68
pages
Français
Ebooks
2021
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Ebook
2021
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Publié par
Date de parution
01 avril 2021
Nombre de lectures
10
EAN13
9782491260125
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
01 avril 2021
Nombre de lectures
10
EAN13
9782491260125
Langue
Français
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Couverture
Titre
Copyright
La Collection sur la table est une collection dirigée par Victoire Tuaillon.
© Binge Audio Éditions, 2022
Édition : Karine Lanini
Correction : Sophie Hofnung
Conception graphique et maquette : Studio Blick
Binge Audio Éditions
6, villa Marcel Lods
75019 Paris
www.binge.audio
ISBN : 978-2-4912-6012-5
ISSN La Collection sur la table : 2804-0864
À propos de l’auteur
Activiste féministe trans et journaliste indépendant, Tal Madesta a milité au sein du mouvement des collages contre les violences sexistes. Il collabore avec plusieurs grandes rédactions et est membre de XY Média, premier média transféministe audiovisuel en France.
Sur son compte Instagram @tal.madesta, qui réunit près de 30 000 abonné·es, il écrit régulièrement sur le féminisme, les parcours trans et la judéité.
Sommaire
Avant-propos : la révolution sexuelle n’a pas eu lieu
Première partie - Investir le désir : le prix à payer
Les corps désirants, et les autres
Les corps fonctionnels, et les autres
Créer le corps-machine
Le sexe conjugal comme arme de l’hétérosexualité
Deuxième partie - Désinvestir le désir : la puissance des autres liens
Faire l’histoire de l’amour sans sexe
Intimités alternatives : le foyer plutôt que la famille nucléaire
Intimités alternatives : l’amitié plutôt que le couple
Le plaisir est déjà pris : désirer autrement
Épilogue : aller au cinéma, c’est bien aussi
Lexique
Pour aller plus loin
Remerciements
La révolution sexuelle n’a pas eu lieu
Comme beaucoup d’auteurices, si j’écris ce livre aujourd’hui, c’est parce qu’il est celui que j’aurais eu besoin de lire durant toutes ces années d’errance sexuelle, moi qui ai toujours entretenu une relation ambivalente au sexe, entre fascination et désintérêt total.
Ma courte existence a été pavée de violences diverses : celles de mon père d’abord, et son rapport tyrannique au corps des femmes, tour à tour objet de désir ultime, réifié, sexualisé à outrance, désincarné, mais aussi terrain de brutalités, punching-ball, réceptacle de tout le mépris, toute la colère qu’il pouvait ressentir à l’égard des femmes. J’ai senti très tôt que mon corps ne m’appartenait pas et que, pour me protéger de cette dépossession, il fallait que je l’oublie et que j’en sorte. Que ma vie se fasse ailleurs. Je n’appelais pas encore cela de la dissociation * , mais il est certain que j’ai senti depuis les premiers moments intimes avec des hommes que mon corps ne produisait pas ce qu’il était censé produire. Je me souviens de ces embrassades passionnées mais pourtant vides, de tous ces moments durant lesquels je regardais la scène de haut, où je me disais que c’était curieux de se mettre nu·e à côté de quelqu’un afin d’accomplir cette série de gestes formalisés pour un objectif (la jouissance) qui me semblait bien pauvre et bien superficiel. Pourtant, j’y retournais inlassablement, sans savoir pourquoi.
Comme ça ne marchait pas, j’en suis venu à chercher comment réparer mon corps. Comme s’il était malade. Comme si le fait de ne pas réussir à obéir à l’injonction de désirer et de jouir à tout prix faisait de moi une personne cassée. Pathologisation * du corps bien servie, et même nourrie, par la logique capitaliste de nos sociétés : je me suis vite rendu compte qu’il existait un véritable marché autour de l’angoisse de ne pas avoir une sexualité épanouie. Livres, thérapies, médicaments, jouets… : la libération coûte cher, autant en temps et en énergie qu’en argent. Une sorte de charge mentale de l’épanouissement sexuel que je n’ai jamais vu aucun homme habiter de façon obsessionnelle.
À l’évidence, je n’étais pas le seul à souffrir de cette injonction. Lorsque j’ai commencé à exprimer ce malaise auprès de mes proches ami·es, j’ai vite constaté que, à quelques rares exceptions près, nous étions toustes dans le même cas : la sexualité que l’on vivait ne semblait pas aussi enthousiasmante que ce qu’on aurait bien voulu laisser entendre. Plus précisément, je me suis trouvé face à un nombre significatif de récits décrivant un décalage face à une vision collective fantasmée du sexe : peur de l’intimité, angoisses de performance, ennui pur et simple, douleurs chroniques, difficultés à ressentir de l’excitation lorsque la sexualité est partagée, désintérêt après quelques mois de vie conjugale…
Mais pourquoi nous imposons-nous une telle pression ? Qui me force à emprunter ces chemins “d’exploration” du désir et de la sexualité, qui ne sont en fait que des chemins d’arrachement à moi-même ? Bien sûr, il ne s’agit pas que de nous. Il existe une coercition sociale forçant l’obsession à la sexualité. Je n’aurais pas pu simplement m’en émanciper et décider que mon attrait était ailleurs. Pourtant, je suis trans, et avant de comprendre où j’en étais par rapport à mon identité de genre, j’étais déjà lesbienne : une bizarrerie de plus ou de moins aurait pu ne pas m’inquiéter. Je fais déjà partie d’univers souterrains où, pour survivre, l’existence se déploie autrement, en s’appuyant sur d’autres visions, d’autres pratiques, d’autres valeurs. Pourtant, dans le cas de la sexualité, cela m’est bien plus difficile : je désespère de rejoindre la norme supposée, d’avoir une vie sexuelle riche et épanouissante, régulière et pleine de désirs. J’ai l’impression d’être un assoiffé perdu dans le désert et de continuellement deviner au loin, derrière les vagues de chaleur qui s’écrasent sur le sable, une oasis. Qui ne cesse pourtant de se tenir à distance malgré ma course effrénée.
J’en viens à me demander si ce n’est pas exactement cela qui se trouve à l’horizon : un mirage, une cause perdue. Qui sont-elles, ces rares personnes qui ont l’air de s’abreuver continuellement quand nous sommes tant à ramper sur le bas-côté ? Cette terre promise dont parlent les livres, les thérapeutes et les expert·es en tous genres, existe-t-elle réellement ? Et si cette contrée fertile n’existe pas, vers quoi courons-nous et que cherchons-nous réellement à rejoindre ? Peut-on encore parler de norme quand c’est plus compliqué que prévu pour la majorité d’entre nous ? La norme est-elle réellement le propre de la majorité, ou simplement le désir d’appartenir à une majorité supposée ?
En réalité, il me semble que ce vers quoi j’essaie désespérément d’avancer depuis toutes ces années, ce n’est pas la sexualité en elle-même, car si elle était vraiment si importante et fondamentale dans ma vie, elle me serait nécessairement plus facile et plus douce. Cette oasis que je poursuis, ce n’est pas la sexualité, mais la conformation à une norme que personne ne parvient à suivre facilement. Car je crois que ce qui nous terrifie vraiment, c’est le stigmate dont peuvent être victimes celles et ceux qui ne baisent pas ou peu, qui ne désirent pas ou peu, qui ne jouissent pas ou peu. Elles ne sont pas bien vues, les amours “infertiles”.
Alors que doivent-iels faire, celles et ceux qui doivent fermer les yeux et penser à autre chose pour lâcher prise, qui se passeraient volontiers d’une sexualité régulière, qui désirent énormément au début puis très peu rapidement, ou jamais quel que soit le moment, qui fonctionnent par pics et par chutes brutales, qui se sentent soulagé·es et apaisé·es uniquement une fois que le sexe prend fin, qui calculent depuis combien de temps iels n’ont pas fait l’amour pour ne pas dépasser une date limite fixée par on ne sait qui ? Que faire pour tous ces individus que le sexe angoisse, met en colère, plonge dans un véritable désespoir, laisse indifférents ou las , et pour qui le sexe donne un goût amer aux baisers ?
Peut-être peut-on commencer par essayer de comprendre ce qui se joue derrière cette pathologisation des individus et des corps non désirants. Dévoiler le coût de cette injonction au désir, mettre en évidence le prix à payer. Démonter les mécanismes qui classent les corps en bons et mauvais élèves : d’un côté, les corps fonctionnels ; de l’autre, les corps à réparer. Comme si nous étions toustes réduit·es à des corps-machine, pensés dans une logique de consommation implacable, pièces majeures d’un système capitaliste fondé sur une classification sociale des personnes en êtres désirants et en sujets dysfonctionnels, et d’un système hétérosexuel fondé sur la division entre hommes actifs et femmes passives.
Et puis, peut-être peut-on dessiner d’autres possibles, qui appréhenderaient la sexualité pour ce qu’elle est : un moyen et non une fin en soi de se connecter aux autres et à soi-même, de regarder son corps avec amour, de se l’approprier de la manière qu’il nous sied. Non pas dans une perspective individuelle, car cela n’a rien à voir avec du développement personnel : il ne s’agit pas ici de s’élever soi, de se déconstruire, mot que j’exècre de plus en plus. Il ne s’agit pas de blocages individuels et je ne veux pas remettre la charge sur des personnes qui vivent déjà avec des kilos de culpabilité et de honte sur le dos. Notre angoisse existentielle sexuelle, notamment dans le cadre du couple cis-hétérosexuel, est le résultat des violences que nous avons vécues, et de structures qui permettent d’en faire un terrain privilégié des dominations, peu importe à quel point nous sommes “libéré·es” ou non. Je ne crois pas qu’on puisse s’extirper seul·e à la force de ses bras et de ses lectures des intrications sinueuses et fourbes entre sexualité et violence. C’est pour cela que je n’ai pas envie de perpétuer ce qu’on a pu me dire à moi pendant des années, car je comprends aujourd’hui que ce n’est pas ça que j’aurais dû entendre pour avancer. Ni les “pratiques alternatives”, ni la communication, ni les partenaires bienveillants, ni l’apprentissage du fonctionnement de mon corps ne m’ont aidé à résoudre ma crise de la sexualité. Au contraire, me trouver de nouveau en échec malgré le suivi scrupuleux des nombreuses recommandations de chacun·e n’a fait que renforcer mon sentiment de décalage.
En revanche, loin de l’approche purement indivi