. Simple comme une pratique de la nature. Le paysage de mon père commence dans un champ du Cantal où les vaches sont parfois enfermées dans des enclos de bois rond. Il mapprenait à les voir, les comprendre, les caresser. Ce sont des vaches de Salers à la robe rouge foncé, aux cornes fines. Elles vous toisent par curiosité, vous jugent avec rapidité et vous ignorent. Une photographie me montre à lâge de cinq ans environ un bâton à la main, un court béret noir sur la tête, à limage miniature dun père pour qui, le bâton, le couteau seulement de Laguiole et le béret sont les attributs nécessaires à laccomplissement de soi. Ma mère en robe blanche à fleurs se tenait éloignée comme pour laisser la nature masculine se confronter à la puissance des animaux. Sa chevelure longue, ajustée à sa nuque par un ruban, délimitait un visage qui souriait de voir le père et le fils complices. Une seconde photographie, prise dans la même campagne auvergnate, montre mon père assis sur le bras dune charrette de bois en salopette bleue, signe dune appartenance au peuple des travailleurs. Au loin, le paysage lisse des champs quun buron couronne amplifie le silence du lieu. Une troisième photographie de même nature a été prise sur les marches de la poste de Trizac, mon père sefforçant de me faire rire par des facéties qui lui étaient peu familières. Cétait lété dans ce village campagnard à 960 mètres daltitude. Jarborais un chapeau blanc en place de béret, signe peutêtre dune indépendance à venir. La cigarette aux lèvres, le béret noir usagé, le pantalon à revers et la veste quelque peu fripée, il accusait le coup de la guerre et la joie de sadonner au rire de la vie, à lespoir du futur que je représentais à ses yeux. Tendre était son regard devant ma jeunesse insouciante et naïve. La Seconde Guerre mondiale venait de sachever. La gaieté était de mise avec lespoir dun avenir maîtrisé, dune nouvelle construction de la société. Mon père détestait parler de la guerre et de ce quil avait vu ou fait. Pierre Assouline montre bien ce comportement dansLutetia, ce silence des retours de prisonniers ou de soldats qui ont vu lenfer et pensent que personne ne va les croire. Lhorrible nest pas parlant. La violence nest pas une messe
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