La légitimation des produits financiers , livre ebook

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La rapidité avec laquelle la sphère financière intègre l’automatisation ainsi que de nouvelles activités spéculatives qui rapportent toujours plus de profits suscitent une indignation de plus en plus marquée. Si les citoyens « indignés » perçoivent certains instruments de la finance – tels que les produits dérivés – comme trop spéculatifs, complexes et dangereux, ce n’est pas le cas des promoteurs de ces produits. Ces derniers s’inscrivent dans des actions collectives visant précisément à « légitimer » leurs produits et à convaincre de leur utilité. Cet ouvrage a pour objectif d’interroger ce travail de légitimation de produits financiers souvent complexes.


L’auteur étudie plus particulièrement le réseau de promotion des Exchange traded funds (ETF) en France. Ces fonds cotés permettent aux investisseurs d’obtenir la performance de l’indice souhaité tout en investissant de manière instantanée en bourse. Décrits comme simples, transparents et liquides dans la presse économique, avant la crise financière de 2007, ils comportent pourtant des risques qui n’y ont jamais été mentionnés. Pour rendre compte du travail de coordination qui permet aux promoteurs d’ETF de « légitimer » leurs produits financiers, l’auteur détermine trois principales modalités : la création de « niches sociales » où se déploie la coopération entre financiers concurrents ; le contrôle social exercé par ces financiers sur des récalcitrants, comme les journalistes, qui risquent de délégitimer les produits financiers ; l’apparition d’un ou de plusieurs acteurs disposant d’un statut social suffisant pour coordonner cette action collective de légitimation.


Ce livre destiné aux chercheurs et étudiants en sociologie ainsi qu’aux gestionnaires et économistes, intéressera également le grand public.

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14

EAN13

9782847697872

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Français

PRÉFACE
DANS L’ŒIL DU CYCLONE
On ne peut qu’éprouver une proonde admîratîon pour ’auteur et trou-ver dans son travaî une réee înspîratîon proessîonnee et théorîque, maîs aussî des questîonnements cîvîques et cîtoyens. Cea est vraî pour ceux quî souhaîtent, comme uî, jeter un regard compétent et crîtîque sur a Inance contemporaîne à partîr d’une perspectîve construîte à ’întersectîon de a socîoogîe économîque, de a socîoogîe néostructurae et de a socîoogîe de a connaîssance. Ou pour ceux quî, en sîmpes cîtoyens, dans e pro-ongement des nombreuses crîtîques quî se déveoppent aujourd’huî à ’en-contre du onctîonnement actue de cette îndustrîe, souhaîtent comprendre queques-uns des ressorts socîaux quî anîment e monde du crédît et de a dette, des bues et des crîses Inancîères majeures quî rappent sî durement et de manîère récurrente es économîes et es socîétés contemporaînes.
Ethnoogue, Mohamed Oubena a réussî à entrer dans e mîîeu rançaîs et européen très ermé des Inancîers quî promeuvent des onds partîcu-îers, appeés des Exchange Traded Funds, outrackers, car eur spécîIcîté premîère est d’être îndexés sur d’autres produîts Inancîers pus cassîques, 1 par exempe des actîons ou des obîgatîons , ou sur des produîts beaucoup moîns cassîques. L’objectî étaît de nous aîder à comprendre comment onctîonne a coopératîon entre concurrents dans ce mîîeu ermé, du poînt de vue des acteurs eux-mêmes, du sens qu’îs donnent à eur travaî. Maîs ’întérêt de son enquête résîde précîsément dans e aît que son ethnogra-phîe de ce mîîeu ’a très vîte guîdé vers une perspectîve pus ouverte, a
1. Les encours de ces produîts atteîgnent des montants quî tournent aujourd’huî autour de chîfres à douze zéros au moîns ; aux États-Unîs seuement, en 2014, deux trîons de doars étaîent învestîs en ETF.
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LA LÉGITIMATION DES PRODUITS FINANCIERS
compréhensîon d’un mîîeu socîa pus arge et hétérogène quî comprend traders, émetteurs et brokers, maîs aussî des spécîaîstes du marketîng, des proesseurs de gestîon/Inance, des journaîstes spécîaîsés, des réguateurs oicîes et des cîents înstîtutîonnes.
Socîoogue du travaî, et en partîcuîer du travaî de gestîon, î procure au ecteur une compréhensîon caîre et approondîe de ’îndustrîe destrac-kers, du système-même produît par e prîncîpe de ’îndexatîon. ï « met es maîns dans e cambouîs » pour reconstîtuer ’anatomîe de ces produîts I-nancîers ; déconstruîre es cacus de rîsques quî eur sont assocîés, e travaî de Ixatîon du prîx, es opératîons de prêt de tîtres, ’usage des produîts dérî-vés dans e cadre de a « répîcatîon synthétîque » ; décrîre eur présentatîon sous un jour très posîtî comme produîts înnovants, sîmpes, transparents, îquîdes et dénués de rîsques ; suîvre es étapes de eur mîse en vente, maîs aussî a nature de a partîcîpatîon de chacune des catégorîes d’acteurs à a constructîon des sîtuatîons de marché retenues.
Structuraîste, anayste et statîstîcîen de réseaux, î recueîe des înor-matîons systématîques sur a composîtîon et a structure reatîonnee de ce mîîeu, puîs cartographîe et modéîse es înterdépendances onctîonnees et socîaes entre es acteurs de a promotîon de ces produîts en France. À ’échee înter-organîsatîonnee, î est beaucoup moîns acîe qu’en întra-organîsatîonne de coecter es données nécessaîres à a modéîsatîon des processus quî aîdent es acteurs concurrents à gérer es dîemmes de eur actîon coectîve organîsée. Dans e cas de ce travaî, î s’agît d’une vraîe réussîte.
Rassembées et organîsées par une démarche néostructurae, a probé-matîque, es données et es anayses produîsent une socîoogîe poîtîque de a Inance tout à aît spécîIque et orîgînae – ouvrant aînsî une voîe de théo-rîsatîon à a oîs nouvee et prometteuse vers d’autres objets.
Harrîson Whîte dît souvent que son modèe de marché n’étaît pas conçu pour a Inance. La recherche de Mohamed Oubena s’înscrît dans e sîage des vraîes enquêtes néostructuraes – très peu nombreuses car passant par des entretîens en ace-à-ace avec tous es acteurs du système, en tout cas au nîveau hîérarchîque choîsî – menées dans ce monde de a Inance. Ee montre comment cette approche peut étendre e champ d’appîcatîon de a socîoogîe économîque. Ee est proche des îdées de Whîte sur es marchés de producteurs quî se surveîent entre eux, maîs ee ajoute à cette probé-matîque whîtîenne une dîmensîon compémentaîre sur ’organîsatîon de ce mîîeu. En partîcuîer ’accent est mîs sur e onctîonnement des pouvoîrs quî structurent e contexte des înteractîons entre toutes es partîes pre-nantes et înterdépendantes du système aIn de contrôer a coévoutîon de a constructîon des produîts et de eur mîse en vente. ïcî es outîs conceptues et technîques de a socîoogîe néostructurae sont mobîîsés et transormés pour montrer que a stabîîté et e came apparent de ce marché Inancîer spécîIque sont construîts par de très gros eforts de coordînatîon de a part
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de tous ces proessîonnes de a Inance. À a gestîon des lux Inancîers, eux-mêmes en quantîté astronomîque et à très grande vîtesse, s’ajoute un très gros travaî reatîonne et symboîque, des processus de surveîance mutuee, de contrôe et de abrîcatîon de ’înormatîon quî cîrcue sur es produîts, et Inaement de constructîon de eur égîtîmîté. ï s’agît d’amener es învestîsseurs et es réguateurs à se pacer dans ’œî du cycone, au came maîs sans prîses.
Le îvre montre bîen que cette coopératîon entre concurrents suppose un travaî reatîonne et symboîque împortant aît d’échanges socîaux et de constructîon d’une dîscîpîne socîae orte entre es partîcîpants de ce marché. Cette dîscîpîne ne peut exîster que grâce à des înrastructures reatîonnees reatîvement stabes quî permettent, comme e montraît Chares Tîy, d’organîser es accaparements d’opportunîtés. Deux types d’înrastructures reatîonnees sont mîs au jour par Mohamed Oubena. La recherche, a constructîon ou ’entretîen de « nîches socîaes » est un premîer moyen pour ces acteurs de chercher à modîIer à eur avantage une structure d’opportunîté îée aux învestîssements dans ces produîts Inan-cîers. La nîche socîae de ces entrepreneurs peut être déInîe comme e sous-ensembe pus ou moîns hétérogène de paîrs-concurrents avec esques îs/ ees ont des reatîons spécîaement denses, mutîonctîonnees, durabes et îées, dîrectement ou îndîrectement, à eurs actîvîtés de productîon. Ee constîtue donc un ensembede partenaîres prîvîégîés dans ’échange de ressources mutîpes, îcî à ’échee înter-organîsatîonnee, entre esques e comportement opportunîste est suspendu. ï s’agît cependant d’une entîté dont es contours précîs, du aît de sa dynamîque, sont paroîs dîicîes à saîsîr, pour ses membres comme pour ’observateur.
La conquête ou ’entretîen du statut socîa, de ’« împortance » de ’îndî-vîdu dans e coectî (quî présuppose a partîcîpatîon à a concurrence de statut) constîtuent un autre moyen de chercher à modîIer à son avantage une structure d’opportunîté. Ce îvre îdentîIe aussî e statut socîa comme une înrastructure reatîonnee stabe et du coup comme un poînt d’appuî încontournabe de ces stratégîes de structuratîon du mîîeu quî produît es trackers. En efet, es mutîpes dîmensîons du statut socîa, déjà déInîes par Max Weber, peuvent être mesurées comme des concentratîons de ressources dîférentes. Avec des mesures comme cees qu’ofre ’anayse de réseaux socîaux (essentîeement des mesures de centraîté et de préémînence), c’est une hétérogénéîté endogène des ormes de statut (et non seuement exo-gène comme chez Weber) que Mohamed Oubena îdentîIe. ï montre que cette concurrence de statut a un sens d’autant pus ort au nîveau înter-organîsatîonne que a concurrence économîque est oîgopoîstîque. Sans cette hétérogénéîté et ces ormes de congruence (ou de non congruence) de statut, on ne comprend pas ’împortance des « petîts » acteurs de ce système. Par exempe, es avocats d’afaîres ont toujours été de petîts înter-médîaîres acîîtant es transactîons entre grandes entreprîses bîen au-deà de eur taîe, grâce à une orme de centraîté quî provîent de eur rôe de
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médîateurs, de eur prîvîèges d’oicîers de justîce et des conlîts d’întérêts qu’îs peuvent mettre à proIt. Le rôe que Mohamed Oubena reconnat aux économîstes (proesseurs de Inance, journaîstes économîques) peut reever d’un paradoxe assez sembabe.
La légîtîmatîon des produîts Inancîersmontre bîen que ces ormes struc-turaes, es nîches socîaes et es statuts socîaux propres à ce mîîeu, acî-îtent a coopératîon entre ces concurrents et ’orchestratîon du sîence quî règne dans ’œî du cycone. ï est împortant pour e socîoogue de ’éco-nomîe de pouvoîr îdentîIer ces ormes car ees sont e moyen par eque es acteurs socîaement ratîonnes cherchent à structurer, non seuement es règes jurîdîques, maîs surtout es contextes de eurs înteractîons et de eurs échanges orsqu’îs sont mîs en concurrence ouverte.
Les membres de ce mîîeu socîa coopèrent donc actîvement autour de a égîtîmatîon des ETF. Cette coopératîon s’appuîe sur ces înrastructures reatîonnees et c’est dans/par ces înrastructures que s’exerce e contrôe socîa sur a presse, que se construît a dîssîmuatîon des rîsques îés à ces produîts Inancîers. La mîse au jour de a posîtîon et de a pace des jour-naîstes spécîaîsés et des économîstes dans ces marchés est partîcuîère-ment orîgînae et îustratîve. Ee enrîchît consîdérabement ’anayse de a manîère dont a presse économîque s’y prend coectîvement pour sîmpîIer a présentatîon du produît Inancîer et écarter a perceptîon de ces rîsques. L’approche néostructurae apporte donc une vraîe vaeur ajoutée pour com-prendre ’éaboratîon înteractîve/coectîve et a dîfusîon de ’înormatîon sur es ETF, a matrîse de ’înormatîon cîrcuant sur ces produîts et des jugements portés par es partîes prenantes sur ces produîts, maîs aussî pour mettre au jour une réaîté compexe et dîicîe à percevoîr autrement qu’en passant par a reconstîtutîon et modéîsatîon du système des reatîons entre acteurs et de eur dîvîsîon du travaî.
EnIn, aîre apparatre a égîtîmatîon d’un produît Inancîer comme un processus socîa mobîîsant des înrastructures reatîonnees est une dé-marche novatrîce et bîenvenue quî permet à Mohamed Oubena de mon-trer que ’on peut dîater ’approche néostructurae de ’actîon coectîve. Cette approche se centre trop souvent sur des processus consîdérés comme « générîques » (soîdarîtés partîcuarîstes et excusîons ; apprentîssages et socîaîsatîons ; contrôe socîa et résoutîon de conlîts ; réguatîon et îns-tîtutîonnaîsatîon) pour a gestîon, par es membres d’un coectî, des dî-emmes de eurs actîons coectîves. La recherche sur es ETF présentée par cet ouvrage montre bîen de manîère orîgînae et convaîncante que e raî-sonnement néostructura s’appîque aussî bîen, et de manîère très heurîs-tîque, à d’autres processus coectîs. Dans a mesure où a égîtîmatîon d’un produît aît partîe de ’înstîtutîonnaîsatîon d’un marché, cette dîstînctîon renorce e cadre généra de a socîoogîe néostructurae.
Maîs a modéîsatîon du processus de égîtîmatîon ajoute une dîmensîon pus générae à ce travaî d’écaîrage socîoogîque sur e onctîonnementdes
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marchés Inancîers. D’une part ’anayse des înrastructures reatîonnees apparat non seuement comme écaîrante sur e pan empîrîque maîs aussî comme un înstrument de prudence dans a théorîsatîon. D’autre part, cette démarche ouvre aussî une voîe orîgînae pour concevoîr, sur e pan de a théorîe socîoogîque, un îen ort entre ’approche néostructurae et es nom-breuses ormes d’înstîtutîonnaîsmes contemporaîns, qu’îs soîent enracînés dans a tradîtîon ou pus « néo ». C’est bîen dans a dîrectîon apportée par cet ouvrage que es scîences socîaes ont întérêt à rapprocher conventîons et structures, à déconstruîre e travaî de cadrage des (et par des) entrepreneurs înstîtutîonnes, que ce soît dans e domaîne de a Inance ou dans d’autres domaînes. De ce poînt de vue tout, ou presque, reste à aîre.
Emmanuel Lazega, Professeur à Institut d’études politiques de Paris, Centre de sociologie des organisations – CNRS.
INTRODUCTION
Après une courte baîsse ors de a crîse Inancîère de 2008, es verse-ments aux actîonnaîres sous orme de dîstrîbutîon de dîvîdendes et de rachat d’actîons ont reprîs de pus bee (Lazonîck, 2014). ïs atteîgnent en 1 2015 pus de mîe mîîards de doars . Le déveoppement et ’excroîssance du secteur Inancîer sont, entre autres, avorîsés par cette augmentatîon de a part du proIt quî est afectée aux actîonnaîres et aux dîférents créan-cîers, au détrîment de a part consacrée au réînvestîssement dîrect pour ’améîoratîon et ’accumuatîon des « orces productîves ». Cea accentue a contradîctîon entre a tendance du capîta à s’« auto-accrotre », dans a sphère Inancîère, aors qu’î a toujours besoîn de a productîon pour ex-traîre a pus-vaue (Marx, 1894). Cette contradîctîon aboutît à ’îusîon que es onds Inancîers, dépoyés comme « capîta înîtîa », peuvent produîre un surpus d’argent de manîère autonome. La rhétorîque Inancîère expîque aînsî a surperormance de te gérant de onds par ses compétences ou ses întuîtîons personnees. Ee justîIe es bons résutats de te actî Inancîer, soî-dîsant par ses caractérîstîques întrînsèques. Cette rhétorîque entretîent donc ’îusîon d’un monde où e « capîta-argent » seraît capabe, à uî seu et sans passer par es chemîns sînueux de a productîon, de s’« auto-ructî-Ier ». Une îusîon qu’î convîent de déconstruîre tant ee est au cœur des abus d’une Inance quî, en se détachant de a sphère productîve, construît des montages compexes tes que essubprîmes.
 Maîs à orce de se ocaîser sur a sphère productîve et sur es îu-sîons de a rhétorîque Inancîère, comme e aît ’approche marxîenne, on rîsque de passer à côté de ’anayse des processus quî sont à ’œuvre au cœur du monde Inancîer. C’est justement parce que a généaogîe du proIt est
1. « Godman sees $1 trîîon ît în 2015 vîaU.S. sock buybacks, dîvîdends », Reuers, 27 avrî 2015, <hp://www.reuers.com/arîce/2015/04/28/usa-markes-buybacks-îdUS-er L1N0XO1SU20150428>, consué e 1 maî 2015.
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occuée que es inancîers s’engagen dans des « acîvîés socîaes » (Weber, 1921a) en arîbuan un « sens » à eurs acîons. Comme ’expîque Hannah Arend (1983), e « ravaî », ondemen de ’approche marxîenne, es oîn d’êre a seue modaîé de ’« agîr humaîn ». La réaîsaîon d’« œuvres » es une acîvîé encore pus împorane. Aors que a dîmensîon « ravaî » es ondée sur a saîsacîon des besoîns prîmaîres e peu même s’exercer de manîère soîaîre, a créaîon d’« œuvres » s’înscrî puô dans a pro-ducîon d’un monde symboîque e durabe avec des înerconnexîons enre personnes. Lorsque des îndîvîdus s’engagen dans des acîvîés quî, pour eux, s’însèren dans des enjeux quî es dépassen, îs peuven déveopper des acîvîés symboîques ou spécuaîves quî n’on pas de prîse sur e rée maîs quî perduren. D’après Arend (1983, p. 213-221), ’acîvîé économîque quî es réaîsée dans « ’espace marchand » es une « œuvre ». Ee se déroue en dehors de a sphère prîvée e domesîque. « Le Marché » es, pour a phîo-sophe, un domaîne pubîc, maîs non poîîque, où es produceurs peuven exposer eurs bîens e surou recevoîr ’esîme quî es îée à a producîon d’« œuvres ». Dans e cas de a inance, un monde symboîque e concre se consruî auour des îres émîs e négocîés. L’ensembe des chîfres quî cîrcuen, des arîces pubîés dans a presse économîque, des conérences organîsées, des ormues mahémaîques produîes e des renconres enre personnes consîuen un monde quî perdure, au-deà de a poncuee opé-raîon d’acha-vene de ces îres inancîers. Sî ’îusîon es rhéorîque, ee produî néanmoîns des conséquences maérîees.
La inance n’es pas donc seuemen une afaîre d’argen e d’exracîon de pus-vaue, c’es aussî une afaîre d’aceurs engagés quî donnen un sens à eurs acîvîés e quî créen un unîvers inancîer doé d’une ceraîne auo-nomîe reaîve. Les inancîers, es journaîses, es învesîsseurs e es acadé-mîques s’împîquen souven, corps e âmes, dans e déveoppemen d’un produî inancîer qu’îs consîdèren comme une « œuvre » înnovane. Is donnen de eur emps e de eur énergîe pour mener à bîen ce proje co-ecî e înscrîre cee « œuvre » dans a durée. Maîs ce produî, quî a éé héorîsé par es économîses e déveoppé, de manîère arîsanae, par es îngénîeurs, es rapîdemen sandardîsé. La producîon de ces însrumens se pace dans a endance des emps modernes à ’exensîon de a ogîque cycîque du « ravaî ». Les produîs inancîers enren dès ors dans un mouvemen cycîque perpéue quî, conraîremen à ’« œuvre » achevée, n’a nî commencemen nî in. Les panîers d’acîons serven aînsî au cacu d’în-dîces boursîers e son aussî încorporés dans des onds inancîers. Ceux-cî son eux-mêmes înégrés à desfonds de fondsquî peuven égaemen înves-îr dîrecemen dans es acîons ou dans d’aures îres e aînsî de suîe.
Par aîeurs, a abrîcaîon, au cours de ’époque moderne, es de pus en pus déermînée par es machînes. La sphère inancîère es donc caracé-rîsée par une endance au rempacemen des compéences e des ryhmes humaîns par des processus mécanîsés (Munîesa, 2000 ; 2003). Les socîé-és inancîères subsîuen à ’îneîgence humaîne es agorîhmes e es
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machînes de radîng haue réquence (Hîgh requency radîng – HFT) pour maxîmîser encore davanage es opéraîons d’acha-vene de îres, ce quî pousse même ceraîns observaeurs à parer de « marchés ruqués » (Lewîs, 2014). L’avènemen de chaïnes auomaîsées de monage e de négocîaîon de produîs inancîers donne îeu à une compexîé echnîque înconrôabe e dangereuse. L’îusîon de a supérîorîé echnîque peu rapîdemen s’esom-per. Cîons îcî ’exempe du Fash Crash du 6 maî 2010 aux Éas-Unîs où e lux împoran des demandes auomaîsées de machînes dîsposan d’ago-rîhmes de radîng a aî baîsser, en queques secondes, es prîx des acîons de ’îndîce Dow Jones e engendré des peres pour pusîeurs învesîsseurs.
Dans e mouvemen cycîque de ravaî e de consommaîon (Arend, 1983), es inancîers, quî maïrîsen ces dîsposîîs auomaîsés, cherchen à accroïre eur bonus e prois (Godecho, 2007). Le ou ain de s’însé-rer davanage dans eur unîvers de consommaîon de uxe. Cee course au proi (Seîner, 2011) engendre un mouvemen de spécuaîon e de bues pouvan écaer e donner îeu à des crîses à ’îmage de cee dessubprîmes. Ces crîses ravagen es sphères inancîères e économîques maîs déruîsen aussî une parîe du monde humaîn.
La rapîdîé avec aquee a sphère inancîère înègre es machînes e ’au-omaîsaîon (Munîesa, 2003 ; Lewîs, 2014) aînsî que e déveoppemen des acîvîés spécuaîves quî rapporen e pus de prois suscîen, dans un conexe de crîse, une îndîgnaîon de pus en pus marquée. Maîs sî es cî-oyens « îndîgnés » perçoîven ceraîns însrumens de a inance – es que es produîs dérîvés – comme spécuaîs, compexes e dangereux, ce n’es pas e cas des promoeurs de ces produîs. Ces dernîers s’înscrîven dans une acîon coecîve vîsan, jusemen, à « égîîmer » eurs produîs e à convaîncre de eur uîîé. L’acîon de « égîîmaîon » correspond donc aux efors dépoyés par ces promoeurs pour aîre reconnaïre eurs produîs inancîers. Ceux-cî se son déveoppés hors de a sphère producîve e n’on pas une vaeur d’usage aussî évîdene que cee d’un ordînaeur ou d’une chaîse. Is on donc besoîn d’obenîr une reconnaîssance. Reconnaîssance nécessaîre d’auan pus qu’îs peuven servîr à des acîvîés spécuaîves e comporer des rîsques pour e monde économîque e, par à même, pour a socîéé.Pour créer e maînenîr une îusîon, î au exercer un ravaî de égîîmaîon d’un dîscours e e aîre passer pour vraî.Dans notre recherche, nous înterrogeons ce travaîl de légîtîmatîon des produîts Inancîers.
Nous proposons, dans ce ouvrage, de dépasser ’approche cuuraîse de a égîîmaîon des produîs inancîers quî a pour prîncîpae îmîe de se ocaîser sur a dîmensîon cognîîve. Cee approche cuuraîse s’înspîre prîncîpaemen des ravaux de Max Weber. Pour e socîoogue aemand,
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LA LÉGITIMATION DES PRODUITS FINANCIERS
2 es vaeurs reîgîeuses des seces proesanes on égîîmé a recherche ra-îonnee du proi e son accumuaîon avan que ’acîvîé capîaîse ne 3 devîenne auonome (Weber, 1905) . Dans a îgnée des ravaux de Weber,Zeîzer (1978 ; 1979) monre que a mobîîsaîon de a morae reîgîeuse a permîs e déveoppemen des produîs d’assurance-vîe aux Éas-Unîs. Quînn (2008) me, quan à ee, en évîdence ’évouîon vers un regîsre puremen raîonne ors de ’éabîssemen d’un marché inancîer de ’assu-rance-vîe. Puô que d’éudîer e rôe des vaeurs moraes, d’aures ravaux însîsen sur a consrucîon de caégorîes cognîîves acîîan a compara-bîîé pour comprendre a égîîmaîon des produîs inancîers (Zuckerman, 1999 ; 2004).
La égîîmaîon es aussî un phénomène quî a éé argemen éudîé par dîférens aueurs néo-însîuîonnaîses. Les premîers ravaux de ce cou-ran assîmîen a égîîmaîon à un processus mîméîque où es organîsa-îons reproduîsen es ormes e praîques domînanes (DîMaggîo e Powe, 1983). Une deuxîème vague de ravaux s’înéresse à a dîmensîon acîve du ravaî de égîîmaîon des aceurs (Adrîch e Fîo, 1994 ; Suchman, 1995). Toues ces recherches néo-însîuîonnaîses se basen sur roîs pîîers : es règes, es normes e es représenaîons symboîques (Sco, 1995). Ees on donc pour prîncîpae îmîe de se concenrer sur es aspecs cognîîs e cuures e de négîger a dîmensîon srucurae.
Dans ce ouvrage, nous monrons qu’î es împoran d’éudîer es mî-îeux socîaux quî sous-enden ces marchés inancîers e donc es înerdé-pendances e es acîons coecîves quî es srucuren pour comprendre es ressors de a égîîmaîon. La posîîon cenrae ou pérîphérîque des aceurs, eur coopéraîon, e conrôe socîa qu’îs exercen ou eur assocîaîon avec des expers, égîîmen eurs acîvîés. La égîîmaîon ne consîse donc pas seuemen à aîre prévaoîr ceraînes vaeurs cuurees sur d’aures, en aî-san unîquemen a promoîon e ’exercîce de a rhéorîque angagîère. Ee va surou s’appuyer sur es ormes e coniguraîons socîaes pus ou moîns sabîîsées quî se dépoîen dans un sysème d’échange de ressources. Nore proposîîon héorîque consîse donc à dîre quele processus socîal de légîtî-matîon passe par troîs prîncîpales modalîtés : la créatîon de nîches socîales où se déploîe la coopératîon entre entrepreneurs rîvaux ; les logîques de contrôle socîal exercé sur les récalcîtrants quî rîsqueraîent de délégîtîmer certaînes formes d’actîon collectîve ; et l’apparîtîon d’un ou plusîeurs acteurs dîsposant
2. Dans ce ouvrage nous n’uîîsons pas a noîon wébérîenne de égîîmé au sens de com-mandemen reconnu comme égîîme (Weber, 1921a ; 2014). Le concep de domînaîon quî s’accompagne d’un consenemen e d’une obéîssance seon roîs ypes de égîîmé (radî-îonnee, charîsmaîque e raîonnee-égae) n’es pas mobîîsé îcî pour ’éude des reaîons marchandes quî son ormeemen non hîérarchîques. 3. Avec a Réorme proesane, ’acîvîé proessîonnee devîen une vocaîon au sens reîgîeux du erme. De pus, ’amonceemen de rîchesses es, pour es cavînîses, e sîgne de ’éecîon dîvîne ce quî es pousse à acquérîr méhodîquemen es rîchesses dans a sphère producîve sans efecuer de dépense supericîee. Enin, ce désîr d’accumuaîon du capîa se déache de ces jusîicaîons reîgîeuses pour devenîr une rouîne capîaîse.
INTRODUCTION
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d’un statut socîal suisant, central ou partîculîer, permettant de valîder et d’autorîser certaînes formes de légîtîmîté plutôt que d’autres. La premîère modaîé, sîuée au cœur de a coopéraîon enre aceurs concurrens, s’expîque par a prîse en compe, par ’aceur, de a dîmensîon emporee des échanges. Cea veu dîre que a reaîon peu êre envîsagée sur e ong erme (Lazega, 2003, p. 307-308). Pour mener à bîen e proje coecî de égîîmaîon de eurs produîs marchands, des enrepreneurs rîvaux peuven coaborer au seîn de nîches socîaes (Lazega e Mounîer, 2002). Ces dernîères son des sous-ensembes înormes où es ressources cîrcuen pus acîemen car a concurrence y es parîeemen e poncue-emen réduîe. Le ravaî de recherche de Penava Icher (2007) sur e mar-ché de ’Invesîssemen socîaemen responsabe monre ’exîsence de ees ormes de nîches socîaes. De eur côé, Mackenzîe e Mîo (2003) monren que ’acîon coecîve de dîvers aceurs inancîers a conrîbué au ancemen du marché desOptîonsaux Éas-Unîs. Le processus socîa de égîîmaîon passe aussî par a modaîé de conrôe socîa. Les aceurs quî dévîeraîen/conreraîen es acîvîés de égî-îmaîon e de promoîon subîssen, de manîère ormee ou înormee, des rappes à ’ordre, des sancîons ou d’aures ypes de conraînes de a par de sancîonneurs. Ce conrôe n’es possîbe que parce qu’î y a échange e donc înerdépendances enre aceurs. Dans un coecî, es eaders peuven jouer sur ces înerdépendances pour aîre respecer es règes, menacer es récacîrans de es écarer du cîrcuî d’échange de ressources ou dégrader eur îmage. Dans e seceur de a inance, ’arîce de Mackenzîe e Mîo (2003) poran sur ’émergence du marché desOptîonsde Chîcago monre ’exîsence de sancîons înormees vîsan à conenîr es comporemens opporunîses. Les afaîres de déîs d’înîîés (însîder tradîng)dans es an-nées quare-vîng ayan précîpîé a chue de a banque Drexe Burnham Lamber on égaemen mîs à jour e réseau d’înerdépendances e d’obî-gaîons muuees exîsan enre inancîers e parîcuîèremen es sancîons que peuven subîr ceux quî son suspecés de coaboraîon avec es enquê-eurs (Sewar, 1991). La roîsîème modaîé du processus socîa de égîîmaîon es cee de a concurrence de sau. Les aceurs d’un marché peuven aînsî renrer en concurrence non seuemen pour gagner de ’argen maîs surou pour acquérîr pusîeurs ypes de saus quî eur conèren du presîge e une capacîé à déinîr es règes. Un ou queques aceurs peuven donc accumu-er une ressource, une reconnaîssance symboîque ou un pouvoîr pouvan peser sur e comporemen d’auruî. Maîs sî cee dynamîque accorde à un aceur ou à un peî groupe d’aceurs, que nous appeons muîsauaîres, une posîîon prîvîégîée, ee perme aussî à ’acîon coecîve de perdurer. Dans e domaîne inancîer, î es possîbe d’acquérîr du sau en aîsan appe à des expers ou à des économîses pour produîre des rappors ou ap-puyer es produîs e acîvîés des inancîers (Huau e Rîchard, 2012). Dans
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