Les Temps de la prospective

Jacques Lesourne

Description

Inquiets des problèmes dont le siècle est porteur, nous cherchons sans cesse à décrypter les avenirs possibles. Or l’étude de ces futurs qui ne sont pas écrits suppose de discerner, comme pour déchiffrer une partition musicale, les temps dans lesquels s’inscrivent les différentes composantes : il faut isoler les événements significatifs, détecter les ruptures potentielles, identifier les processus de croissance économique, de transformation sociale, d’évolution technologique, d’élargissement des connaissances ; il convient aussi d’étudier les caractéristiques des durées selon qu’elles concernent les modes, les fluctuations conjoncturelles, les alternances politiques, les siècles d’or ou les périodes de traumatisme. Comment séparer et combiner les temps qui interviennent dans toute analyse de l’avenir ? À quels horizons faire des conjectures ? Comment distinguer l’étincelle sans avenir de l’éclair annonciateur d’embellie ou d’orage ? Un prospectiviste reconnu livre sa vision de la bonne façon de « penser l’avenir ». Jacques Lesourne a notamment été titulaire de la chaire d’économie et statistique industrielle au Conservatoire national des arts et métiers. Il est membre de l’Académie des technologies. Il a entre autres publié Les Mille Sentiers de l’avenir, Démocratie, marché, gouvernance : quels avenirs ?, Vérités et mensonges sur le chômage, Le Modèle français : grandeur et décadence et Les Crises et le XXIe siècle. 

Sujets

• Business
• Economics

Informations

• Publié par: Odile Jacob
• Date de parution: 13 avril 2012
• Nombre de lectures: 10
• EAN13: 9782738180049
• Langue: Français

Extrait

Jacques LESOURNE
LES TEMPS DE LA PROSPECTIVE
 
 
© Odile Jacob, avril 2012 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-8004-9
www.odilejacob.fr
Table

Introduction
Le facteur déclenchant
La décision et le passé
La décision et l’avenir : de la prospective à la stratégie
À la recherche des figures du temps
Le dialogue de la prospective et du temps
Première partie. LES SINGULARITÉS
CHAPITRE 1. Les secousses des événements
CHAPITRE 2. Les déchirements des ruptures
Au lendemain d’une rupture
Le traitement de ruptures éventuelles dans l’avenir
Deuxième partie. LES PROCESSUS
CHAPITRE 3. La croissance économique, paramètre inévitable
Les processus de la croissance
Les phases de la croissance
CHAPITRE 4. L’ampleur des vagues technologiques
La lecture du passé
L’éventail des avenirs technologiques
CHAPITRE 5. Les évolutions sociales
Les processus démographiques
Les changements des structures familiales
Les religions froides et les religions chaudes
Les schismes et les fusions culturelles
Les systèmes éducatifs et les défis de l’avenir
Le couplage fort des évolutions économiques et des transformations sociales
La transformation lente des modes de vie
CHAPITRE 6. La transformation des États
Formes de guerre, structures d’État et types de paix
Les pressions sur les États au XXI e  siècle
Les perspectives des marchés États
La prospective et la géopolitique
CHAPITRE 7. Les mots, les concepts et les langues
La prospective face aux mots et aux concepts
Le prospectiviste et l’influence des langues sur les collectivités
CHAPITRE 8. Les civilisations : de l’expansion au déclin
Les civilisations : de la naissance à la désintégration
Les civilisations au XXI e  siècle
Les grandes plaques tectoniques
La prospective et le déclin éventuel de la civilisation européenne
CHAPITRE 9. L’élargissement des connaissances
Les figures de la connaissance
La prospective et le processus scientifique
La prospective et les processus biogéologiques
INTERMÈDE. Des processus aux durées
Troisième partie. LES DURÉES
CHAPITRE 10. La régularité de l’annualité
CHAPITRE 11. Les variations de la mode
La mode : piège ou germe
Une esquisse de théorie de la mode
La prospective et la mode
CHAPITRE 12. Le pouvoir politique : d’une alternance à l’autre
Les démocraties simples
Les démocraties complexes
Des démocraties grises aux dictatures
CHAPITRE 13. Les cycles de la conjoncture économique
Les cycles économiques et la prospective
Les causes des cycles conjoncturels
Les gouvernements et les crises de conjoncture
Le lendemain des crises conjoncturelles
CHAPITRE 14. D’une génération à l’autre
Les valeurs d’une génération nouvelle après un traumatisme
L’impact des chocs courts ou localisés
La prospective et les changements de générations
CHAPITRE 15. Les permanences longues des comportements
Les permanences dans l’organisation sociale
Les permanences dans les valeurs communes
Les permanences longues et la prospective
CHAPITRE 16. Les périodes de traumatisme
Les caractéristiques des périodes de traumatisme
Les causes des périodes traumatiques
La connaissance des traumatismes et la réflexion sur l’avenir
CHAPITRE 17. Les siècles d’or, essor et décadence des sociétés et des États
Les facettes d’un siècle d’or
L’émergence des siècles d’or
Le déclin après les siècles d’or
Une notion utile dans les réflexions sur l’avenir ?
CHAPITRE 18. Les religions, de l’éternité à la finitude
Les religions : de l’expansion aux divisions
Les religions face aux dogmes, à la morale et aux institutions
Les religions entre déclins et renaissances, violences et tolérances
La prospective et les religions
CHAPITRE 19. Des ressources au climat
Vérités et faussetés sur les ressources
Le changement climatique
Quatrième partie. LA RÉFLEXION SUR L’AVENIR AU XXIe SIÈCLE
CHAPITRE 20. Une lecture du XXIe siècle
Les deux déformations du temps vécu
Les désaccords sur les temps de la rareté et du climat
Le combat de la permanence et de la globalisation
De la multiplication des événements à l’explosion des contagions
La croissance économique en question
De l’alternance démocratique aux démocraties ingouvernables
Prométhée ne sera pas enchaîné
Des gouvernements trop petits ou trop grands
CHAPITRE 21. Le temps, premier sujet de prospective au XXIe siècle
Bibliographie
Du même auteur chez odile jacob
Introduction
 
Décider, c’est agir pour influencer l’avenir, un avenir pluriel qu’engendreront nécessité, hasard et volonté. Sur cet avenir dont nous ne savons rien, il faut élaborer des anticipations ou postuler des conjectures à partir d’un unique matériau, les restes du passé et les manifestations du présent, c’est-à-dire ce qu’ont construit, détruit, écrit, relaté, envisagé les hommes hier et ce qu’ils pensent des futurs envisageables aujourd’hui. Toute analyse prospective repose sur de telles données, plus ou moins précises, provenant des archéologues, des historiens ou des statisticiens, ou recueillies lors d’entretiens avec des vivants.
Mais, dans ces deux formes de data mining selon le mot heureux inventé aux États-Unis, le prospectiviste est vite confronté au temps. Sur quel horizon faire des conjectures ? Sur combien de décennies remonter dans le passé ? Comment séparer l’étincelle sans lendemain de l’éclair annonciateur de l’orage ? Et, au fur et à mesure qu’il acquiert culture et expérience, il mesure combien il est difficile de choisir les enchaînements pertinents. Certes, il apprend que certains germes qu’il a sélectionnés sont de faux détonateurs, certes, il sait que les exponentielles commencent toujours par une faible croissance, explosent, puis contrairement à leur expression mathématique débouchent sur un plafond ou un mur ; certes, il reconnaît des phénomènes longs comme le changement du bilan énergétique mondial. Certes, il pressent les irruptions lentement préparées qui éclatent en ruptures, mais l’orchestration de ces enchaînements est pour lui chose ardue et, même si les sciences lui suggèrent des images ou des modèles partiels confirmés par l’observation, il se sent très démuni.
La prise en compte du temps – et de ses rythmes – constitue donc un élément central dans toute réflexion prospective. C’est à l’étude de ce sujet qu’est consacré ce livre, mais, avant d’en présenter la structure, quelques remarques introductives seront utiles.
Toute décision s’enracine à la jonction du passé et de l’avenir, un passé qui la déclenche et nourrit sa préparation, un avenir dont elle évalue les possibilités et la mesure dans laquelle elle peut les modifier dans un sens favorable au décideur. En d’autres termes, quel facteur déclenche une décision ou une réflexion ? Comment intervient le passé dans son contenu ? Comment se construisent les visions d’avenir sur lesquelles elle se fonde.

Le facteur déclenchant
Nombreux sont les événements qui dans l’Histoire ont entraîné automatiquement une décision. L’invasion de la Pologne en 1939 a déclenché la déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne. Soixante-dix ans plus tôt, la dépêche d’Ems avait entraîné le conflit entre la France et la Prusse. Pearl Harbor a provoqué la déclaration de guerre des États-Unis au Japon, puis de l’Allemagne et de l’Italie aux États-Unis.
Pourquoi l’événement est-il jugé inacceptable ?
Parce que la décision a déjà été prise que, s’il se produisait, il serait jugé comme tel (septembre 1939).
Parce que l’opinion publique via les médias attend immédiatement une réaction du pouvoir (inondation, tremblement de terre…).
Parce que l’autorité politique ou l’opinion considèrent qu’est en jeu une question d’honneur, de fidélité, de préservation d’un rapport de forces (pour le tsar, le soutien de la Serbie était une question d’honneur, pour la France, le lâchage de la Tchécoslovaquie à Munich fut jugé préférable à un conflit armé).
Le souvenir des périodes de traumatisme a une influence directe sur les réactions à l’événement. La France de l’entre-deux-guerres est imprégnée a posteriori du cauchemar de la Grande Guerre. L’Allemagne souffre de l’humiliation du traité de Versailles et des avatars de la république de Weimar.
Dans les démocraties, l’événement déclenchant est souvent l’élection, dans l’établissement d’une dictature, la prise du pouvoir, mais, dans les deux cas, des promesses ont été faites, des mesures annoncées, et il faut les mettre en pratique.
En matière économique, la crise des subprimes de 2007 jouera le rôle de facteur déclenchant. Grâce au souvenir de 1929 et aux innombrables débats qu’elle a engendrés autour du keynésianisme, les dirigeants comprennent immédiatement les enjeux et acceptent le recours au déficit budgétaire pour éviter l’effondrement de l’activité économique.
En revanche, lorsque naît au sein de l’euro le problème grec, ils n’ont pas comme point de repère un événement analogue dans le passé. Ils tergiversent et ne réagissent que progressivement.
Souvent, le facteur déclenchant n’est pas un événement à proprement parler, mais une prise de conscience du changement. Ainsi, avant la Grande Guerre, le Haut Commandement français, qui révise périodiquement ses plans de mobilisation, introduira, pour la première fois dans le plan XVII, l’hypothèse d’une invasion de la Belgique au sud de la ligne Meuse-Sambre.
Le facteur déclenchant peut être technologique, mais les délais de maturation sont plus longs. Des exemples illustrent les genèses en cause.
• À la veille de la Seconde Guerre mondiale, quelques équipes de physiciens et de chimistes – après la mise en évidence de la fission de l’uranium par Otto Hahn – pressentent que leurs recherches peuvent conduire à la mise au point d’une bombe nucléaire. Sont dans la course Américains, Britanniques, Allemands, Français qui s’observent les uns les autres. Après l’effondrement de la France, seuls restent en lice Américains et