Etat et le cinéma en France
299 pages
Français

Etat et le cinéma en France , livre ebook

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Description

Pourquoi l'Etat a-t-il été amené à intervenir et à réguler l'espace cinématographique ? Comment la mobilisation conjointe des gens de cinéma et des hommes politiques a-t-elle permis d'imposer une "exception culturelle"? Ce livre propose une analyse socio-historique des politiques du cinéma en soulignant les liens existant entre les transformations esthétiques, sociales et politiques de l'espace cinématographique depuis les années 1930.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2008
Nombre de lectures 297
EAN13 9782296197954
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction
« La culture française se porte bien pourvu qu»on la sauve . Ainsi s’exprime, à travers cette invitation à la mobilisation et à l’action, la position des professionnels français de la culture tout au long des ultimes négociations commerciales de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le 1 GATT , qui s’achèvent en 1993. Initié en 1986, ce dernier cycle de négociations se conclut sur une nouvelle avancée du processus de libéralisation des échanges internationaux et de baisse des droits de douane. Objet d’intenses tractations entre les Etats-Unis et l’Europe, l’audiovisuel n’est cependant pas inclus dans l’accord : les pays qui le souhaitent peuvent maintenir les systèmes d’aides à leurs industries cinématographiques et audiovisuelles.Dérogeant à la règle de libéralisation des échanges internationaux, ce compromis a été dénommé « exception culturelle ».
Depuis près de quinze ans, la notion d’exception culturelle structure l’ensemble de la politique cinématographique et audiovisuelle française et inspire, dans une moindre mesure, la politique de nombreuxautres pays en Europe, ainsi que celle de la Commission européenne. Sa défense fait l’objet d’un large consensus politique en France et l’opinion publiqueydemeure également très favorable. Cependant, cette politique est l’objet de remises en cause récurrentes, non seulement de la part des groupes d’intérêt américains et d’organisations internationales telles que l’OMC, soucieuxde parvenir à une plus grande libéralisation du commerce des biens cinématographiques et audiovisuels, mais aussi de certaines directions générales de la Commission européenne. Ces dernières, ayant pour objectif l’approfondissement du grand marché européen et la limitation des entraves à la concurrence, enviennent à défendre l’idée d’un démantèlement des deuxprincipauxinstruments de cette politique, la possibilité pour les Etats d’instaurer des quotas de diffusion de films et de subventionner leur industrie cinématographique. Ainsi, pour certains, la conjoncture actuelle témoigne d’un essoufflement du concept d’exception culturelle, tant à l’échelle internationale que nationale. Au niveau
1 General Agreement on Tariffs and Trade. L’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’est substituée au GATT en 1995.
international cependant, les autorités françaises et canadiennes sont parvenues à inclure la notion de « diversité culturelle » parmi les grands principes qui orientent les décisions de l’UNESCO, d’abord par l’adoption en 2001 d’une déclaration puis, en octobre 2005, d’une convention sur la diversité culturelle. Mais, tant le changement de dénomination que son inscription sur l’agenda politique d’une institution internationale telle que l’UNESCO n’accréditent-ils pas l’idée d’un recul du concept « d’ex» au profit d’unception culturelle glissement sémantique et institutionnel, annonçant sa disparition prochaine ?
I] Le cinéma, objet d’études des sciences sociales
A cet égard, les transformations récentes des politiques du cinéma, au-delà des aspects spécifiques à leurs caractéristiques « sectorielles » reflètent à la fois la façon dont les politiques publiques françaises retraduisent les normes dominantes de la régulation par le marché et s’adaptent au processus de mondialisation. De ce double point devue, l’analyse des politiques du cinéma fournit un terrain de recherche particulièrement riche. En effet, le cinéma, très rapidement appréhendé à la fois comme un art et une industrie est depuis longtemps au cœur des tensions entre une régulation par le marché et des formes de régulation alternatives, liées par exemple à lavaleur esthétique ou culturelle des formes de création. De plus, le cinéma est un élément clé des aspects culturels du processus de mondialisation dont il est devenu l’un des symboles, en raison notamment de la domination mondiale des films américains depuis l’après-guerre. Dès lors, il est intéressant devoir comment les acteurs des politiques du cinéma, pris dans ce double mouvement d’extension des modes de régulation par le marché et de mondialisation tentent de trouver des solutions singulières, à la fois pratiques et théoriques, mais peut-être limitées dans le temps, auxcontraintes nouvelles nées de ce double mouvement. Ainsi, l’observation des transformations de ces politiques, à travers le prisme des relations entre l’Etat et les professionnels, fournit un point devue privilégié pour tenter de saisir, à l’aide des outils et des méthodes de la science politique, certaines des mutations les plus profondes de notre société.
Pour tenter d’analyser ces politiques, il a semblé utile d’entreprendre une recherche généalogique sur la relation, aujourd’hui séculaire, entre l’Etat et le cinéma. Cette démarche est nécessairement sélective et n’a pas pour but d’inventorier, de manière exhaustive, l’ensemble des éléments constitutifs de cette relation. Elle s’attache seulement à analyser ceuxd’entre euxqui permettent de mieuxcomprendre la politique actuelle du cinéma en France, matrice de l’exception culturelle. En ce sens, elle donne à la fois des éléments d’interprétation des transformations du cinéma en tant qu’art et pratique culturelle et des éléments d’interprétation des transformations des politiques du cinéma en tant que mode d’action publique. Le travail de recherche qui a précédé la rédaction de ce livre s’inscrit dans une dynamique plusvaste
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d’intérêt croissant pour le cinéma qui, d’un point devue universitaire, fait en effet l’objet d’un inv: de nombreuses filières,estissement sans précédent scolaires et universitaires ainsi que des groupes d’études se sont constitués autour de cet objet de recherche. Cependant, peu nombreuses sont les études qui ont accordé à la dimension politique et administrative la place suffisante pour comprendre à la fois les transformations du cinéma et des politiques auxquelles il donne lieu. Dans ce livre, nous avons souhaité lier ces deuxaspects en privilégiant l’approche particulière des relations entre l’Etat et les 2 professionnels du cinéma, jusqu’à présent négligées .
Quest-ce que le cinéma ? Comme la photographie, la cinématographie, en tant que production d’une 3 machine, n’est pas considérée à ses débuts comme un art. Il s’agit tout au plus d’un spectacle de foire, d’un loisir de masse auquel toute prétention artistique est déniée. Ce sont les producteurs, à la recherche d’un élargissement du public en direction d’une clientèle aisée qui donnent la possibilité à des artistes, notamment à travers l’adaptation d’œuvres théâtrales et littéraires, de conférer au cinéma une dimension artistique. Le cinéma a rendu le spectacle accessible, à la fois par la mise à disposition du public d’un réseau de diffusion de proximité, et par un rapport au spectacle qui n’exigeait pas le même niveau de capital social et culturel que les autres spectacles vivants. Comme le note Laurent Creton, le cinéma crée une« dynamique spectacle-public-productivité [qui] creuse un fossé avec les arts du spectacle traditionnels [...] Pour les spectacles vivants, une telle dynamique est inaccessible, le vecteur productivité 4 étant absent » .Les spectacles vivants (théâtre, danse, concert, opéra, etc.) se trouvent confrontés à l’impossibilité de gains de productivité, ce que l’on appelle laloi de Baumol. Pour l’industrie cinématographique, ces gains de productivité ne sont pas obtenus dans le processus de production et de réalisation, généralement soumis à cette fameuse loi, mais dans la diffusion et la commercialisation du film. La production de films, comme en témoigne la multitude de sociétés de production relève encore de modèles artisanaux. On parle ainsi « d’industrie de prototypes » à propos du cinéma. Cependant, le film accède à un premier stade industriel par sa diffusion simultanée dans de multiples salles grâce à des copies. Mais il s’agit encore d’une production de petite série. C’est véritablement le support télévisuel, par la diffusion de masse
2 Ce livre est issu d’un travail de recherche qui a fait l’objet d’une soutenance de thèse en science politique à l’école doctorale de Sciences Po,cf. [Depétris F., 2006]. 3 On peut souligner la dépendance du cinéma par rapport à la technique et à la machine et les interrogations ainsi suscitées quant à sa dimension artistique. Pour Walter Benjamin,« on sétait dépensé envaines subtilités pour décider si la photographie était ou non un art, mais on ne sétait pas demandé dabord si cette invention même ne transformait pas le caractère général de lart ; les théoriciens du cinéma devaient succomber à la même erreur. »[Liandrat-Guignes S., Leutrat J-L., 2001 : 18]. 4 [Creton L., 1994 : 13]. 9
et les multiples possibilités de rediffusion qu’il autorise qui insère le cinéma 5 dans une logique de grande industrie .
Les travauxde Howard S. Becker, concernant ce qu’il nomme les « mondes de lart », apportent un éclairage sur les modes de production de 6 l’œuvre d’art . Pour lui, ces mondes sont à la fois les lieuxde production des œuvres et les lieuxoùils sevoient attribuer unevaleur esthétique. Selon cette acception, les œuvres d’art sont le fruit du travail collectif de ceuxqui appartiennent à ce monde : un film est ainsi une chaîne de coopération qui suppose différents collaborateurs, du cameraman au producteur. Le« monde de lart »désigne alors ceuxqui participent couramment à la production d’œuvres d’art. La définition et la désignation des œuvres d’art ne peuvent pas être séparées de l’activité de tous ceuxqui donnent un sens auxœuvres ainsi produites, historiens de l’art, administrateurs de centres culturels ou de musées, collectionneurs et en particulier pour le cinéma, critiques et gestionnaires des fonds d’aides au cinéma : les œuvres d’art ne sont reconnues en tant que telles qu’envertu de l’interprétation esthétique qui en est faite. Cette approche sociologique de l’œuvre d’art permet de rompre avec les définitions « substantialistes » de l’art, issues de la philosophie, et d’accorder toute sa place à ceuxqui sont porteurs de représentations quant à la culture légitime et qui tentent de la communiquer ou de la défendre à travers leurs prises de 7 position . Ainsi, l’entreprise critique desCahiers du cinémaa permis de consacrer comme œuvres d’art certains types de films, donnant au cinéma une reconnaissance esthétique qu’il n’avait pas. De plus, si les qualités esthétiques d’une œuvc’estculturelles », re lui permettent d’obtenir des aides dites « inversement l’attribution de ces aides qui « labellise » certaines œuvres comme « culturelles ». Dès lors, pour analyser le processus qui conduit à l’intervention de l’Etat dans le cinéma, il est nécessaire de penser à la fois la légitimation du cinéma comme art et la légitimation de l’intervention de l’Etat dans le domaine artistique. En outre, la définition de la culture, qui légitime la mise en œuvre de telle ou telle politique culturelle est aussi l’objet de débats politiques. Les définitions de la culture en France et auxEtats-Unis divergent sensiblement. Cette divergence est en grande partie responsable du contentieuxpolitique profond révélé lors des négociations du GATT en 1993 et qui n’est toujours pas réglé aujourd’hui comme en témoignent les négociations les plus récentes au sein de l’OMC. De même, les décisions culturelles d’une administration ou
5 Pour de plus grandes précisions sur l’aspect économique du cinéma, et notamment les rapports cinéma-télévision,cf. [FarchyJ., 1992] et [Bonnell R., 1996]. 6 [Becker H. S., 1988]. 7 Emile Durkheim définit l’art comme un domaine qui résiste à toute forme « d’obligation » et l’apparente pour cette raison au « luxe » et à la « parure » dans [Durkheim E., 1978 : 14]. Onvoit bien comment dès lors, dans la perspective ouverte par Georg Simmel dans son travail sur la mode, « l’amour » de tel ou tel art, ou la « consommation » de tel ou tel produit culturel, plus ou moins « ostentatoire », sont étroitement corrélés au profit symbolique qu’en escomptent différents groupes sociauxdans leur stratégie de positionnement social et de distinction. [Veblen T., 1978] ; [Bourdieu P., 1979]. 10
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